Dareen Tatour a longtemps rêvé de voir ses poèmes traduits de l’arabe en d’autres langues – afin qu’ils puissent toucher des gens dans le monde entier.
Et, en effet, l’un de ses poèmes a été traduit récemment, mais pas exactement comme elle l’avait espéré.
Une version en hébreu de « Résiste, mon peuple, résiste-leur » a été lue à haute voix par un policier israélien lors d’une session du tribunal de Nazareth, le 13 avril. Sur base du contenu de ce poème (dont la version originale en arabe est disponible sur YouTube), Tatour a été accusée d’incitation à la violence.
Bien que le poème insiste sur la résistance à Israël, il n’appelle pas à commettre des actes de violence spécifiques. Il attire plutôt l’attention sur les violentes agressions commises par les Israéliens contre les Palestiniens.
Les incidents comprennent l’agression par le feu qui, l’an dernier, a tué le bébé de 18 mois Ali Dawabsha et ses parents à Duma, un village de Cisjordanie occupée ; le meurtre de Hadil Hashlamoun, 18 ans, par des soldats israéliens à Hébron, l’an dernier également ; et l’enlèvement et l’assassinat de Muhammad Abu Khudair, 16 ans, à Jérusalem, en 2014.
Tatour a été arrêtée en octobre dernier. Après avoir passé trois mois en prison, elle a été placée en résidence surveillée en janvier. Elle est aujourd’hui confinée dans un appartement, dans un faubourg de Tel-Aviv.
« C’est ironique, mais pas surprenant, que j’aie été jetée en prison parce que je protestais contre les meurtres perpétrés contre mon peuple, alors que les véritables tueurs israéliens courent en liberté », a déclaré Tatour dans The Electronic Intifada.
Alors que, récemment, de nombreux Palestiniens ont été accusés d’incitation à la violence pour des déclarations faites sur Internet, et particulièrement sur Facebook, le cas de Tatour est inhabituel du fait qu’elle est poursuivie à propos d’un poème.
Une farce
« Mon cas, comme beaucoup d’autres, prouve une fois de plus que la démocratie israélienne est une farce », dit-elle. « Si Israël est démocratique, il ne l’est que pour les Juifs. »
Tatour écrit de la poésie depuis l’âge de 7 ans. Elle est également photographe et a parcouru nombre de villages de l‘Israël d’aujourd’hui qui ont été dépeuplés de leurs habitants palestiniens d’origine au moment de la Nakba, le déplacement forcé des Palestiniens par les troupes sionistes en 1948.
De même qu’elle saisit des images de ces villages, elle s’est mise à raconter des histoires sur les gens qui y vivaient.
Les photographies de Tatour ont fait l’objet de plusieurs expositions. Elle a également dirigé un bref documentaire sur le village de Damoun, qui a subi une épuration ethnique.
La dernière invasion, son premier recueil de poèmes, a été publié en 2010.
Bien qu’elle soit politiquement active — elle est associée au parti Balad et elle a assisté à de nombreuses manifestations, à la fois comme photographe et comme participante —, Tatour n’imaginait pas qu’un jour, elle serait jetée dès l’aube dans un véhicule de la police.
C’est pourtant ce qui lui est arrivé le 10 octobre dernier, alors qu’elle était chez elle, à Reineh, près de Nazareth.
« Je dormais », dit-elle. « Puis j’ai brusquement entendu ma mère qui criait : »Ils sont venus pour te prendre ! » »
L’arrestation a eu lieu au moment d’un soulèvement contre l’occupation israélienne à Jérusalem et dans d’autres régions de Cisjordanie. Israël a répondu par un accroissement des mesures de répression contre les Palestiniens.
Les tactiques réservées par Israël aux Palestiniens de Cisjordanie ont été reprises contre les citoyens palestiniens d’Israël. Parmi ces tactiques, la détention administrative, c’est-à-dire l’emprisonnement sans accusation ni procès.
À Afula, une ville de l’Israël d’aujourd’hui, la police a abattu une femme palestinienne appelée Israa Abed moins d’une semaine avant l’arrestation de Tatour. Bien que les autorités israéliennes aient prétendu qu’Abed avait tenté de poignardé un conducteur de bus, une vidéo a prouvé qu’elle ne représentait pas la moindre menace au moment où elle avait été abattue. On lui avait tiré dessus à plusieurs reprises alors qu’elle avait les mains en l’air.
L’accusation fait état des protestations de Tatour sur Facebook contre l’exécution d’Abed.
Deux poids deux mesures
« Arrêter Tatour sans mandat va même à l’encontre des lois d’Israël », a déclaré son avocat, Abed Fahoum. « Mais cela ne s’arrêtait pas là. »
La police a examiné son téléphone et a consulté son compte Facebook sans même un mandat de perquisition et sans lui dire qu’elle avait le droit de s’opposer à ces examens, a expliqué l’avocat.
Fahoum a décrit le cas de sa cliente comme « une manifestation flagrante de la justice sélective et des deux poids et deux mesures du système juridique israélien ».
« Il n’y a quasiment que des Palestiniens qui sont arrêtés et poursuivis pour leurs messages sur Facebook et pour des incitations à la violence, alors que les Israéliens peuvent hurler »mort aux Arabes » au cœur même de Tel-Aviv et s’en aller comme si de rien n’était », a expliqué Fahoum, faisant allusion aux milliers de personnes qui, cette semaine, s’étaient rassemblées pour soutenir un soldat filmé sur vidéo alors qu’il exécutait un Palestinien blessé.
« Je n’ai jamais vu le Ministère public aussi obstiné que dans le cas de Dareen », a ajouté Fahoum. « Je crois qu’ils ont l’intention de l’utiliser pour intimider tous les Palestiniens et les réduire au silence. »
Tatour a été interrogée à cinq reprises en un mois. Ses trois mois de prison ont été stressants. Mais ils ont également opéré un changement dans sa vie.
À la prison de Hasharon, elle a rencontré de nombreuses prisonnières politiques palestiniennes.
« J’ai toujours revendiqué la liberté pour ces femmes et, brusquement, je me suis retrouvée moi-même parmi elles, j’ai beaucoup appris de leur force mentale, en partageant notre douleur et nos défis », a-t-elle déclaré.
Dareen considère sa résidence surveillée comme une forme d’exil
Des conditions très strictes accompagnent la mise en résidence surveillée de Tatour.
Elle est interdite de séjour non seulement dans sa ville de résidence, Reineh, mais dans la totalité du district nord d’Israël. L’appartement dans lequel elle a été confinée a été loué par son frère et la fiancée de ce dernier à Kiryat Ono, un faubourg de Tel-Aviv, afin qu’elle y réside.
Même une visite chez le médecin nécessite une autorisation de la police, qui peut d’ailleurs la lui refuser. C’est particulièrement cruel : Tatour s’est cassé le pied en prison et elle a toujours besoin d’un traitement, pour l’instant.
Elle doit également être accompagnée d’au moins un garde à chaque instant. Un appareil électronique a été attaché à sa cheville de sorte que l’on peut surveiller ses allées et venues.
« J’ai l’impression que j’emprisonne deux autres personnes avec moi, mon frère et sa fiancée », a expliqué Tatour. « Leurs existences aussi ont été mises en suspens. »
Il lui est également interdit de se connecter à Internet et de communiquer avec certaines personnes.
Tatour considère cette mise en résidence surveillée comme une forme d’exil.
« J’ai lu des choses sur pas mal de personnes qui parlaient d’un exil dans leur propre pays mais, aujourd’hui, je puis totalement m’identifier à elles », a déclaré Tatour. « On m’a éloignée de force de chez moi, de ma famille, de mes amis. On m’empêche même de regarder la plupart des chaînes de TV arabes. En fait, il s’agit en même temps d’un exil physique et d’un exil virtuel. »
Mais si Israël a l’intention de réduire Tatour au silence en en faisant un exemple, elle affirme que cela l’a toutefois rendue beaucoup plus forte. Elle était profondément embarrassée à propos des effets que sa condamnation allait avoir sur ses parents. Mais elle a puisé du courage dans la façon dont ils l’ont soutenue en permanence.
Du fait qu’on lui refuse une vie sociale et l’intimité de sa famille et de son village, l’engagement envers l’écriture de Tatour s’est considérablement accru.
Elle est sur le point de terminer un recueil de poèmes qui témoignent de son expérience de la prison, qui parlent des prisonnières qu’elles a rencontrées, de son amour de la Palestine et de sa détermination à continuer de se servir de la poésie comme d’une forme de protestation et d’expression.
« Ils m’ont envoyée en prison pour écrire un poème », dit-elle. « Mais la poésie est devenue ma clef menant à la liberté et je me cramponnerai à cette clef jusqu’à la fin. »
Publié le 22 avril 2016 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
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Budour Youssef Hassan est une écrivaine et diplômée en droit palestinienne, installée à Jérusalem sous occupation. Son blog : budourhassan.wordpress.com. Twitter: @Budour48
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