“Entre le paradis et la terre” : un film de Najwa Najjar

Dans son troisième opus, « Between Heaven and Earth », la scénariste et réalisatrice palestinienne Najwa Najjar ausculte le drame palestinien à travers une histoire d’amour sur le divorce. Mais au-delà du sentiment amoureux, ce road movie allégorique sublime l’amour de la terre.

Une scène de « Between Heaven and Earth » de Najwa Najjar.

Une scène de « Between Heaven and Earth » de Najwa Najjar.

Colette Khalaf, le 24 février 2021

« J’aime l’amour, dit-elle sans hésiter. Je voulais donc raconter une histoire d’amour. Mais comment la raconter dans un pays sous occupation avec un couple issu de milieux différents, de parties démembrées de la Palestine ? »,

déclare d’emblée Najwa Najjar dans un entretien avec L’Orient-Le Jour autour de son nouveau long-métrage Between Heaven and Earth (Entre le paradis et la terre). La scénariste et réalisatrice palestinienne, qui vit la fracture de son pays comme une plaie au cœur, va mettre alors en scène un road movie qui mène un couple – parti dans les Territoires occupés pour faire leurs papiers de divorce – à redécouvrir leur terre ainsi qu’à se découvrir eux-mêmes.

Najwa Najjar, qui a fait ses études de cinéma aux États-Unis, s’est rendu compte que l’histoire racontée en Occident dans les livres n’est pas identique à celle transmise par ses parents et ses grands-parents.

« C’est le cinéma qui m’a aidée à rectifier le narratif de la région afin que la vérité ne soit pas tronquée ni défigurée. Car c’est le seul medium qui peut tout corriger. »

Menacée depuis des années pour différentes raisons (religion, culture, classe sociale), la battante, et malgré la malédiction qui s’abat sur ce morceau de terre, sur la région tout entière, ne perd pas espoir.

« Ce film m’a appris à mieux connaître les gens de Nazareth, ceux “de l’année 48, qui n’ont pas quitté, mais qui ont été traités de traîtres parce qu’ils sont restés sous l’occupation. Je me suis rendu compte que le peuple palestinien tout entier était en divorce avec son identité, avec lui-même, avec l’autre. On est tous loin les uns des autres. Par cette séparation de deux personnes que je relate et qui va nous pousser à chercher dans le passé et à y trouver des secrets enfouis, j’aborde tous les problèmes de la région sinistrée du Moyen-Orient. Ce qui m’importe, c’est le Liban, la Palestine, la Syrie et l’Égypte. »

La cinéaste embarque le spectateur dans cette voiture conduite par le couple. Elle l’emmène dans ce road movie à la rencontre de personnes de diverses religions et de divers statuts. Ils racontent leurs histoires et comme les pièces d’un puzzle elles forment une image compréhensible.

« Ces belles personnes dessinent le paysage de cette région meurtrie. Autant les Arabes qui ont envie d’écorcher leur peau d’arabe pour ne plus parler que l’hébreu, que les juifs piétinés, eux aussi, d’une manière ou d’une autre par le sionisme. Ces hommes et femmes qui habitent cette belle terre sacrée sont tous et toutes des victimes »,

affirme Najjar.

Mona Hawa et Firas Nassar, un couple en quête d’identité.

Sur les pas des gardiens d’Iqrit

Quel a été le point de départ de ce road movie allégorique ?

« Toute l’idée, indique Najwa Najjar, a commencé par le village d’Iqrit. J’étais dans un restaurant de falafel à Haïfa et le propriétaire m’a parlé de son fils qui refusait, à son grand dam, une bourse d’études à Londres parce qu’il était un des gardiens d’Iqrit. Je me suis sentie frustrée de ne pas connaître cette région et de ne pas comprendre ce que c’était. Après avoir effectué des recherches, elle découvre ce village chrétien aux frontières du Liban, détruit par les Israéliens. »

« Il n’existait même pas sur Google Map, précise-t-elle. INakba, un site créé par les Palestiniens, parle de ces villages qu’ils ont réussi à sauvegarder bien qu’ils aient été démolis par les Israéliens. »

La réalisatrice est donc allée à la rencontre d’Iqrit, et a vu ces jeunes nés en 1990 qui sont restés dans le village et dont ils sont les gardiens.

« Cette terre, ils ne peuvent pas la quitter, pas même un seul jour, sinon les colons se l’approprient. J’ai alors compris le vrai sens de l’amour de la terre. »

Elle a également appris le vrai sens du divorce.

« Le divorce, c’est quand on ne sait plus rien de l’autre et c’est le cas de cette terre démembrée… »

Et d’ajouter : « À travers cette histoire, je voulais donner de l’espoir à ces jeunes générations. »

Najwa Najjar : « C’est un film d’amour sur le divorce. » Photos DR

Le film se trouve au final porté par une équipe d’acteurs et d’actrices dont la plupart assurent pour la première fois un rôle au cinéma. La musique, alternative ou populaire, y occupe également une place de choix. À travers les voix de femmes, Natacha Atlas, Souad Massi et Tania Saleh, la réalisatrice fait la connexion avec le monde arabe.

Ce troisième long-métrage de Najwa Najjar qui a reçu, entre autres nominations, le prestigieux prix Naguib Mahfouz pour le meilleur scénario au festival du Caire est – sans être lacrymal – une ode à l’amour de la terre, teintée de tendresse, d’ouverture d’esprit et d’équité.

À signaler que son précédent, Eyes of a Thief, a été le candidat palestinien pour les Oscars en 2015.


Publié le 24 février 2021 sur L’Orient-Le Jour

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