Le véritable problème est le sionisme, pas l’occupation

 

Plus tôt ce mois-ci, lors de la 15e conférence annuelle organisée près de Washington DC, la “Campagne américaine pour mettre fin à l’occupation israélienne” a officiellement annoncé son changement de nom, devenant la “Campagne américaine pour les droits des Palestiniens”.

Cette démarche, attendue depuis longtemps, a été bien accueillie, étant donné que la campagne américaine a en effet évolué au fil des ans, passant d’un groupe axé sur le lobbying auprès du gouvernement américain pour que celui-ci mette fin à son soutien financier et politique à l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, à un réseau effectif de plus de 400 organisations populaires déterminées à rétablir les droits de l’homme de tous les Palestiniens, et pas seulement de ceux qui vivent sous l’occupation militaire illégale.

De nombreux juifs « libéraux » ou « progressistes » et des Israéliens ont persistent à se concentrer sur les symptômes, à savoir « l’occupation », manifestation du novembre , 2015. / AFP PHOTO / JACK GUEZ
Des Israéliens “progressistes” participent à une marche à l’appel de “Peace Now” à Tel Aviv en décembre 2015 – AFP PHOTO / JACK GUEZ

Pourtant, alors même que les membres de la Campagne américaine célébraient ce changement, de nombreux juifs « libéraux » ou « progressistes » et des Israéliens ont persisté à se concentrer sur les symptômes, à savoir « l’occupation », plutôt que sur la cause, de l’oppression du peuple palestinien, à savoir le concept même de sionisme.

À l’occasion de la rencontre entre les membres de la campagne américaine, le directeur exécutif de B’Tselem, Hagai El-Ad, alors à New York, s’est adressé aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU lors d’une session spéciale intitulée « Colonies israéliennes illégales : un obstacle à la paix et à la solution à deux États ».

L’occupation de la Cisjordanie, depuis quarante-neuf ans, n’a duré que parce que les pouvoirs en place ont permis qu’elle se maintienne, a déclaré El-Ad.

Détaillant une longue liste de violations et d’expériences humiliantes quotidiennes endurées par les Palestiniens en Cisjordanie, El-Ad a déclaré : « Israël a systématiquement légalisé les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés à travers l’établissement de colonies permanentes, des démolitions punitives de maisons, un mécanisme de construction et de planification biaisé, la prise de terres palestiniennes et bien plus encore. »

 

« Les droits des Palestiniens doivent être instaurés, l’occupation doit cesser, le Conseil de sécurité des Nations unies doit agir et le temps presse », a imploré El-Ad.

Même si le discours prononcé par El-Ad à l’ONU a rendu le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou furieux et poussé un homme politique israélien à réclamer la déchéance de sa citoyenneté, son discours n’a pas mis le doigt sur le vrai problème : le sionisme.

Les « droits des Palestiniens » ne sont pas uniquement violés par l’occupation militaire de la Cisjordanie. El-Ad n’a jamais mentionné le siège meurtrier de la bande de Gaza, ni les droits des millions de Palestiniens – en réalité, la majorité du peuple palestinien – qui vivent dans la diaspora et qui jouissent du droit reconnu par l’ONU de retourner dans leur patrie.

En deçà des attentes

À peu près au même moment que le discours d’El-Ad à l’ONU, le rabbin Alissa Wise, directrice adjointe de Jewish Voice for Peace (JVP), un groupe de ressortissants juifs américains, a écrit sur Facebook que son groupe était « sérieux au sujet de la transformation de la communauté juive ».

Pour le Yom Kippour 5777, a-t-elle écrit, JVP diffusera des sermons en ligne de rabbins progressistes critiquant l’occupation d’une manière rarement tolérée dans les synagogues à travers les États-Unis.

Quelques semaines plus tôt, à l’occasion de Roch Hachana, JVP avait également organisé la diffusion en ligne de sermons prononcés par des rabbins associés à JVP qui ont critiqué « l’occupation militaire israélienne de la Palestine », effectuée « au nom de tous les Juifs » selon JVP.

Dans la même veine, ce mois-ci également, The New York Review of Books a publié une déclaration appelant à un « boycott ciblé de l’ensemble des marchandises et services provenant de toutes les colonies israéliennes dans les territoires occupés », tout en s’opposant spécifiquement au boycott de tous les produits israéliens, stratégie mise en avant par des leaders de la société civile palestinienne.

L’appel au boycott partiel est particulièrement problématique non seulement parce qu’il ne respecte pas les dirigeants palestiniens, mais aussi parce qu’il ne satisfait à aucune notion de cohérence morale. Cet appel ne reconnaît pas que les colonies illégales qu’il cherche à « cibler » n’existeraient pas sans la politique gouvernementale israélienne formée en dehors de la Cisjordanie occupée.

De même, il ne tient pas compte des circonstances endurées par la majorité du peuple palestinien, à savoir les réfugiés, ainsi que par ceux qui vivent en tant que citoyens privés de leurs droits au sein de l’État israélien « légal ».

Un autre groupe juif relativement nouveau et autoproclamé « progressiste » cherchant à « changer la communauté », se présentant comme le mouvement « If not now », a été formé en 2014 lors de l’assaut d’Israël contre Gaza.

« L’appel pour que les institutions juives américaines mettent fin à leur soutien à l’occupation n’a fait que gagner en urgence et en clarté depuis cet été », explique If not now sur son site web. « Bien que l’ordre établi dépassé prétende parler au nom de notre communauté, nous savons que la communauté juive américaine a soif de changement. »

Plus tôt ce mois-ci, le jour de Yom Kippour, la section new-yorkaise d’If not now a organisé un rituel de l’« achamnou » (prière) en public à l’extérieur des locaux de l’UJA-Federation of New York (United Jewish Appeal), et encore une fois, l’accent a été mis sur la fin du « soutien à l’occupation ».

Je suis certaine que ma liste n’est pas exhaustive, alors même que j’ajoute une autre tribune libre, tirée cette fois-ci du journal étudiant The Michigan Daily, demandant en toute urgence aux Américains d’origine juive de « se montrer » pour s’opposer à l’oppression des Palestiniens par Israël.

L’auteur, un Américain d’origine juive, dresse un plaidoyer passionné et éloquent appelant les autres personnes comme lui à sortir de leur zone de confort et à reconnaître que les Palestiniens sont opprimés. « En tant que juif farouchement opposé à l’occupation, il est de ma responsabilité de reconnaître que lorsque j’étais assis pour célébrer Roch Hachana ce mardi, des hommes, des femmes et des enfants en Palestine vivaient encore dans les conditions difficiles auxquelles ils sont soumis sous l’occupation », écrit-il.

« Le besoin urgent de mettre fin à l’occupation ne peut attendre plus longtemps et ne devrait certainement pas avoir à attendre une ouverture dans le calendrier juif », a-t-il ajouté.

Ici encore, le plaidoyer passionné est en faveur de la fin de l’occupation.

Regarder le tableau d’ensemble

Dans ces tribunes libres, dans le tract distribué par JVP à l’occasion de Roch Hachana ou encore dans les événements et les discours qui ont eu lieu au cours des dernières semaines, il n’y a pas un seul mot pour décrire le sionisme comme une idéologie raciste, un privilège racial et la véritable politique oppressive.

2017 arrive à grands pas. C’est une année cruciale qui marque la cinquantième année d’occupation de la Cisjordanie, mais aussi le centenaire de la déclaration du Britannique Lord Balfour, qui a affirmé aux sionistes européens que la Grande-Bretagne « envisage[ait] favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif […] ».

La dépossession des Palestiniens n’a alors pas commencé en 1967, mais en 1917, lorsque le mandat britannique, une puissance impériale qui jouait une partie d’échecs mondiale avec les autres puissances européennes, a décidé d’amputer la Palestine afin de la transformer en un refuge pour les Juifs européens fuyant l’antisémitisme européen.

Trente ans plus tard, en 1947, l’ONU a décidé de diviser la Palestine historique entre la Palestine et Israël. Cette division a enclenché la Nakba, la « catastrophe » palestinienne qui se poursuit encore. Et vingt ans plus tard encore, en 1967, Israël occupait le reste de la Palestine historique.

Ces cent ans de dépossession planifiée puis mise en œuvre sont cent ans de trop. Aujourd’hui, nous devons nous tourner vers un avenir qui tient compte des personnes vivant dans la Palestine historique ainsi que de celles qui jouissent du droit internationalement reconnu d’y vivre, c’est-à-dire les réfugiés palestiniens.

Dénoncer l’occupation ne suffit pas. Le changement de nom de la campagne américaine est un signe opportun indiquant que nous devons changer le discours pour placer au centre les victimes d’un nettoyage ethnique et d’un effacement culturel, tout en nous focalisant sur leurs droits.

Et comme l’ont écrit les érudits juifs Joshua Schreier et Mira Sukarov dans leur essai opportun, le retour des Palestiniens dans l’Israël d’aujourd’hui ne contribuera pas uniquement à rendre enfin justice à ce peuple dépossédé, mais aussi à faire de l’État d’Israël un meilleur endroit où vivre pour tout le monde. Cela fera pencher la balance en défaveur d’une préoccupation étouffante quant à la majorité démographique, dans un pays « plus accueillant envers le pluralisme religieux juif [et non-juif] qui pourrait faire respecter les droits relatifs aux genres, auxquels les courants religieux libéraux adhèrent déjà ».

Certes, l’occupation va bientôt entrer dans sa cinquantième année. Le siège de Gaza va bientôt entrer dans sa dixième année. Mais nous devons cesser de regarder des fragments disparates du tableau.

À ce stade, il est extrêmement inquiétant de constater que tous ceux qui se considèrent comme « progressistes » persistent dans la recherche de solutions partielles telles que la fin de l’occupation, qui cimentent le nettoyage ethnique et l’apartheid dans la Palestine historique.

Au lieu de cela, c’est le sionisme, qui met l’accent sur la suprématie juive, qui forme le problème à traiter, l’occupation n’étant qu’une de ses manifestations.

Nada Elia             


Cet article a été publié par l’édition française de Middle East Eye le 26 octobre 2016.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ « Demographic Threat » ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).

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