« Un boycott légitime » d’Eyal Sivan (réalisateur israélien) et d’Armelle Laborie (productrice) publié il y a quelques jours aux éditions La Fabrique, est un bouquin qu’il faut absolument lire, et de toute urgence, d’autant plus qu’aujourd’hui tout est mis en œuvre en France pour discréditer et criminaliser le mouvement pacifiste de boycott (BDS) à l’encontre de l’Etat d’Israël.
Durant plusieurs mois, les auteurs ont réalisé une enquête bien « fouillée » en consultant des documents israéliens officiels et non-officiels. Ils mettent ainsi à la portée de tous un travail de qualité sur la question du boycott. L’écriture est abordable, le style est fluide. Bref, on est très loin de la littérature soporifique traitant habituellement du sujet. Mais là où les auteurs brillent, c’est par l’argumentaire solide et pertinent qu’ils dressent à l’attention de tous les soutiens du BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions ).
Interview des auteurs Sivan et Laborie par Nadir Dendoune pour Le Courrier de l’Atlas
LCDL : Vous dites que la lutte contre le BDS est devenue une des priorités du gouvernement israélien ?
Oui. Le BDS a été qualifié dernièrement par le gouvernement israélien de « menace stratégique majeure ». Pendant longtemps, les autorités israéliennes ont fait mine d’ignorer la campagne de boycott, surtout parce qu’elle concernait essentiellement le volet économique et qu’elle avait très peu d’impact. En revanche, l’appel au boycott des institutions universitaires et culturelles fait peur à Israël parce qu’il s’attaque frontalement aux campagnes marketing destinées à promouvoir à l’étranger une image idéalisée du pays, importantes à leurs yeux, puisqu’elles sont supposées leur assurer le soutien nécessaire à la poursuite de leurs politiques désastreuses.
Justement pour donner une meilleure image d’Israël, les autorités du pays ont mis en place le « hasbara-marketting ». Comment cela se traduit-il concrètement ?
La hasbara (qui veut dire « explication », en hébreu) est un dispositif gouvernemental israélien qui existe depuis la création du pays en 1948. A l’origine, il s’agissait de répondre aux critiques émanant de l’étranger au sujet de la politique israélienne, en développant un argumentaire explicatif susceptible de justifier les décisions du gouvernement.
Avec la détérioration de l’image d’Israël dans le monde depuis une quinzaine d’années, plutôt que de remettre en question leurs décisions politiques, les gouvernements israéliens ont décidé de renforcer considérablement le dispositif de la hasbara en le complétant de méthodes directement issues du marketing.
Des experts en communication ont conclu que les vieilles images du sionisme (les pionniers, les kibboutzs, le sort des rescapés de la Shoah, etc) ne sont plus « vendables » et qu’il faut éviter l’image d’un pays en guerre pour la promotion du pays.
Ils ont élaboré des campagnes marketing à l’intention des « consommateurs » des pays occidentaux présentant Israël comme un produit attractif, en mettant en avant sa créativité et ses capacités d’innovation, ainsi que sa proximité avec l’Europe et l’Amérique. Il s’agit de détourner les regards de la réalité, et de « vendre le sionisme, sans parler du sionisme ».
Quel rôle joue Tel Aviv dans la campagne marketing d’Israël ?
Un rôle majeur et une grande réussite ! En 15 ans, l’image de Tel Aviv s’est imposée partout dans le monde comme un lieu incontournable en matière innovatrice, culturelle et festive. C’est ainsi que son image est utilisée comme représentative du pays, alors qu’elle est en opposition avec ses réalités.
Sa célèbre gay-pride se célèbre dans un pays où l’homophobie fait pourtant des ravages. Le développement de ses structures dédiées à la culture se fait au détriment des autres villes du pays. Sa modernité occidentale est en contradiction avec la population israélienne qui est majoritairement arabo-orientale. C’est à travers sa prétendue proximité occidentale, libérale et progressiste, qu’Israël devient familier. Aujourd’hui, les gens ne disent plus qu’ils partent en vacances en Israël, mais qu’ils vont à Tel-Aviv !
Vous parlez également du rôle des réseaux sociaux, devenus l’un des axes majeurs du « champ de bataille israélien » pour contrer la menace BDS …
Aujourd’hui, aucune campagne de marketing sérieuse ne peut se passer du digital. Et les conseillers en communication du gouvernement israélien ont vite compris que les opposants aux politiques israéliennes utilisent massivement les réseaux sociaux. Pour que les arguments de défense d’Israël soient audibles, le ministère des Affaires étrangères a entrepris de former des combattants numériques (media warriors) – en recrutant des volontaires parmi les étudiants israéliens, mais aussi parmi des particuliers, un peu partout dans le monde – pour s’assurer une présence sur internet, intervenir sur les forums en ligne, pour réagir aux articles diffusés sur le web, etc. Il y a aussi des plateformes plus explicites, comme par exemple la chaîne youtube de l’armée israélienne qui propose à la fois des reportages sur les opérations militaires et des vidéos humoristiques tournées par les soldats…
Vous parlez aussi d’intimidation ?
A un plus haut niveau, oui ! : Israël exerce des pressions sur les réseaux sociaux. Et ça marche ! Facebook vient de « céder », en acceptant de supprimer les commentaires considérés comme anti-israéliens. Sur la plateforme de paiement en ligne PayPal, la Palestine a disparu, privant ainsi les Palestiniens de son utilisation.
De manière plus large, comment Israël lutte-elle juridiquement face au BDS ?
Les campagnes marketing ont leurs limites…Donc la hasbara, après avoir été un outil d’explication et avoir bénéficié des expertises du marketing, s’est vue complétée par un dispositif d’intimidation et de répression.
Sous l’impulsion de la ministre israélienne de la Justice, Ayelet Shaked qui a mis dans ses objectifs prioritaires la lutte contre la délégitimation d’Israël, avec le soutien actif du ministre des Affaires étrangères qui agit au niveau des chancelleries européennes et du ministre chargé de la lutte contre le BDS, plusieurs ONG et cabinets juridiques dans le monde traquent les activités liées à la campagne BDS et s’emploient à les attaquer en justice.
La France a été exemplaire à ce titre : la circulaire Alliot-Marie (NDRL : alors Garde des Sceaux) de 2010 , considère que les actions ou l’appel au boycott du BDS relèvent de l’incitation à la haine. Ce type de décision va tout-à-fait dans le sens d’Israël qui tend à assimiler les militants du BDS à des terroristes.
Plus la campagne BDS s’étend, plus la répression israélienne s’intensifie. C’est ainsi que, récemment, en mai dernier, un ministre israélien a envisagé « l’élimination civile ciblée » des militants du BDS. Il ne s’agit pas encore de les éliminer physiquement, mais de les criminaliser en les assimilant à des antisémites, voire à des terroristes.
Certains, « à gauche » affirment que le boycott culturel et universitaire d’Israël porterait atteinte à la liberté d’expression…
On présente à l’étranger les institutions universitaires israéliennes comme un bastion de critique et de progressisme, mais toutes ces institutions collaborent avec les appareils sécuritaires, militaires et de renseignement : de nombreuses recherches se font en collaboration avec l’industrie militaire, les travaux pour changer les lois sur la guerre sont menés dans les facs de droit, la fabrication des argumentaires de la hasbara ont lieu dans les université, etc.
On note également à la tête des instituts de recherche, dans les conseils d’administration des universités ou des instituions culturelles une présence massive de militaires à la retraite. Les institutions culturelles consentent à être des porte-drapeaux à l’étranger ou acceptent la normalisation de la colonisation en se produisant dans les colonies, comme par exemple le théâtre national israélien qui vient d’annoncer qu’il allait jouer dans la colonie de Kyriat Arba à Hebron.
L’appel au boycott ne va pas à l’encontre de la liberté d’expression, il en fait partie ! Ceux qui prétendent que le BDS est une atteinte à la liberté d’expression israélienne, ne sont pas choqués par le fait que les institutions culturelles et universitaires israéliennes restent absolument silencieuses sur les atteintes à la liberté d’expression et de création palestinienne, ou sur les discriminations structurelles à l’égard des Palestiniens citoyens d’Israël dans les établissements universitaires israéliens, comme plus généralement à l’égard de la culture arabo-palestinienne et juive-orientale qui est pourtant la culture majoritaire du pays. Cette gauche ne défend pas la liberté d’expression, mais sa liberté d’expression à elle !
Ils disent également que le BDS risquerait d’affaiblir le fameux « Camp de la Paix israélien »…
Le camp de la paix ne travaille pas à la paix, mais au statuquo d’une situation qui, par ailleurs, leur est tout-à-fait favorable. Quand ils s’expriment à l’étranger, en France par exemple, ils tiennent des discours d’opposition modérée et raisonnable qui sont très appréciés. Mais ce ne sont pas des opposants, ce sont des « dissidents officiels » qui collaborent avec le pouvoir pour participer à la promotion d’un pays démocratique. Loin d’être des pacifistes, comme la presse française aime les présenter, leur champ critique est très restreint, par exemple ils ne s’opposent jamais (ou seulement à postériori) aux opérations militaires israéliennes. Fervents adeptes de la séparation par la création de deux Etats et opposés au droit au retour des réfugiés palestiniens, ils constituent la limite entre la critique légitime et celle qui ne l’est pas. Ils tiennent à se distinguer des véritables opposants israéliens : les anticoloniaux…
On reproche aux partisans du boycott d’alimenter l’antisémitisme, voire d’être des antisémites tout court. On leur reproche également de se focaliser uniquement sur Israël alors « qu’ailleurs » où c’est pire, on laisserait faire…
Entretenir obstinément la confusion entre israélien, sioniste et juif permet aux-dits amis d’Israël, non seulement de vouloir prendre en otage tous les juifs du monde, mais aussi de taxer d’antisémitisme toute opposition aux politiques menées par le pays.
La campagne BDS s’inscrit dans la définition de la liberté d’expression telle que définie par les Nations Unies et est très claire à ce sujet : le boycott ne s’applique pas aux individus sur la base de leur identité c’est-à-dire leur nationalité, leur genre, leur religion ou même leur opinion ; il vise les institutions et ceux/celles qui les soutiennent.
C’est un fait, d’autres pays sont bien pire qu’Israël (comme la Syrie, le Soudan, la Somalie, la Chine ou la Turquie, etc.), mais ces pays-là ne prétendent pas être des démocraties occidentales et ne sont pas considérées comme telles à l’étranger.
Nombre d’entre eux sont par ailleurs objets de sanctions sévères.
L’Etat d’Israël revendique être une démocratie et est considérée comme telle, mais a toujours refusé de se conformer aux résolutions de l’ONU le concernant sans jamais être sanctionné par les instances internationales. Non seulement les discours occidentaux sur la démocratie et les droits de l’homme perdent toute crédibilité face à cette attitude, mais cette impunité fait d’Israël une exception, et c’est cette exceptionnalité que la campagne BDS entend combat.
Publié le 4 novembre 2016 sur Le Courrier de l’Atlas
Vidéo
Le réalisateur Eyal Sivan, auteur entre autres films importants de « Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël » (avec Michel Khleifi) et récemment de « Jaffa, la mécanique de l’orange » *, rappelle un certain nombre de choses simples à propos de la fonction politique de la culture et son rôle dans la politique des États, et plus particulièrement dans le cas d’Israël