Johan De Poortere : Les villages disparus de Palestine
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Avec une exposition de photographies du journaliste Johan Depoortere, la section Culture de l’ACOD (CGSP flamande) attire l’attention sur un crime que le rideau de fumée festif du festival Eurovision de la chanson en Israël entend soustraire à nos regards.
Ayn Hawd 2018. (Photo : Johan Depoortere)
Dans les milieux syndicaux, la solidarité internationale avec les Palestiniens gagne en ampleur. De plus en plus de syndicats du monde entier dénoncent les violations des droits de l’homme par Israël. Au Royaume-Uni, en Irlande, en Norvège, en Afrique du Sud et chez nous aussi, les secteurs et centrales syndicaux y vont de déclarations collectives de solidarité.
En Suède, en Turquie, en Inde et aux États-Unis, depuis pas mal d’années déjà, les syndicats des dockers ont répondu à l’appel des syndicats palestiniens à bloquer le chargement et le déchargement des transporteurs de fret israéliens au lendemain de l’agression sanglante de l’armée israélienne contre la mission de paix de la « Gaza Freedom Flotilla ».
L’appel des artistes palestiniens à un boycott culturel international contre Israël trouve de plus en plus d’audience dans le monde de l’art et des médias. En tant que syndicat culturel progressiste, nous soutenons cette campagne : Nous ne pouvons tout simplement jamais tolérer le racisme, l’épuration ethnique, la colonisation et l’apartheid.
Nous rendons également notre soutien concret, par exemple, via une exposition de protestation. C’est en même temps une occasion d’inviter les gens à une visite et, éventuellement, à réfléchir à la façon dont, tous ensemble, nous pouvons soutenir cette campagne de solidarité. Les organisations qui estiment que le boycott est une exigence de seuil élevé peuvent d’ores et déjà réclamer pour leurs membres ou collaborateurs le droit de soutenir cette action non violente en faveur des droits humains qu’est la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
L’exposition constitue en même temps l’occasion d’avoir un entretien avec Johan Depoortere (né en 1944), germaniste de formation qui a travaillé comme journaliste pour la BRT/VRT de 1973 à 2009. Il a réalisé des reportages sur les régions en conflit au Moyen-Orient, en Amérique centrale et du Sud et il a également été correspondant à Moscou (1996-2000) et à Washington (2004-2009).
Wies Descheemaeker : En tant que correspondant à l’étranger de la VRT, vous avez une grande expérience des régions en conflit. Au Moyen-Orient aussi, avec la guerre civile au Liban, en 1976, et la guerre en Afghanistan, en 2001. Retraité depuis, vous êtes retourné en Palestine pour un projet photographique. Pourquoi ce choix ?
Johan Depoortere : Depuis longtemps, je suis fasciné par ce qui se passe dans cette région. J’y ai séjourné comme correspondant dans les années 1970, durant la guerre civile au Liban. À l’époque, on ne parlait pas beaucoup d’Israël dans les médias, bien que ce pays ait joué un grand rôle dans ce conflit. Ils voulaient non seulement que les Palestiniens s’en aillent de là, mais ils entendaient également prouver qu’un tel État multiconfessionnel, où chrétiens et musulmans cohabitent, ne peut fonctionner.
L’Université de Tel-Aviv. Sous le campus se trouvent les restes du village palestinien détruit de Sheikh Muwanis. (Photo : Johan Depoortere)
Plus tard, j’y ai encore effectué un séjour lors de la première Intifada, l’insurrection des Palestiniens contre l’occupation israélienne. J’y suis de nouveau allé lors de la deuxième insurrection et de l’occupation israélienne de Ramallah, en 2002, quand le Premier ministre Sharon a assiégé le quartier général d’Arafat, après quoi celui-ci a dû vivre sous contrôle israélien permanent. En fait, ce conflit ne m’a plus jamais laissé un instant de répit. Il s’agit de l’une des plus grandes injustices de notre époque : les Palestiniens sont les victimes des victimes du siècle dernier.
Je jouais depuis plus longtemps encore avec l’idée d’y retourner un jour et de photographier les villages. Au début, c’était simplement un projet personnel mais, en en discutant avec Lucas Catherine, le spécialiste de la Palestine, le plan a germé d’en faire une exposition. J’en suis content car, dans les médias, le discours pro-israélien est si dominant que toute voix contradictoire est la bienvenue.
WD : Voilà maintenant que votre histoire est proposée dans un centre médiatique, à savoir les bâtiments de la VRT. Notre syndicat a eu l’autorisation de monter l’exposition, à condition, il est vrai, que la chose soit présentée dans un endroit où il n’y aura pas d’invités, de sorte qu’il s’agira d’une exposition interne.
JD : Oui, cela, c’est en raison de la crainte. Le lobby israélien est très actif, dans notre pays. Les gens qui critiquent se font aussitôt accuser d’antisémitisme, alors que, naturellement, ce sont ces pro-israéliens, qui sont les racistes. On s’en prend en permanence aux journalistes et aux rédactions. Il s’ensuit que, sous le prétexte de la « sacro-sainte neutralité », les médias ne laissent quasiment plus passer le moindre discours contradictoire.
WD : A-t-il été difficile de se rendre sur place et de prendre des photos ? Vous avez eu des problèmes aux check-points ?
JD : J’ai eu de la chance, ils ne m’ont pas reconduit à la frontière. Sur place, j’en ai parlé avec Jonathan Cook, un journaliste britannique connu, très critique, qui habite là-bas. Son explication est que, face aux dissidents, Israël pèse le pour et le contre : les tolérer ou les renvoyer et, dans ce dernier cas, déclencher beaucoup de bruit dans la presse étrangère.
Si j’avais travaillé sur la campagne BDS, ç’aurait été bien plus difficile. Cette campagne leur fait vraiment mal, d’où la contre-réaction virulente aux États-Unis, par exemple.
On peut donc travailler sous le radar, en utilisant l’image qu’Israël entend cultiver comme pays ouvert et démocratique. Ce qui fait également une différence, c’est que, cette fois, je ne suis pas allé en Cisjordanie. Surtout pour des raisons pratiques car, alors, il faut passer par tous ces check-points, où l’on perd un temps fou. Ce n’était pas mon intention non plus car je voulais faire mes recherches en Israël même.
WD : Comment ont réagi les Palestiniens, du moins, ceux qui étaient encore présents ?
JD : J’en ai peu rencontré, sauf à Nazareth, qui est une région arabe. Là, j’ai toutefois interviewé des gens des villages. Il est vrai que la plupart des Palestiniens des villages ont fui vers l’étranger ou cohabitent dans un quartier arabe, dans une ville située sur le territoire israélien.
Ainsi, il y avait un vieillard qui m’a raconté ce qui s’était passé avec son village. Ce sont des entretiens pleins d’émotion car les gens ne peuvent pas retourner dans leurs villages. Ils sont clôturés avec des barbelés et celui qui y retourne risque d’être abattu. Aujourd’hui, toutefois, la situation est un peu plus souple, mais quand même.
Bien des Palestiniens portent sur eux la clef de leur maison perdue, en guise de symbole. De nombreux villages ont été détruits. Ils sont en ruine ou ont été accaparés par un kibboutz.
WD : La photographie est l’art de faire des choix. Qu’est-ce qui était déterminant, chez vous, pour fixer votre objectif ?
JD : J’ai surtout cherché le lien avec la Belgique. Ainsi, il y a le « bois du roi Baudouin », par exemple, qui a été planté sur l’emplacement d’un village palestinien détruit. Les ruines de la petite église vide y sont encore présentes. Israël la laisse là parce qu’il ne veut pas brusquer le Vatican. Ces églises sont là, maintenant, comme des pierres tombales, en quelque sorte.
L’une des deux petites églises chrétiennes qui ont survécu à la démolition complète et à l’épuration ethnique dans le village de Maalul, dans les environs de Nazareth. (Photo : Johan Depoortere)
Ou encore le village palestinien d’Ayn Hawd (aujourd’hui, Ein Hod) à proximité de Haïfa et qui est actuellement une colonie pour artistes juifs. Ils y ont transformé la mosquée en café. Janco, l’homme qui a eu l’idée de faire un centre artistique du village volé était membre du groupe de Français Marcel Duchamp, l’un des artistes à l’origine du mouvement dada.
Ce qui est intéressant aussi, c’est ce qu’écrit le guide de voyage Trotter sur cet endroit : « Un village de 19e siècle, qui a été tout à fait déserté durant la guerre de 1948, mais qui n’a pas été détruit. » Qui a été déserté ! Ce n’est bien sûr pas vrai – les Palestiniens se sont enfuis avec les canons des fusils pointés dans leur dos. Ou comment d’innocentes informations de voyage versent dans la falsification historique !
J’étais aussi à la recherche de ce genre d’endroits. Par exemple, je me suis également informé via des contacts comme Eitan Bronstein. Juif, il a grandi dans un kibboutz et, quand il était gosse, il jouait dans les ruines de villages disparus. Ce n’est que bien plus tard qu’il a appris ce qui s’y était passé et, dès lors, il est allé rendre visite aux gens afin de donner une voix à leur vécu via l’organisation de conférences et d’excursions. En effet, bien des Israéliens ne connaissent pas l’histoire de ces villages.
Il a également cofondé l’organisation de-colonizer. Les Juifs qui prennent l’initiative de conscientiser d’autres Israéliens à propos de cette histoire ensevelie – littéralement, dans ce cas, la maison Etzel, « le musée des vainqueurs », à Jaffa, se trouve aujourd’hui sur une étendue dépouillée où se situait jadis un village – sont fortement pris à partie dans leur propre pays. C’est naturellement un sujet sensible car comment peut-on les empêcher de parler en tant qu’« ennemis » ou les accuser d’antisémitisme ?
WD : Bien des choses qui se sont passées là reçoivent peu d’attention de la part des médias. À quoi cela tient-il, selon vous ?
JD : Les médias traditionnels reprennent le discours à l’honneur en Israël. Ils cachent beaucoup de choses et, quand on en parle malgré tout, dans ce cas, les termes utilisés sont très subjectifs. Par exemple, quand les manifestants palestiniens se font sciemment descendre sur leur propre territoire par les tireurs d’élite de l’armée d’occupation israélienne, l’un des journaux titre : « La violence à Gaza fait des victimes ». Comme s’il s’agissait quand même d’un conflit complexe et non d’une affaire d’oppresseurs et d’opprimés. Cette neutralité n’est autre qu’une forme de complicité.
Cela vient en partie de la peur des réactions, mais aussi des grosses agences de presse qui, en tant que fournisseurs d’informations, le font avec partialité, et parce que les décideurs politiques des États membres de l’UE sont pro-israéliens et que, partant, leur communication va dans ce sens. Il est difficile de rompre le vieux consensus – Israël, c’est bien, il véhicule nos valeurs européennes, c’est un pays démocratique, etc. – mais ce consensus s’effrite malgré tout.
WD : Quand on remarque tout cela en tant que journaliste, cette façon de détourner le regard des violations des droits de l’homme, comment va-t-on alors aborder la chose en tant que simple être humain ?
JD : On essaie tout de même de faire quelque chose, comme se rendre sur place pour prendre des photos, car les moindres choses peuvent servir. Ou en soutenant la campagne BDS. Les Palestiniens ont déjà tout essayé – protestations, négociations, violence, etc. – et, pourtant, les implantations se poursuivent. On parle de moins en moins du processus de paix, si ce n’est comme rideau de fumée. La seule chose qui marche vraiment, aujourd’hui, c’est le mouvement BDS. Si le lobby sioniste réagit à cette campagne avec tant de virulence, c’est naturellement parce qu’elle exerce un effet certain.
Par exemple, de plus en plus d’Américains estiment aujourd’hui que ce soutien inconditionnel des États-Unis à Israël doit être réexaminé. C’est toutefois leur dernier allié. Aux États-Unis, ce sont surtout les jeunes, qui sont critiques : le débat BDS est très vivace, dans les campus universitaires. C’est un vecteur d’espoir.
Al Jazeera a d’ailleurs réalisé un documentaire édifiant sur la façon dont le lobby israélien combat cet activisme au Royaume-Uni et aux États-Unis en recourant à une campagne de haine et à la répression. Cela illustre quand même à quel point les sionistes ont perdu ce débat.
WD : Bien que, militairement, Israël soit un pays très puissant, il perd manifestement de sa légitimité et se retrouve progressivement dans l’isolement. Quand on cherche du soutien surtout du côté de potentats radicaux de droite comme Trump, d’un admirateur d’Hitler comme le président philippin Duterte, d’un antisémite déclaré comme Viktor Orban ou même des Saoudiens, cela en dit quand même long sur le manque de base portante. Israël est-il en train de perdre son combat ?
JD : Ce n’est pas encore aujourd’hui ou demain que les choses vont changer, soyons clairs. Mais, de l’Afrique du Sud aussi, on avait l’impression qu’elle allait toujours rester un État d’apartheid. En outre, il y a la bombe à retardement démographique : Si Israël devait annexer la Cisjordanie, ce serait la fin de son État juif tel qu’il l’envisage. D’où le fait qu’il se cramponne avec autant de crainte à un apartheid pur et dur. Quant aux ponts vers d’autres communautés, c’est eux-mêmes qui, dans le passé, les ont fait sauter en recourant à toute une violence sauvage.
La répression hélas, va encore s’aggraver. On voit maintenant déjà à quel point l’on réduit les quartiers arabes afin, ensuite, d’y construire de nouvelles et grandes villes juives situées de façon stratégique. Mais, là aussi, Israël est confronté à un problème : Après la chute de l’Union soviétique, bien des migrants russes sont venus en Israël et le plan prévoyait qu’ils allaient habiter dans ces villes. Aujourd’hui, il s’avère qu’ils ne veulent pas y rester, ils déménagent eux-mêmes vers les régions côtières, par exemple, de sorte que ces nouveaux projets se muent en villes fantômes.
Il s’ensuit que les Palestiniens, qui sont aux prises avec un grave problème du logement, viennent y habiter et que ces quartiers risquent de devenir des cités arabes. En réaction, Israël essaie par toutes sortes de mesures d’y attirer de nombreux juifs orthodoxes, du fait que ceux-ci veulent avoir beaucoup d’enfants. Il va de soi que cela ne fera qu’accroître la radicalisation.
WD : Aujourd’hui, la campagne BDS reçoit également de plus en plus de soutien des syndicats. C’est logique car, non seulement, si ces derniers luttent pour les droits des travailleurs, ils font également partie du mouvement progressiste qui se bat pour une organisation plus démocratique de notre société. Que pensez-vous de l’importance de la chose ?
JD : Cela s’inscrit dans le cadre d’un changement général. N’oubliez pas qu’il y a quelques décennies, Israël menait – selon ses dires – une politique social-démocratique et pouvait pour cela compter également sur le soutien des progressistes de chez nous. Aujourd’hui, c’est en train de changer selon un tempo rapide.
Pensons à la campagne calomnieuse contre Jeremy Corbyn, du Parti travailliste, tout simplement parce qu’il désire soutenir le droit à l’autodétermination des Palestiniens. À droite, on voit un mouvement contraire : Il y a quelques années, la N-VA était encore pleinement favorable au droit à l’autodétermination du peuple palestinien et, aujourd’hui, elle propose un sioniste radical comme Michaël Freilich sur sa liste électorale.
Pendant des années, Israël a su se faire passer pour un pays progressiste, bien qu’un des fondements du sioniste soit le travail juif, le Jewish Labour : Il était par exemple interdit aux non-juifs de travailler dans les plantations agricoles. Pourtant, dans les années 1940 et 1950, de nombreux employeurs juifs préféraient travailler avec des travailleurs arabes, du fait qu’ils étaient meilleur marché.
Ensuite, il y a eu les subsides pour embaucher des travailleurs juifs. D’ailleurs, le Jewish Labour, et c’est vrai aussi pour une grande partie des syndicats israéliens, veut non seulement prendre la terre en possession, mais aussi contrôler la main-d’œuvre. L’apartheid était donc déjà manifeste à l’époque et on ne peut en aucun cas qualifier la chose de progressiste.
WD : Israël essaie de porter le discrédit sur les critiques en appliquant la stratégie que voici : « Criminalisez le messager et nous ne devrons plus parler du message ». Avez-vous vécu la chose, vous aussi ?
JD : Non, mais on voit bien comment l’on tente systématiquement de noircir les gens en public en les associant soit au Hamas, soit à l’antisémitisme. De la sorte, ils nous refusent notre droit démocratique à la libre expression.
Cela va encore plus loin : Le lobby israélien encourage l’UE à revoir la définition de l’antisémitisme de façon que toute critique de la politique israélienne puisse être punissable dans les États membres.
C’est vraiment une attaque contre notre liberté et notre démocratie et c’est très dangereux également pour nos compatriotes juifs en ces temps où l’extrême droite risque de devenir présente partout et où l’antisémitisme véritable est à la hausse.
Israël favorise hélas l’antisémitisme en assimilant « juifs » et « sionistes ». Il est donc logique que nombre d’organisations juives protestent contre la chose. Aussi sont-elles rejetées en tant que « juifs se haïssant eux-mêmes ». Et, ici, la rhétorique est loin de faire défaut.
WD : L’archevêque Desmond Tutu a déclaré que, des décennies durant, Israël a pu mener une politique d’oppression parce qu’il avait su utiliser le génocide nazi, et plus précisément la douleur et le sentiment de culpabilité régnant à ce propos en Occident, comme un bouclier contre les critiques. Et ce sont les Palestiniens qui doivent en payer le prix. Cela joue-t-il toujours un rôle, selon vous ?
JD : Naturellement. Bien des débats sont court-circuités pour de bon en recourant à l’Holocauste. Norman Finkelstein, un historien américain, a écrit un livre, à ce propos : L’industrie de l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs.
Selon la nouvelle définition de l’antisémitisme pour laquelle l’International Holocaust Remembrance Alliancefait du lobbying (et pour laquelle, notons-le, Jean-Jacques De Gucht, de l’Open VLD est parvenu à faire passer au Sénat belge une résolution conseillant de l’adopter comme définition de travail juridique non contraignante en tant qu’instrument d’accompagnement, entre autres pour l’enseignement et les formations, NDLR), on est antisémite quand on compare les sionistes aux nazis. Bien que le Premier ministre Netanyahou traite en permanence ses adversaires de « nouveaux Hitlers », ce qui équivaut indirectement à une relativisation de la Shoah.
En Israël même, il faut aussi faire une distinction entre ceux qui expriment des critiques à l’égard des territoires occupés et ceux qui osent vraiment remettre en question les fondements du sionisme. À l’intérieur d’Israël, ces derniers éprouvaient déjà d’énormes difficultés sur le plan de la liberté d’expression et cela s’est encore aggravé depuis qu’Israël s’est officiellement proclamé « État-nation juif ».
On assiste donc à un glissement : Naguère, on pouvait neutraliser les critiques contre Israël par la voie morale et, maintenant que cela ne marche plus, on essaie de les rendre punissables par la voie juridique. Les partis politiques qui proclament qu’ils sont pour les valeurs occidentales et la liberté collaborent à cette répression.
WD : En même temps, Israël entend précisément défendre cette image d’avant-poste occidental dans un « Moyen-Orient barbare ». D’où le fait que le concours Eurovision l’arrange bien. Est-ce un moyen de propagande ?
JD : C’est pourquoi l’an dernier il s’est donné tant de mal pour que s’y déroulent des étapes du Tour d’Italie. Le Giro qui démarre en Israël, comme si ce n’était pas un coup de promotion politique !?!
Pour les sionistes, il est très important de susciter l’impression que tout va bien en Israël et qu’on y vit dans une société pacifique respectant la diversité. Le concours Eurovision se prête bien au blanchiment (whitewashing) et au pinkwashing. Ce blanchiment peut également être considéré au pied de la lettre, car il n’y sera sans doute nullement question des Palestiniens.
Le festival de la chanson servira de lubrifiant culturel de choses qui vont à l’encontre des normes et valeurs figurant dans la vitrine de l’Occident. En parlant de fausse note : nous sommes confrontés ici à la promotion d’une forme extrême de nationalisme ethnique. Une forme qui, selon la bonne vieille logique coloniale, estime qu’on peut chasser une population autochtone par la violence du fait que, quelque part dans une arrière-salle occidentale, un accord a été signé disant qu’on pouvait revendiquer la terre où vivait cette population.
Le lobby israélien s’engage à fond dans un combat culturel, il détourne l’art et la culture afin de servir ses propres fins politiques. C’est précisément pour cette raison que les artistes et les défenseurs de la culture attachant de l’importance à la liberté artistique doivent réagir, ici : pas en notre nom !
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