Une nouvelle lettre ouverte au ministre De Croo

À : M. Alexander De Croo, Vice-Premier ministre et ministre des Finances, chargé de la Lutte contre la fraude fiscale, et ministre de la Coopération au développement.

Monsieur le Vice-Premier Ministre,

Voici quelques mois, en septembre 2018, vous avez pu prendre connaissance, en votre qualité de ministre de la Coopération au développement, de notre commentaire critique à propos de votre décision de mettre un terme à la collaboration avec le ministère palestinien de l’Enseignement.

Pour rappel, nous vous renvoyons à deux lettres ouvertes :

* « ‘Vrijheidsstrijder’ versus ‘Terrorist’ (‘Combattant de la liberté’ vs.’ terroriste’) : Lettre ouverte à Alexander De Croo, ministre de la Collaboration au développement » (H. De Ley, De Wereld Morgen, 21 septembre 2018 ) : cliquez ici !

 * « Lettre ouverte à Alexander De Croo, Vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement » (H. De Ley, Pour la Palestine, 19 sept 2018 )

* « ‘Moreel verwerpelijk’ (‘Moralement condamnable’) : Seconde lettre ouverte au ministre Alexander De Croo » (H. De Ley, De Wereld Morgen, 28 septembre 2018 )

Vous motiviez cette lourde décision – elle touche une population autochtone militairement soumise et persécutée depuis plus d’un demi-siècle – par la dénomination nationaliste, à vos yeux inquiétante (« terroriste »), d’un certain nombre d’écoles.

Devons-nous comprendre que, par cette mesure de sanction, vous exprimiez votre engagement moral vis-à-vis de l’enseignement palestinien (comme nous l’ont enseigné les Romains : « Qui bene amat, bene castigat » – « Qui aime bien, châtie bien ») ?

C’est pourquoi, par la présente, nous osons exprimer notre espoir de vous voir réagir de façon tout aussi décidée au rapport sévère émanant du Bureau pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient de l’UNICEF et de l’UNESCO et concernant l’intervention militaire israélienne contre l’enseignement palestinien dans les Territoires occupés.

Ces deux organismes très écoutés font état publiquement de leur profonde inquiétude à propos des effets destructeurs, également sur le plan pédagogique, de la violence militaire systémique exercée par l’armée d’occupation à l’encontre des écoles palestiniennes, de leur infrastructure et de leurs jeunes élèves.

« Les enfants », insistons-nous (traduction réalisée par nos soins), « ne peuvent jamais être la cible de la violence et ils ne peuvent être exposés à quelque forme de violence que ce soit ».

Car : « Les écoles devraient être respectées en tant que lieux d’enseignement, de sécurité et de stabilité. Le local de classe doit être un lieu de refuge (sanctuary) contre les conflits, un lieu où les enfants peuvent acquérir des connaissances et se développer en vue de devenir des citoyens actifs. »

Voyez le communiqué de presse très détaillé de l‘UNICEF, le 30 janvier : « Right to education deeply impacted by ongoing interference in schools » (« L’impact profond sur le droit à l’éducation des ingérences actuelles dans les écoles »).

Pour votre information, nous reproduisons au bas de la présente le texte complet de la désapprobation sévère exprimée par les instances des Nations unies pour l’enseignement et la culture à l’encontre de l’occupant israélien de la Cisjordanie, occupant qui, rappelons-le, est associé à l’UE et, partant, à la Belgique (cf l’accord d’association EU-Israël de 1995, entré en vigueur en 2000).

À ce titre, d’ailleurs, force nous est de constater que la violence physique envers les enfants et les mineurs d’âge palestiniens – violence émanant des forces armées de la sécurité israélienne et, de plus en plus aussi, des colons fanatiques – ne se limite pas à l’enseignement.

Nous renvoyons également, ici, au dernier rapport annuel, particulièrement éloquent, de l’organisation bien connue en faveur des droits de l’enfance, « Defense for Children International – Palestine » : « Year-in-review: 2018 rained deadly force on Palestinian children » (« Compte rendu annuel : 2018 – déferlement de la violence sur les enfants palestiniens – 31 décembre 2018).

Ce rapport dénonce une violence mortelle croissante des plus alarmantes (en sus des grenades lacrymogènes et des balles enrobées de caoutchouc, les soldats tirent de plus en plus à balles réelles), non seulement contre les adultes, mais désormais aussi contre les enfants et les adolescents (traduction réalisée par nos soins) :

« Les forces combattantes israéliennes ont continué de tuer des enfants palestiniens en 2018 et ce, à un rythme moyen de plus d’un enfant par semaine. À l’issue malheureuse des 52 semaines, 56 enfants palestiniens avaient été tués du fait d’actions des forces combattantes israéliennes. »

De même, ce triste rapport annuel consacre également son attention aux dizaines de jeunes (183) qui, l’an dernier, ont été blessés, souvent grièvement, suite à la violence militaire. Fait particulièrement inquiétant, sur ce plan, il est fait mention du sort de « 19 enfants qui, suite à leurs blessures, conserveront un handicap physique durant toute leur vie ».

Enfin, dans ce bref aperçu de la persécution des enfants palestiniens par le régime colonial israélien, on ne peut passer sous silence les centaines de mineurs d’âge qui, chaque année, au cours de razzias nocturnes et autres d’une grande violence, sont arrêtés, interrogés, jugés et incarcérés dans les prisons israéliennes. Comme l’écrit DCI-P (traduction réalisée par nos soins) :

« Israël bénéficie du douteux honneur d’être le seul pays au monde qui, chaque année, poursuit quelque 700 enfants devant des tribunaux militaires, et ce, en contradiction avec les droits fondamentaux à un procès en bonne et due forme. Les enfants aux prises avec le système militaire israélien font généralement mention de mauvais traitements tant verbaux que physiques dès le moment de leur arrestation, de même que de contraintes et de menaces durant les interrogatoires. »

Monsieur le ministre, dans tout ceci, nous désirons nous abstenir de recourir à de grandes phrases. Pour en revenir au récent rapport de l’UNICEF et de l’UNESCO sur la violence quotidienne contre les écoles et les élèves, nous osons d’avance espérer qu’en votre qualité de ministre de la Coopération au développement, (1) vous condamnerez non seulement la politique répressive à cet égard des autorités israéliennes, mais (2) qu’en guise d’expression concrète de votre souci (et, partant, celui de toute la Belgique) pour le bien-être pédagogique des jeunes Palestiniens, vous aurez à cœur de reprendre votre collaboration avec le ministère palestinien de l’Enseignement.

Avec nos salutations amicales,

Pr ém. & Dr Ludo Abicht, Université d’Anvers,
Pr ém. & Dr Mateo Alaluf, Université Libre de Bruxelles,
Pr & Dr Karel Arnaut, KU Leuven,
Pr & Dr Koen Bogaert, Université de Gand,
Pre & Dre Eva Brems, Human Rights Centre, Université de Gand,
Pr & Dr Bert Cornillie, KU Leuven,
Pr ém. & Dr Frans Daems, Université d’Anvers,
Pr ém. & Dr Eric David, Université Libre de Bruxelles,
Pr ém & Dr Marc David, Université d’Anvers,
Pr & Dr Patrick Deboosere, Vrije Universiteit Brussel,
Ludo De Brabander, chercheur indépendant,
Dr Pascal Debruyne, chercheur sciences politiques,
Pr & Dr Lieven De Cauter, KU Leuven,
Pr & Dr Carine Defoort, KU Leuven,
Pr ém. & Dr Herman De Ley, Université de Gand,
Pr ém. & Dr Marc Demeyere, Université de Gand,
Pr ém. & Dr Ruddy Doom, Université de Gand,
Pr & Dr Serge Deruette, Université de Mons,
Pr ém. & Jan Engelen, KU Leuven,
Lieve Franssen, dirigeante du Brussels Brecht-Eislerkoor,
Pr ém. & Dr Jean-Marie Frère, Université de Liège,
Pr ém. & Dr Victor Ginsburgh, Université Libre de Bruxelles,
Mireille Gleizes, School of Arts, Gand,
Carl Gydé, directeur du CAMPO,
Pre & Dre Perrine Humblet, Université Libre de Bruxelles,
Dr Patrick Italiano, Université de Liège,
Joris Iven, poète-traducteur,
Dr Omar Jabary Salamanca, Université de Gand,
Pr & Dr Marc Jacquemain, Université de Liège,
Pre ém. & Dre Madeline Lutjeharms, Vrije Universiteit Brussel,
Franz Marijnen, metteur en scène,
Pre & Dre Anne Morelli, Université Libre de Bruxelles,
Pre ém. & Dre Christine Pagnoulle, Université de Liège,
Alain Platel, Les Ballets C de la B,
Mong Rosseel, dramaturge,
Pre ém. & Dre Christiane Schomblond, Université Libre de Bruxelles,
Dr Nozomi Takahashi, VIB, Université de Gand,
Robrecht Vanderbeeken, philosophe et secrétaire nationale de l’ACOD Cultuur,
Pr & Dr Thomas Van Riet, KU Leuven,
Pr ém. Aviel Verbruggen, Université d’Anvers,
Pr & Dr Karin Verelst, Vrije Universiteit Brussel,
Erik Vlaminck, président du PEN-Flandre,
Pr et Dr Hendrik Vos, Université de Gand,
Dr Grégoire Wallenborn, Université Libre de Bruxelles.
Viona Westra, ancienne journaliste / chercheuse,
Dominique Willaert, dramaturge Victoria Deluxe,
Pr & Dr Karim Zahidi, Université d’Anvers,
Pr & Dr Sami Zemni, Université de Gand

Adresse de contact :

Herman De Ley

herman.deley@ugent.be

Marwan et Hamid, son petit frère de 8 ans, approchent d’un checkpoint situé au bout de leur rue. – UNICEF/UN0222675/Izhiman

Communiqué de presse, 30 janvier 2019 :

« L’impact profond sur le droit à l’éducation des ingérences actuelles dans les écoles » 

Déclaration commune du coordinateur humanitaire, Jamie McGoldrick, de la représentante spéciale de l’UNICEF, Geneviève Boutin, et de l’UNESCO.

Jérusalem-Est / Ramallah, 30 janvier 2019

« Au moment où les cours reprennent dans l’État de Palestine, nous restons profondément préoccupés par le nombre élevé d’incidents ou actes d’ingérence rapportés dans les écoles de Cisjordanie ou dans leur voisinage immédiat depuis le début de l’année scolaire. Ces incidents ont un impact sur l’accès en toute sécurité des enfants à l’éducation. Les incidents ou actes d’ingérence des forces israéliennes dans les écoles, les démolitions, les menaces de démolition, les heurts sur le chemin de l’école entre écoliers et forces sécuritaires, le blocage des enseignants aux check-points et les actions violentes des forces israéliennes et des colons par la même occasion, ont un impact sur l’accès à un environnement d’étude sécurisé et sur le droit à une éducation de qualité pour des milliers d’enfants palestiniens.

« Entre janvier et décembre 2018, l’ONU a recensé 111 actes d’ingérence dans l’éducation en Cisjordanie, lesquels ont affecté 19 196 enfants, soit une moyenne de plus de deux violations par semaine. Plus de la moitié des incidents examinés impliquaient des tirs par les forces israéliennes de balles réelles, de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes dans les écoles mêmes ou dans leur environnement immédiat. Ces actes ont un impact certain sur les cours mêmes et blessent des enfants. Près de deux tiers de tous les actes d’ingérence examinés dans les écoles de Cisjordanie ont eu lieu durant les quatre derniers mois de 2018.

« Actuellement, une cinquantaine d’écoles de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, sont menacées de démolition. En 2018, cinq écoles de Cisjordanie ont été démolies ou saisies par les autorités israéliennes, y compris l’école de la communauté d’Izbiq, au nord de Naplouse, l’école d’Al Semey, au sud de Hébron, et les écoles Abu Nuwar et Jabel Baba à Jérusalem-Est. De même, depuis la mi-octobre 2018, l’école Sawiya al Luban au sud de Naplouse a été fermée durant une journée et l’école du village de Khan al-Ahmar, à l’est de Jérusalem, reste sous menace de démolition, ainsi que le reste du village. L’école secondaire pour garçons d’Orief, près de Naplouse, a été elle aussi fermée de force à deux reprises en raison de la violence des colons et certains enfants de cette école ont été hospitalisés avec de multiples blessures, y compris par des armes à feu. Dans la zone H2 de Hébron, on utilise régulièrement les gaz lacrymogènes autour des écoles et de nouvelles mesures vont désormais entrer en application aux check-points, lesquelles exposeront étudiants et professeurs à la violence – dans une école particulièrement touchée de H2, plus de 20 incidents de ce genre ont été répertoriés pour la seule année 2018.

« De plus, au cours de l’escalade militaire qui a eu lieu du 11 au 13 novembre, des écoles de Gaza et du sud d’Israël ont été fermées au moins pendant une journée, dont quatre écoles de Gaza qui ont subi des dégâts mineurs et un centre de soutien à l’enseignement ainsi qu’un jardin d’enfants qui ont souffert de dommages sévères.

« Les écoles devraient être respectées en tant que lieux d’enseignement, de sécurité et de stabilité. Le local de classe doit être un lieu de refuge (sanctuary) contre les conflits, un lieu où les enfants peuvent acquérir des connaissances et se développer en vue de devenir des citoyens actifs.

« Les enfants ne devraient jamais être la cible de la violence ni non plus être exposés à quelque violence que ce soit. »


Lettre envoyée par Herman De Ley
Traduction : Jean-Marie Flémal

Publication : 5 février 2019

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