Le sumoud vit dans les camps palestiniens du Liban

Les camps palestiniens du Sud-Liban occupent une place spéciale dans l’histoire de la résistance à l’agression et à l’expansionnisme israéliens.

Leurs résidents, de même que leurs compatriotes libanais, ont souvent été aux premières lignes pour affronter les raids aériens et incursions incessantes d’Israël, puis, naturellement, la brutale invasion israélienne de 1982.

Tout cela a défini la raison d’être de ces camps palestiniens, à l’époque et aujourd’hui, mais le tribut prélevé sur leur population a également été très lourd.

Le cimetière des martyrs palestiniens à Beyrouth. (Photo : Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

Le cimetière des martyrs palestiniens à Beyrouth. (Photo : Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

Retourner au Liban après plus de 4 décennies a été une expérience dont les implications étaient personnelles et politiques. Je revenais sur les lieux où j’avais été confrontée pour la première fois à la lutte palestinienne, qui allait préciser à jamais la trajectoire de mon activisme. La majeure partie de cette inspiration est venue des Palestiniens que j’ai rencontrés dans les camps de réfugiés, tant autour de Beyrouth que dans le sud.

Le trajet vers le sud au départ de Beyrouth dans les années 1970 était très différent de ce qu’il est aujourd’hui. La nouvelle autoroute n’est en rien comparable à l’ancienne route côtière, truffée de nids de poule qui brisaient littéralement les essieux des voitures. La première partie de cette nouvelle route est bordée d’un haut mur qui empêche de voir la mer et c’est une continuation de ce qui existait déjà le long d’une grande partie de la ligne côtière privatisée de Beyrouth. Aux étonnantes plantations d’agrumes d’il y a 4 décennies (qui produisaient les plus grosses oranges que j’aie jamais vues) se sont ajoutées de vastes bananeraies, entrecoupées de zones où l’on construit avec frénésie et d’autres où l’on brûle des monceaux d’immondices. Quand on s’approche de Saïda (Sidon) et de Tyr, on s’aperçoit que ces deux villes elles aussi ont été gagnés par la folie de la construction et du développement qui semble définir le Liban d’aujourd’hui.

Au contraire de Beyrouth, la plupart des camps de réfugiés dans le sud abritent toujours une majorité de résidents palestiniens et c’est sans doute en raison de cette particularité démographique qu’il y a davantage de continuité avec le passé. Bien que, physiquement, ces camps aient les mêmes caractéristiques que les autres au Liban (les rues étroites et, au-dessus des têtes, tout un fouillis de fils électriques), dans le camp de Burj el Shamali, près de Tyr, par exemple, le sentiment de fierté d’être palestinien semblait plus palpable, moins atténué. Le camp a gardé une certaine cohésion sociale, avec les larges familles accueillantes et une communauté très soudée qui partagent une histoire et une destinée communes.

Le camp de Burj el Shamali. (Photo: Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

Le camp de Burj el Shamali. (Photo: Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

À Saïda, après avoir visité des stands en l’honneur de la Journée internationale de solidarité avec les Palestiniens (et il y en avait en de nombreux endroits), nous nous sommes rendus au plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban, Ain Al-Helweh. C’est là aussi qu’avait grandi le grand caricaturiste palestinien Naji al Ali et qu’il avait puisé l’inspiration de son célèbre personnage, Handala. Lorsqu’il avait présenté Handala à ses lecteurs, on prétend qu’il aurait dit ceci :

« Je suis Handala, du camp d’Ain Al-Helweh. Je vous donne ma parole que je resterai fidèle à la cause… »

Et, depuis, Handala est devenu synonyme de cette fidélité au droit au retour des Palestiniens, un engagement davantage incarné dans les camps de réfugiés palestiniens que partout ailleurs.

Je me souviens d’avoir été dans le camp d’Ain Al-Helweh en 1973, au moment où avait eu lieu un raid israélien. Les avions descendaient très bas et rien que le bruit était déjà terrifiant. Mais les enfants du camp étaient très calmes et ils avaient rassemblé leurs frères et sœurs plus jeunes pour se précipiter ensuite vers les abris les plus proches. D’une façon à la fois émouvante et si peu en rapport avec leur âge, on avait un petit aperçu de la manière dont ces enfants palestiniens étaient très tôt déjà dépouillés de leur jeunesse.

Le camp d’Ain Al-Helweh, aujourd’hui, est miné par des conflits et des dissensions internes. Le gouvernement libanais a érigé à l’entrée du camp un check-point lourdement fortifié, qui ressemble assez à un passage frontalier international. Il y a des check-points du gouvernement dans la plupart des camps, mais on vous fait généralement signe de passer sans grande démonstration. À Ain Al-Helweh, en raison des récents affrontements armés et de l’infiltration d’éléments islamistes extrémistes, tout détenteur d’un passeport étranger doit être muni d’une autorisation d’entrée préalable.

Nous avions reçu cette autorisation mais on nous a cependant refusé l’entrée à notre arrivée, peut-être suite à des confusions bureaucratiques comme on l’a prétendu ou pour d’autres raisons, mais nous n’étions sûrs de rien. Cela nous avait attristés, mais nous avions malgré tout trouvé comique que des vétérans du militantisme palestinien venus de l’étranger, qui avaient entrepris toutes les démarches nécessaires, qui étaient venus accompagnés de plusieurs accueillants locaux et qui désiraient uniquement témoigner de la réalité palestinienne, n’aient pas la possibilité de visiter ce camp important.

Au Liban, bien des restrictions sont imposées aux Palestiniens des camps de réfugiés, que ce soit dans l’enseignement, dans l’emploi, dans les réglementations propres à la construction ou même dans l’accès aux soins médicaux. Un exemple tragique est celui, le mois dernier encore, du décès d’un enfant palestinien de 3 ans, Mohammed Wahbah, du camp de Nahr el Bard près de Tripoli, dans le nord, suite au refus de 3 hôpitaux libanais différents de traiter son état de santé très grave de façon convenable. Bien des résidents du camp ont eu l’impression qu’on avait refusé ce traitement parce que l’enfant était palestinien et que la famille ne disposait pas des ressources financières nécessaires ; ils en ont imputé la responsabilité aussi bien à l’UNRWA (qui est responsable de la santé et de l’éducation des réfugiés) qu’au gouvernement libanais. Ce sentiment parmi les réfugiés palestiniens d’être pour ainsi dire laissés pour compte par les pouvoirs officiels est à la fois justifié et de plus en plus répandu, du fait que l’UNRWA restreint désormais ses services et que le manque d’accès aux services du pays d’accueil se fait de plus en plus sentir.

Les camps de Beyrouth et des environs sont confrontés à toute une série de problèmes sociaux qui leur sont propres, surtout en raison de l’afflux de nouveaux réfugiés venus d’autres pays ; étant donné le surpeuplement, le manque d’opportunité et la pauvreté écrasante, il n’est pas étonnant que l’un de ces problèmes soit l’abus des drogues. Bien des gens sont d’avis que des forces hostiles à la libération des Palestiniens ont joué un rôle clé en facilitant l’afflux de drogues dans la plupart des camps, un phénomène qui a certainement des précédents historiques dans bien d’autres endroits du monde. Au camp de Burj al Barajneh, la résilience palestinienne s’est également traduite par l’installation d’un centre de réhabilitation contre les drogues, qui s’est développé tout à fait indépendamment des pouvoirs « officiels », puisque l’abus de substances est toujours considéré comme un sujet tabou. Le bâtiment était étonnant et la quasi-totalité de sa construction et de son décor a été l’œuvre des gens qui y étaient traités ; il témoigne également d’un profond attachement à la Palestine et à son histoire et son atelier produit diverses statues en l’honneur de Naji al Ali et de Handala.

Plaque murale au Centre de réhabilitation de Burj el Bourajneh : « La Palestine sera libérée et c’est nous qui la libérerons. » (Photo : Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

Plaque murale au Centre de réhabilitation de Burj el Bourajneh : « La Palestine sera libérée et c’est nous qui la libérerons. » (Photo : Marion Kawas, The Palestine Chronicle)

Nous avons également visité plusieurs bureaux au camp de Mar Elias, un camp plus petit situé à Beyrouth et qui, de façon marginale, s’en tire « mieux » sur le plan économique. Nous en avons appris davantage sur l’organisation Aidoun, qui met en évidence le combat pour le droit au retour, et sur la fondation médiatique Majed Abu Sharar Media Foundation, qui organise des ateliers pour les jeunes Palestiniens des camps et leur enseigne des formations en journalisme et en médias sociaux. Majed était très connu en tant que journaliste, écrivain et directeur du Département Information de l’OLP, avant d’être assassiné à Rome en 1981. La fondation est dirigée par sa fille Samaa Abu Sharar, dont les idées sont précieuses pour qui veut comprendre la dynamique qui existe aujourd’hui dans les camps. Comme elle l’expliquait en 2017, dans une interview :

« Mon père croyait dur comme fer dans le pouvoir des médias et il avait compris longtemps avant bien d’autres qu’ils peuvent être une arme efficace. Il avait travaillé dur dans un effort en vue d’unifier le message palestinien, d’atteindre les gens de diverses parties du monde dans un langage compris de tous et de mobiliser le plus de partisans possible de la cause palestinienne. »

Le Liban est un microcosme de toutes les forces rivales dans la région et, dans ce contexte, les plans abondent, en vue de liquider et manipuler les réfugiés palestiniens et leurs revendications. Les réfugiés palestiniens au Liban ont une longue et fière histoire : ils ont toujours été l’une des avant-gardes dans la défense et l’expression du droit des Palestiniens à retourner dans leur terre d’origine et de la nécessité de « rester fidèles à la cause » (pour citer le créateur de Handala).

Ils incarnent l’esprit du sumoud, ou détermination; leur sumoud recouvre bien des choses : la résistance, la résilience, l’adaptation aux circonstances ou la survie face aux forces débordantes auxquelles ils sont confrontés. C’est le sumoud qui jette l’opprobre sur les actuels dirigeants palestiniens; et c’est le sumoud que nous devons honorer et soutenir.

(Ce texte est la suite d’un premier article intitulé :  » Les fantômes de la résistance palestinienne à Beyrouth. »)


Publié le 4/1/2019 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal

 

Marion Kawas est membre de l’Association Canada Palestine et elle est cofondatrice de Voice of Palestine (La voix de la Palestine). Visitez le site : www.cpavancouver.org.

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