Si la pandémie les frappe, le Néguev pourrait subir le même sort que le N de l’Italie

Du fait qu’on leur refuse les services les plus élémentaires, les villages bédouins non reconnus du Néguev ne sont pas équipés pour traiter le coronavirus – et le gouvernement israélien s’abstient d’intervenir.

Oren Ziv, 29 mars 2020

18 janvier 2017, désert du Néguev, dans le sud d'Israël. Des femmes bédouines retirent leurs biens des ruines de leurs maisons démolies dans le village non reconnu d'Umm al-Hiran. (Photo : Hadas Parush/Flash90)

18 janvier 2017, désert du Néguev, dans le sud d’Israël. Des femmes bédouines retirent leurs biens des ruines de leurs maisons démolies dans le village non reconnu d’Umm al-Hiran. (Photo : Hadas Parush/Flash90)

Les villages bédouins non reconnus du Néguev, dans le sud d’Israël, sont confrontés à une crise qui continue à battre son plein dans l’ombre de la pandémie de coronavirus, affirment les résidents et les activistes. En raison du manque d’infrastructures et de services de santé, les communautés sont incapables de se conformer aux directives émises par le ministère israélien de la Santé.

Attiah al-Aasem, président du Conseil régional des villages non reconnus du Néguev, met en garde :

« Le coronavirus va accroître les problèmes quotidiens dans les villages. »

Vu l’absence de services comme l’eau, l’égouttage et la collecte des immondices, les résidents doivent faire de leur mieux pour se prendre en charge eux-mêmes, ajoute al-Aasem.

« Le Néguev est susceptible de devenir comme le nord de l’Italie »,

déclare Salame Alatrash, responsable du Conseil régional d’Al-Kasom.

« Les gens vivent dans des conditions de peuplement dense, ici. Un baraquement de 50 mètres carrés peut loger entre sept et douze personnes »,

dit-il.

« Les gens du gouvernement n’ignorent rien de cet excès de peuplement et du manque d’infrastructures. Et qu’ont-ils fait durant toutes ces années ? Nous les avons prévenus que cela allait se terminer par un désastre. »

L’un des résidents d’un village non reconnu explique qu’il n’y a pas eu de préparatifs et qu’aucun équipement de protection n’est disponible.

« Nous sommes conscients [de la situation], mais comment allons-nous nous protéger ? »,

dit-il.

« Nous sommes effrayés, mais il nous faut bien aller à l’épicerie. »

« Nous vivons dans la crainte et la panique »

Quelque 150 000 personnes vivent dans les 37 villages non reconnus du Néguev. En raison de refus du gouvernement de leur accorder un statut légal, et ce, depuis de longues décennies, ces villages se voient également refuser des services élémentaires comme l’eau, un système d’égouttage ou la collecte des immondices, et ils doivent se battre en permanence pour résister aux démolitions de maisons et à la déportation forcée. Leur relatif isolement des centres urbains les a aidés à tenir la pandémie à l’écart pour l’instant, mais les résidents craignent que le manque d’infrastructures ne cause une épidémie massive une fois que le virus arrivera chez eux.

« Cette crise révèle une réalité qui passerait inaperçue en temps normal »,

explique Sari Arraf, un avocat travaillant avec Adalah, une organisation palestinienne des droits de l’homme.

« Elle éclaire l’inégalité à laquelle sont confrontés les villages non reconnus. Si les requêtes que nous avions introduites afin de connecter les villages aux infrastructures de base avaient été prises en compte et exaucées, nous ne serions pas dans une situation qui met en danger non seulement les résidents des villages non reconnus, mais aussi la population tout entière du Néguev. »

« Nous vivons dans la crainte et la panique »,

déclare Aziz Abu Mdeghem, un résident d’Al-Araqib, un village que les autorités israéliennes ont démoli… 175 fois (vous lisez-bien, cent septante-cinq fois, NdT) au cours de ces 10 (dix) dernières années.

« Nous n’avons aucun moyen de nous protéger du coronavirus. Nous ne pouvons pas stocker de la nourriture et il n’y a pas un seul endroit à proximité où nous pourrions nous laver les mains à tout moment, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’eau courante ! »

18 janvier 2017, désert du Néguev, dans le sud d’Israël. Une Bédouine et son petit garçon retirent leurs maigres possessions des ruines de leur maison démolie dans le village non reconnu d’Umm al-Hiran. (Photo : Hadas Parush/Flash90)

Les résidents ont peur de quitter le village pour aller acheter de la nourriture et ils craignent le jour où l’un ou l’autre de leurs voisins sera contraint de passer en autoconfinement – parce que le village n’est tout simplement pas en mesure d’assumer une telle distanciation.

Alatrash, le chef du conseil d’Al-Kasom, a fait part de la même inquiétude au ministère de la Santé, en lui demandant, voici plusieurs semaines déjà, la permission de transformer les écoles de son district en centres de confinement. Toutefois, à ce jour, il n’a toujours pas reçu d’autorisation.

Alors qu’Al-Araqib n’a pas la mojndre goutte d’eau courante, d’autres villages non reconnus sont en mesure de recourir à des points d’eau isolés installés par la société nationale israélienne des eaux, et pour lesquels les villageois paient. Ces points d’accès peuvent être situés à des milles des villages et ils ne fournissent pas assez d’eau pour l’ensemble des habitants des communautés concernées.

« Les villages reçoivent une quantité minimale d’eau qu’ils paient à un prix maximal »,

explique Arraf. Le calcul des prix s’appuie sur deux tarifs – la quantité de ce qui a été vendu et la quantité de dépassement de ce qui a été vendu. Les usagers réguliers de cette eau paient un montant pour une quantité préétablie et, s’ils dépassent cette dernière, ils paient un supplément. Les villageois bédouins, eux,

« paient le double du tarif dès la première goutte d’eau consommée, ce qui leur revient déjà cher s’ils veulent s’en tenir aux directives du ministère de la Santé. C’est absurde ! »,

ajoute Arraf.

De plus, comme les résidents ont été obligés de construire leurs propres réseaux d’eau en utilisant dans leurs villages de longues canalisations installées au-dessus du sol, cela fait surgir des problèmes récurrents de pression et de qualité de l’eau.

Le manque d’infrastructures signifie également qu’en temps normal, les ambulances ne peuvent rallier les villages en raison de l’absence de routes dotées d’un revêtement. On peut de ce fait se demander comment l’assistance médicale pourrait atteindre ces villages au cas où des victimes du coronavirus requerraient une évacuation urgente.

« Nous sommes tous en crise, ici », déclare Alatrash.

« Ce n’est pas une situation normale et il n’y a aucune distinction entre Juifs et Arabes – il faut que nous travaillions ensemble ! »

« Tout a été reporté, sauf les démolitions »

Les mesures du gouvernement israélien en vue de combattre la pandémie vont probablement avoir des conséquences économiques sévères pour bon nombre des villages non reconnus.

« Il y a des milliers de Bédouins qui opèrent en tant que travailleurs temporaires au salaire de 150 ou 200 NIS par jour dans l’agriculture, les restaurants, les hôtels et les car wash »,

explique Alatrash.

« Ils n’ont pas droit au chômage et, si la crise se poursuit, ils auront besoin d’un soutien que nous ne pourrons leur procurer. »

Pendant ce temps, lundi dernier encore (le 23 mars, donc, NdT), les autorités israéliennes étaient toujours occupées à démolir des maisons et a détruire des semis et plants appartenant à des villages bédouins non reconnus, en dépit de l’état d’urgence.

La principale préoccupation des résidents d’Al-Araqib reste la menace de perdre leurs logements, bien que les autorités n’aient procédé qu’une seule fois à la destruction totale de leurs baraquements depuis que l’épidémie du virus s’est déclarée – contrairement à ce qui se passait chaque semaine précédente et qui constituait la norme.

« Les démolitions de maisons sont notre coronavirus »,

lance Abu Mdeghem.

Dimanche, les planifiateurs et inspecteurs de la construction du ministère des Finances ont débarqué dans le village de Rahma et ont distribué des avis de démolition pour les bâtiments qui avaient été retapés après avoir été endommagés par des inondations quinze jours plus tôt. Les résidents ont fait savoir que les gens des autorités avaient débarqué sans équipements personnels de protection et qu’ils étaient entrés dans les logements par groupes de huit, sans respecter la moindre distance entre eux.

« Tout a été reporté, sauf les démolitions chez les Bédouins »,

déclare al-Aasam.

« Voilà ce dont se préoccupe l’État – de quelqu’un qui ajoute un bout de tôle ou qui cloue une pointe. Distribuer des ordonnances [de démolition] est une excuse – ile veulent profiter de l’occasion pour faire du mal aux gens, qui n’ont pas le temps de construire parce qu’ils sont en train de se préoccuper du coronavirus. »

Les visites des inspecteurs sont susceptibles de mettre les résidents en danger, ajoute al-Aasem.

« Peut-être l’un d’eux a-t-il le virus, parce qu’il est répandu dans tout le pays. »

Après cette visite des inspecteurs, nombre d’associations de défense des droits ont appelé le gouvernement à suspendre toute activité de domilition des maisons et des terres des villages non reconnus, particulièrement dans le cas où la pandémie se poursuivrait – faisant remarquer en outre que de telles opérations compromettent non seulement la santé des résidents des villages, mais aussi les efforts visant à contrecarrer la propagation du coronavirus. Elles n’ont toujours pas reçu la moindre réponse.

Malgré la persistance des opérations de démolition, cependant, il y a des signes que le gouvernement commence à adapter ses activités dans les villages non reconnus, ce qui semble indiquer qu’il a compris qu’il y avait là un potentiel de catastrophe. Le 22 mars, pour la première fois depuis l’instauration de l’Autorité pour le développement et l’implantation bédouine dans le Néguev (souvent appelée « l’Autorité bédouine »), le ministère de l’Agriculture a décidé que cette institution dirigerait désormais les efforts d’aide du gouvernement aux villages non reconnus, et ce, en coopération avec divers ministères.

Le village non reonnu d’Atir. (Photo : Activestills.org)

Normalement, l’Autorité bédouine est responsable de ce qu’on appelle la « régularisation » des villages non reconnus, et c’est elle qui se charge de l’application des mesures, des démolitions et des expulsions. Ces dernies temps, toutefois, l’organisme a délégué sur place des employés censés distribuer du matériel en langue arabe sur la façon de s’y prendre avec la pandémie. Selon l’Autorité, son propre personnel s’est vu confier la tâche d’indentifier les besoins de la population bédouine.

Le haut responsable de l’Autorité bédouine, Yair Maayan, a expliqué à Local Call que toutes ses activités avaient été gelées, y compris les démolitions, et que

« tout le personnel travaillait avec la population afin de tenter de prévenir la maladie ».

Dans un geste exceptionnellement inhabituel, Maayan a écrit au ministère des Finances après que les inspecteurs de ce dernier avaient sorti des avis de démolition dans l’un des villages, et il lui demandait de bloquer ce genre d’activité.

Plutôt que de procéder à des démolitions et à des expulsions, écrivait-il, le département ferait mieux de

« se concentrer sur un accroissement de la conscientisation et sur une réduction des infections au coronavirus ».

Néanmoins, Haia Noach, directrice exécutive du Forum pour la coexistence du Néguev – l’un des groupes qui a demandé à l’État de mettre un terme aux démolitions – déclare qu’alors que l’Autorité bédouine comprend bien ces démolitions, elle ne connaît rien à la santé publique.

« Il s’agit d’un abandon de la communauté, afin de laisser ces gens [au sein de l’Autorité] se débrouiller avec la situation »,

affirme-t-elle.

Perturbations massives dans l’enseignement

Aux premiers jours de cette crise, les écoles israéliennes ont fermé et le ministère de l’Éducation a publié des messages en ligne pour dire que les étudiants et les élèves devraient étudier chez eux.

Mais le plan ne prenait pas du tout en compte la population arabophone, explique le Dr Sharaf Hassan, qui dirige un comité d’évaluation de l’enseignement prodigué aux Arabes.

« Ils n’ont pas pensé aux fossés séparant Juifs et Arabes. Environ nun tiers des étudiants arabes ne disposent pas de la technologie nécessaire pour avoir accès aux cours ».

Une moitié environ des étudiants palestino-arabes en Israël ne participent pas à l’enseignement à distance, et la moitié vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon Hassan. De plus, ajoute-t-il, toutes les familles n’ont pas accès à un ordinateur, voire à un branchement fiable à l’électricité ou à Internet.

Dans le meilleur des cas, les enfants des villages non reonnus doivent se battre pour accéder à l’enseignement. Actuellement, toutefois, le comité pour les villages non reconnus estime que 70 pour 100 environ des étudiants et écoliers de ces communautés ne participent pas à l’enseignement à distance, et ce, en raison d’un manque de ressources.

« Le manque de préparation à une situation d’urgence est dû surtout à une discrimination à long terme »,

explique Hassan. Au cas où l’enseignement à distance devrait se poursuivre pendant une période prolongée, le gouvernement va devoir s’assurer que les étudiants qui n’ont pas accès à Internet aient toujours accès à l’enseignement, en leur fournissant des routeurs et des ordinateurs.

L’accès à l’information concernant la pandémie a également constitué un problème.

« Il a fallu du temps aux gens pour comprendre que les suppressions de cours n’étaient pas des vacances »,

explique Huda Abu Obeid, une activiste habitant elle-même dans le Néguev.

« Il n’y avait pas assez d’information en arabe. Ce sont les organisations médicales qui ont pris sur elles-mêmes de distribuer des directives, par sens du devoir. C’est inquiétant. »

« Nous avons besoin d’une équipe d’action qui comprenne des médecins connaissant bien la communauté et qui proposeront des solutions »,

explique Noach.

« L’État doit absolument prendre ses responsabilités. »

En attendant, al-Aasem propose une fourniture rapide de services essentiels, comme une cliniquye médicale, même temporaire.

« S’ils reconnaissaient les villages et qu’ils leur fournissaient des infrastructures élémentaires, nous serions en mesure d’empêcher ce désastre »,

conclut-il.


Publié le 29 mars 2020 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal

Oren Ziv est photojournaliste et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.

Il est également corédacteur de Local Call. Depuis 2003, il traite de toute une série de questions sociales et politiques en Irsaël et dans les territoires palestiniens occupés, en mettant l’accent sur les communautés militantes et leurs luttes.

Ses reportages se sont concentrés sur les protestations populaires contre le Mur et contre les colonies, sur l’accessibilité du logement et autres problèmes socioéconomiques, sur l’antiracisme et les luttes contre la discrimination, ainsi que sur la lutte de libérations des animaux.

 

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