Voici Jérusalem : Violence et expropriations à al-‘Esawiyah
Depuis avril 2019, la police israélienne est engagée dans une campagne de violence et de punitions collectives contre le quartier d’al-‘Esawiyah, à Jérusalem-Est. L’opération se poursuit, malgré les restrictions de distanciement social annoncées par le gouvernement, et cela met les résidents locaux en danger.
L’un des quartiers les plus pauvres de Jérusalem, al-‘Esawiyah est situé sur les pentes orientales de la crête du mont Scopus et est entouré par toute une série d’institutions israéliennes, de quartiers juifs, de bases militaires et de routes construites sur son site même. On estime que le quartier compte 22 000 résidents et la densité de sa population est 3,5 fois supérieure à la densité de population moyenne à Jérusalem.
Le présent rapport couvre divers aspects de la politique israélienne qui, ensemble, ont particulièrement durci les conditions de vie régnant dans le quartier. Alors que cette politique d’abus est utilisée dans d’autres quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, al-‘Esawiyah en est un exemple particulièrement flagrant :
1. Accaparement de terres
Depuis l’occupation de la Cisjordanie en 1967, Israël s’est emparé de plus de 90 % du territoire d’al-’Esawiyah en recourant à des expropriations, en en déclarant une partie « terre de l’État » ou encore par le biais de confiscation par l’armée.
Certains de ces espaces ont été annexés peu de temps après l’occupation.
En 1945, al-‘Esawiyah s’étendait sur plus de 10 000 dounams (soit 1 000 hectares ou 10 km2) – de la crête du mont Scopus à la zone de Khan al-Ahmar, à l’est.
Aujourd’hui, les résidents ont accès à moins de 1 000 dounams (100 hectares ou 1 km2), enserrés entre les instituts israéliens et d’autres quartiers – l’Université hébraïque, le Centre médical Hadassa du mont Scopus, les quartiers de French Hill et de Tzameret Habira, des bases de l’armée et de la police ainsi que des routes.
La majeure partie de cette zone est densément bâtie et il ne reste pour ainsi dire plus d’espace en réserve pour de nouvelles constructions.
De tous les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est grignotés par Israël depuis qu’il occupe la Cisjordanie, nulle part les autorités n’ont tiré davantage parti de l’accaparement de terres qu’à al-‘Esawiyah.
Cet accaparement, destiné chaque fois à répondre aux besoins d’un public juif, a privé les résidents d’al-’Esawiyah de toute possibilité de tirer parti de leurs terrains et c’est l’un des facteurs clés expliquant leur pauvreté.
2. Une politique sans planification
Dès le moment où al-‘Esawiyah a été annexé aux limites municipales de Jérusalem, les autorités israéliennes ont recouru à des moyens considérables pour empêcher toute construction ou développement dans le quartier.
Par exemple, elles ont évité de dresser un plan général adéquat pour al-‘Esawiyah et ont bloqué un plan indépendant établi par les résidents en collaboration avec l’ONG israélienne Bimkom – Planners for Planning Rights.
D’emblée, l’actuel plan général, qui n’a été approuvé qu’en 1991, soit 24 ans après l’annexion d’al-’Esawiyah aux limites municipales de Jérusalem, ne permettait pas de construction de dimensions significatives et il s’avère en outre qu’il prévoit surtout de limiter les possibilités de construction et de développement dans le quartier.
Manifestement, l’absence d’un plan général adéquat n’a pas fait disparaître la réelle nécessité des logements. Laissés sans choix, bien des résidents ont construit des logements sans autorisation.
Cela les condamne à une existence d’incertitude, exposée à la menace constante de démolition ou à des amendes pouvant s’élever à des centaines de milliers de shekels (le taux d’échange au moment d’écrire ces lignes était de 3,5 NIS pour 1 USD).
Plus de la moitié des appartements du quartier, soit 2 000 au moins, ont été construits sans autorisation. La municipalité se sert de cette réalité, qu’elle a créée elle-même, comme d’une excuse pour ne pas construire d’institutions publiques ni de développer ou d’entretenir les infrastructures existantes.
Elle a même trouvé une façon de profiter de cette situation pour imposer des amendes pour conbstruction illégale, ajoutant ainsi au fil des années des millions de shekels dans ses caisses.
3. La campagne de violence et de punitions collectives à al-‘Esawiyah
Depuis plus d’un an, la police israélienne s’est lancée dans une campagne de violence à al-’Esawiyah.
L’Unité spéciale de patrouille et les forces de la Police des frontières entrent régulièrement dans le quartier sans raison et sans circonstances préalables qui pourraient justifier la présence de la police et encore moins de tels déploiements de forces paramilitaires agressives.
L’Unité spéciale de patrouille et les agents de la Police des frontières, armés de pied en cap, pénètrent dans la quartier avec des camionnettes, des jeeps et des drones et créent volontairement des exemples arbitraires de « frictions » violentes, perturbant ainsi la routine et rendant la vie quotidienne extrêmement pénible dans le voisinage.
Entre autres choses, ils bloquent habituellement toutes les artères principales, créant de longs embouteillages, utilisent les haut-parleurs de leurs véhicules tard dans la nuit, provoquent les résidents en pointant leurs armes sur eux, organisent des inspections dégradantes et fouillent les voitures et les sacs (y compris les cartables des enfants), provoquent verbalement les passants, ordonnent aux magasins de fermer sans raison apparente ni sans montrer de mandat, utilisent des chiens pour fouiller des magasins, font irruption dans des logements et les fouillent sans mandat, arrêtent des mineurs sous de faux prétextes (parfois au beau milieu de la nuit) et en violation sévère de leurs droits.
Au début, des agents de la police régulière patrouillaient également dans le quartier, prenaient place à des points de sortie et verbalisaient les conducteurs, les commerçants et les simples passants pour des infractions réellement négligeables.
Comme la police s’y attendait, ces provocations violentes ont suscité des réactions de la part des résidents locaux, ces fameuses « perturbations de la paix publique » dont la police se sert pour justifier rétroactivement l’ensemble de l’opération en cours. Ces réactions comprennent des jets de pierres, des envois de cocktails Molotov et des jets de pétards.
L’Unité spéciale de patrouille et les agents de la Police des frontières tirent des grenades de gaz lacrymogène, des grenades paralysantes et des balles en mousse noire sur les résidents ou les tabassent copieusement.
Selon les responsables de la communauté, depuis le début de l’opération jusque fin janvier 2020, quelque 300 résidents du quartier ont été blessés suite aux activités violentes de la police. La police a également arrêté sous de faux prétextes plusieurs responsables du quartier.
La violente opération policière en cours à al-‘Esawiyah met en relief ce qu’Israël a déjà montré clairement à propos des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est : en tant qu’occupant, il perçoit les gens qui y habitent comme rien de plus que des sujets qu’il peut traiter comme bon lui semble.
La politique d’Israël concernant ces quartiers est motivée par son objectif consistant à reprendre le plus de territoire possible et à étendre son contrôle aussi loin qu’il peut – tout en ignorant absolument les conséquences pénibles pour les résidents, dont une extrême pauvreté, des conditions de vie insupportables vu le surpeuplement et un indescriptible chaos dans la planification.
Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël perçoit les Palestiniens qui y vivent comme un excédent indésirable.
La politique qu’il applique dans ces quartiers – et c’est particulièrement flagrant à al-‘Esawiyah – vise à exercer en permanence des pressions sur les résidents.
À court terme, cela consiste à opprimer les Palestiniens dans la ville, à les contrôler et à les maintenir en situation de pauvreté, sans le moindre privilège et dans un état d’anxiété permanente.
Étant donné qu’Israël a bien fait entendre son intention de s’assurer une suprématie démographique juive à Jérusalem, le but à long terme de cette politique cruelle consiste bel et bien à pousser les Palestiniens vers un point de rupture, de sorte qu’ils « choisiront » d’abandonner leurs foyers et de quitter la ville.
Cette façon d’agir prouve clairement les considérations démographiques qui guident les actions d’Israël : préférer les citoyens juifs aux résidents palestiniens indésirables.
Par conséquent, les autorités israéliennes harcèlent inlassablement toute la population palestinienne de Jérusalem, y compris l’exemple flagrant examiné dans le présent rapport : les 22 000 personnes qui vivent à al-‘Esawiyah.
Cet abus, qui est le résultat d’une politique en cours et menée par tous les gouvernements israéliens depuis 1967, met à nu les priorités d’Israël dans la seule partie de la Cisjordanie qu’elle s’est donné la peine – pour l’instant – d’annexer officiellement : pas d’égalité, pas de droits et même pas de services municipaux raisonnables.
En lieu et place, les autorités de l’État se servent de leur pouvoir, au sein du territoire annexé, pour cimenter la supériorité d’un groupe sur l’autre.
Publié le 19 mai 2020 sur le site de B’tselem
Traduction : Jean-Marie Flémal
Trouvez ici d’autres articles de B’selem, publiés sur ce site