Un lobby israélien détruit un appel à faire du chantage à l’aide au Liban

Dimanche, divers gouvernements se sont engagés à verser près de 300 millions d’USD d’aide au Liban, suite à l’explosion catastrophique qui a eu lieu la semaine dernière au port de Beyrouth.

Le tribut en vies humaines a dépassé le cap des 200 morts.

Quand les chefs d’Etat se sont réunis pour la conférence d’engagement virtuelle mise sur pied par la France, un puissant groupe de pression israélien a fait entendre clairement son agenda.

Ali Abunimah, 10 août 2020

Un  lobby israélien détruit un appel à faire du chantage à l'aide au Liban

9 août. Un adolescent parcourt le port de Beyrouth du regard. Le 4 août, d’énormes explosions dans un entrepôt de nitrate d’ammonium ont tué plus de 200 personnes, en ont blessé des milliers d’autres et ont provoqué partout des dégâts dans la capitale libanaise. (Photo : Bilal Jawich Xinhua)

 

« Les donateurs internationaux rassemblent un paquet d’aide pour le Liban. Cette aide doit être conditionnée au désarmement promis depuis longtemps, et évité depuis tout aussi longtemps, du Hezbollah »,

a tweeté l’American Jewish Committee.

« Si l’on ne s’en prend pas au rôle malfaisant de l’Iran en tant que fournisseur du terrorisme, il n’y aura jamais de changement significatif pour le peuple du Liban. »

Dimanche, j’ai ajouté un point de commentaire à ce tweet :

Il est possible qu’Israël n’ait pas (ou ait bel et bien) trempé dans l’explosion de Beyrouth, mais son lobby le plus fanatique veut s’assurer que le peuple libanais sera privé d’aide au cas où le diktat d’sraël ne serait pas appliqué. Israël ne pourrait pas venir à bout de la résistance libanaise sur le champ de bataille, si bien qu’il tente de le faire en recourant au chantage. 

 

Mais, lundi matin, l’AJC avait détruit son tweet :

Pourquoi ?

Après tout, utiliser les besoins sanitaires et humanitaires élémentaires des civils comme arme contre eux et ce, en violation des lois internationales, constitue une politique israélienne bien établie, et rien ne pourrait l’illustrer mieux que Gaza.

Israël humilié

De même qu’Israël espère que priver les Palestiniens de Gaza de leurs besoins et droits élémentaires les amènera à se rendre, le même calcul s’applique sans nul doute à l’approche israélienne au Liban.

Le Hezbollah, convient-il de rappeler, a été fondé au début des années 1980 en tant que réponse à l’invasion et l’occupation du Liban et au siège de sa capitale par Israël.

Formidable force de résistance, le Hezbollah a chassé les forces israéliennes d’occupation et leurs milices collaboratrices du Liban en 2000 et a une fois de plus humilié Israël lorsque ce dernier a envahi le Liban en 2006.

Les forces israéliennes, incapables de contrer efficacement les combattants bien entraînés du Hezbollah, ont donc recouru en lieu et place au bombardement sans discrimination de la population civile.

Cette stratégie n’a pas changé. Le 6 août, le rédacteur en chef du Jerusalem Post, Yaakov Katz, a souligné que qu’Israël ferait si une nouvelle guerre à grande échelle éclatait :

« Cela signifierait le bombardement de l’aéroport, des terrains de football, du port, des habitations privées, des immeubles de bureaux, des écoles et de bien plus encore. »

Dans une phrase encore plus sinistre, Katz ajoutait que

« les contraintes auxquelles nous assistons actuellement dans les opérations contre Gaza devraient être levées ».

Etant donné les destructions massives répétées auxquelles Israël s’est livré contre Gaza, il est malaisé de savoir à quelles « contraintes » Katz fait allusion.

Cibler le Hezbollah

Israël sait que, du moment où il peut infliger d’indicibles souffrances, il paierait un prix très lourd pour une agression de ce genre – précisément en raison de la capacité de dissuasion du Hezbollah.

Ainsi donc, par le biais de son lobby, Israël a tenté de réaliser politiquement ce qu’il ne peut faire sur le champ de bataille : vaincre le Hezbollah.

Etant donné le nombre important d’attaques qu’Israël a lancées contre le Liban depuis les années 1950 – y compris les raids répétés contre l’aéroport de Beyrouth et les nombreux attentats à la voiture piégée dont il est responsable depuis les années 1970 – il n’est guère surprenant que nombreuses sont les personnes dans la région et au Liban qui soupçonnent qu’Israël a trempé dans la catastrophe du week-end dernier.

Mais, même si Israël n’a joué aucun rôle dans l’explosion de l’énorme stock de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth, cette explosion présente une opportunité qu’Israël et ses alliés sont soucieux de ne pas galvauder.

« La question pour Israël cette fois est de savoir si ce malheureux désastre peut être utilisé pour modifier l’équilibre du pouvoir au Liban et encourager ou inspirer le peuple libanais à se retourner contre le Hezbollah et à l’écarter du pouvoir »,

faisait encore remarquer Katz, du Jerusalem Post.

La première étape, apparemment, est une campagne de rumeurs sans fondement et de mensonges éhontés prétendant que le Hezbollah était responsable de l’explosion du port.

Ce tweet, par exemple, est venu d’une organisation de propagande lié au ministère des Affaires stratégiques d’Israël

Il n’y a absolument aucune preuve que, comme il le prétend, « l’explosion provenait d’un entrepôt de munitions du Hezbollah ».

Des commentaires de médias sociaux israéliens et pro-israéliens ont continué à diffuser le même genre de propagande :

 

 

Criminalisation du soutien à la résistance

Cela ne fait aucun doute, Israël a des alliés au Liban même et dans la région : l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis se tiennent tous deux fermement du côté d’Israël.

Et les Etats européens – sous les pressions israéliennes et américaines – tendent de plus en plus à rendre illégal ne serait que le soutien de la notion prétendant que le peuple libanais a le droit de résister à l’invasion et à l’occupation par Israël.

Récemment, quand l’Allemagne a criminalisé ce qu’elle prétend être les activités du Hezbollah sur son territoire, son ministère de l’Intérieur a justifié la chose en affirmant que le groupe s’oppose au « concept de bonne entente internationale ».  

Le Hezbollah « appelle ouvertement à l’élimination violente de l’Etat d’Israël et remet en question le droit à l’existence de ce même Etat d’Israël », a fait savoir le ministère.

En d’autres termes, ne pas être d’accord avec le fait qu’Israël a le « droit » d’envahir et d’occuper votre pays est désormais un délit d’opinion, en Allemagne.

La campagne israélienne en vue d’inciter à plus de poursuites politiques contre les personnes qui remettent en question son « droit » d’envahir, d’occuper, de coloniser et de tuer comme bon lui semble, va se poursuivre.

Et, sans aucun doute, les pays européens, et plus particulièrement la France, seront des partenaires dans un effort de recoloniser le Liban.

Ainsi donc, pourquoi, dans ce cas, l’American Jewish Committee a-t-il détruit son tweet ?

D’après un autre tweet qu’il a posté lundi, l’AJC prétendait que le tweet détruit n’avait pas satisfait aux « normes de nuance » requises par le groupe de pression israélien.

 

Il est toutefois plus vraisemblable que le tweet ait été trop carrément honnête à propos de l’agenda d’Israël.

Il n’était pas en harmonie avec l’actuel message de propagande disant que tout ce que veut désormais Israël – qui a tué et blessé des dizaines de milliers de personnes dans ses efforts répétés en vue de détruire le Liban – c’est uniquement apporter son aide.


Publié le 10 août 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

(*) Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse.

Lisez également : L’Union européenne répand de nouveaux mensonges sur BDS 

 

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