Une rencontre avec Israël déclenche l’indignation en Libye

L’idée que les relations avec Israël pourraient être normalisées a fait face à une opposition décidée de la rue, en Libye, où des protestations ont été organisées à Tripoli et dans d’autres villes.

Libye : Des manifestants libyens brûlent des pneus afin de protester contre la récente rencontre entre leur ministre des Affaires étrangère du moment, Najla El Mangoush, et son homologue israélien Eli Cohen

Des manifestants libyens brûlent des pneus afin de protester contre la récente rencontre entre leur ministre des Affaires étrangère du moment, Najla El Mangoush, et son homologue israélien Eli Cohen. (Photo : Str / EFE ZUMA Press / APA images)

 

Tamara Nassar, 31 août 2023

Cette semaine, des protestations ont éclaté en Libye suite à l’entrevue entre la ministre des Affaires étrangères du pays et son homologue israélien.

Dimanche, Eli Cohen, le ministre israélien des Affaires étrangères, a déclaré qu’il avait rencontré Najla El Mangoush, son homologue libyenne, à Rome, la semaine précédente.

La Libye et Israël n’entretiennent pas de relations diplomatiques officielles, bien qu’il y ait eu dans le passé divers arrangements clandestins et autres tentatives en vue de conférer un caractère officiel aux contacts entre les deux pays.

Dans un message des médias sociaux – rédigé en arabe –, le ministère israélien des Affaires étrangères a qualifié la récente rencontre de « premier pas » vers des relations diplomatiques avec la Libye, relations qui incluraient une « assistance humanitaire israélienne ».

L’idée que les relations avec Israël pourraient être normalisées a fait face à une opposition décidée de la rue, en Libye, où des protestations ont été organisées à Tripoli et dans d’autres villes. Les manifestants ont également pris d’assaut le ministère libyen des Affaires étrangères, rapporte-t-on.

Un peu plus tard, les responsables israéliens ont effacé les messages concernant cette rencontre récente.

Le ministère libyen des Affaires étrangères a déclaré que Najla El Mangoush « avait refusé de rencontrer tout représentant de l’entité sioniste ».

Le ministère a ajouté que

« ce qui s’est passé à Rome » n’avait rien d’officiel et était accidentel ».

La rencontre entre Cohen et El Mangoush a eu lieu

« lors d’une réunion avec le ministre italien des Affaires étrangères et elle n’a été accompagnée d’aucune discussion, ni du moindre accord ou consultation ».

Le ministère a affirmé

« son rejet total et absolu de toute normalisation avec l’entité sioniste »

et il a exprimé son soutien à la lutte palestinienne.

 

Des gestes vides de sens

Un responsable israélien cité par Reuters et qui a préféré garder l’anonymat a contredit que la rencontre ait été accidentelle, ajoutant qu’elle avait duré deux heures et qu’elle avait été approuvée

« dans les sphères les plus hautes de la Libye ».

Après l’annonce de la rencontre dans les médias, Najla El Mangoush a fui la Libye pour la Turquie. Elle a été destituée de son poste de ministre des Affaires étrangères au beau milieu d’une vague d’appels réclamant la démission du gouvernement libyen au complet.

Le gouvernement américain et l’opposition israélienne ont condamné les commentaires de Cohen sur la rencontre. Ces commentaires ont été perçus comme prématurés par certaines personnalités politiques israéliennes, qui craignent qu’ils n’aillent entraver les efforts en vue d’instaurer des relations officielles avec la Libye.

Les officiels américains ont discuté en privé avec Cohen et d’autres responsables du ministère israélien des Affaires étrangères et « ont protesté contre la façon dont Israël traitait l’affaire », a rapporté le journaliste israélien Barak Ravid.

L’administration avait poussé la Libye à se joindre aux accords d’Abraham pendant deux ans, a écrit Ravid, citant des sources non révélées.

Les accords d’Abraham constituent le cadre des accords de normalisation mis sur pied par l’administration Trump en 2020, entre Israël, les Émirats arabes unis et plusieurs autres régimes arabes. Le message de relations publiques dans ces accords se concentrait sur les allégations (fausses) qu’ils opéraient en faveur des droits palestiniens, alors que c’était tout le contraire.

Le premier arrangement dans le cadre des accords d’Abraham a été signé entre Israël et les EAU en août 2020.

Selon cet arrangement, Israël acceptait de suspendre ses plans d’annexion de vastes tranches de la Cisjordanie occupée. En réalité, les EU – en coordination avec Israël – avaient mis ces plans en attente plusieurs semaines plus tôt déjà.

L’annexion, en fin de compte, se résumera à l’application d’un cachet officiel sur ce qu’Israël fait sur le terrain depuis des décennies : voler des terres, déplacer des Palestiniens de force et construire des colonies en infraction flagrante vis-à-vis des lois internationales. Cette colonisation par la violence n’a jamais cessé, ni avant ni après la signature des accords d’Abraham.

L’insistance récente de Bezalel Smotrich, le ministre des finances israélien, d’extrême droite, disant que l’on ne proposera pas la moindre concession aux Palestiniens lors de quelque normalisation que ce soit des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, a tout d’une douche froide sur l’allégation disant que ces accords vont profiter aux Palestiniens.

Tous les gestes consentis vers les Palestiniens au nom de la normalisation sont absolument vides de sens. Puisque ces gestes obscurcissent le but réel des accords d’Abraham – instaurer ou accroître la coopération économique et militaire – il serait préférable que de tels gestes n’aient pas lieu.

Certains accords de normalisation ont été réalisés au travers d’un mélange d’intimidations et de stimulus.

L’administration Biden s’inquiète de ce que la décision de Cohen de confirmer sa rencontre avec Najla El Mangoush et les protestations qui ont suivi n’aillent non seulement anéantir les efforts en vue de normaliser les relations entre Israël et la Libye, mais qu’elles « ne nuisent aussi aux efforts en cours avec d’autres pays arabes », a rapporté Barak Ravid.

L’opposition israélienne a éreinté l’« amateurisme » de Cohen dans sa façon de traiter la situation.

« Voilà ce qui arrive quand Eli Cohen, un homme sans le moindre contexte sur le terrain, est désigné comme ministre des Affaires étrangères »,

a déclaré Yair Lapid, le chef de l’opposition israélienne. Précédemment, Lapid a lui-même été ministre des Affaires étrangères et Premier ministre d’Israël.

« L’incident avec la ministre libyenne des Affaires étrangères relevait de l’amateurisme et constituait une grave erreur de jugement »,

a-t-il ajouté.

Benny Gantz – l’ancien ministre israélien de la Défense – a incendié de même le manque de stratégie de la part de Cohen.

« Quand vous mettez tout en œuvre pour les RP et les gros titres, sans aucun sens des responsabilités et sans penser de l’avant, voilà ce qui arrive »,

a écrit Gantz sur Twitter.

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Publié le 31 août 2023 sur The Electronic Infifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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