Six années après l’agression israélienne, l’assistance se fait toujours attendre

Six années représentent un laps de temps important. Mais quand il s’agit de la dernière offensive majeure d’Israël, on dirait que c’était hier. Ces six années écoulées ne sont pas parvenues à en effacer de ma mémoire ne seraient-ce que les plus infimes détails.

Des proches des victimes de l’agression d’Israël contre Gaza en 2014 participent à une manifestation de protestation pour réclamer de l’aide de la part de l’Autorité palestinienne. (Photo : Ashraf Amra APA images)

Hamza Abu Eltarabesh, 2 novembre 2020

C’est la douleur, évidemment, qui ressort. Non pas les morts choquantes, bien qu’elles aussi soient gravées dans ma mémoire.

Mais c’est la douleur de ceux qui restent, qui continue à résonner.

Et, aujourd’hui, ce qui résonne, c’est leur lutte pour survivre dans des situations où les enfants ont dû grandir rapidement, où les promesses de paiement d’allocations officielles n’ont pas été tenues, et où les restrictions dues au coronavirus les ont une fois de plus touchés durement.

En 2014, je travaillais pour le journal local, al-Resala. Notre horaire d’urgence était pénible, à ce moment : trois jours au bureau et douze heures chez soi. Ce roulement fut appliqué durant les 51 jours que dura l’offensive israélienne.

Le cinquième jour de l’agression, le 12 juillet, je venais de rentrer chez moi après un long temps de présence – il était près de minuit – quand une explosion ébranla notre quartier.

Je me précipitai à l’extérieur pour voir d’où cela venait et je remarquai de la fumée qui sortit de la maison d’un ami, Bilal Qandil.

C’était la première fois que je voyais un massacre de mes propres yeux, non pas par le biais d’un écran, ni en en entendant parler dans une interview.

Je vis cinq corps désarticulés dans la cour de la maison, à proximité d’une table détruite, d’une théière et de tout un jeu de cartes couvert de sang. Encore à ce jour, je ne comprends pas ce que ces personnes faisaient pour avoir été tuées avec une telle brutalité alors qu’elles jouaient aux cartes dans leur cour.

Des promesses rompues

Parmi les victimes figurait Husam al-Razayna, qui travaillait dans un atelier de réparation de motos. L’atelier était la seule source de revenu, pour Husam, sa femme et leurs neuf enfants.

Le dernier avait juste deux semaines quand Husam avait été tué.

L’aîné, Deeb, se retrouva dans l’obligation de subvenir aux besoins de la famille. Mais, quand l’offensive cessa enfin, il n’y avait pas de travail et la famille se retrouva sans le moindre revenu.

« Mon père ne nous a rien laissé. Son revenu, c’était son travail. Il n’avait rien à nous laisser. Nous avons dû compter sur de l’aide financière et alimentaire, pour commencer »,

explique Deeb à The Electronic Intifada.

La famille espérait que sa situation financière allait s’améliorer une fois que l’Autorité palestinienne (AP) commencerait à verser des allocations financières aux familles qui avaient perdu des proches durant l’agression.

Depuis des décennies, l’Organisation de libération de la Palestine et, ensuite, l’AP, et aujourd’hui, l’OLP de nouveau, ont apporté une aide financière aux familles des personnes emprisonnées, blessées ou tuées par Israël.

Israël a tenté de faire passer cette pratique pour une récompense de la violence et l’argument a gagné beaucoup de terrain, en particulier aux États-Unis.

Mais, parmi les Palestiniens, il ne fait l’objet d’aucune controverse. Bien des personnes affectées ont perdu leur principale source de revenu et ces allocations sont simplement perçues comme une forme de sécurité sociale accordée à une population assiégée vivant sous occupation militaire.

Selon diverses organisations de défense des familles endeuillées en 2014, l’AP a fait cette même année des promesses de soutien, à hauteur d’environ 400 USD par mois et par famille, bien que la chose n’ait pas été annoncée officiellement.

Mais six ans ont passé et cette aide ne s’est jamais matérialisée.

En dépit de tentatives répétées, l’AP n’a pas fait de commentaire quand on lui a demandé pourquoi le délai était si long.

En tout, quelque 900 familles ont perdu leur principale source de revenu au cours de l’attaque israélienne de 2014, estime Alaa al-Barawy, du Comité des familles des martyrs à Gaza, une association non marchande qui défend les familles qui ont perdu des proches au cours du conflit.

Environ 1 850 familles pouvaient prétendre à cette aide.

Un an après la mort de Husam, il était devenu clair pour Deeb que tous les espoirs d’éducation qu’il pouvait encore nourrir allaient passer à la trappe.

Il était étudiant à l’Université ouverte d’al-Quds dans l’espoir de devenir professeur, mais il avait dû mettre un terme à ses études. Il choisit le vieil atelier de réparation de son père, en lieu et place, et c’est là qu’il se mit à travailler. En gagnant 8 USD par jour, il subvint à nouveau aux besoins de sa famille.

« J’avais pensé interrompre temporairement mes études jusqu’au moment où nous allions recevoir l’allocation mensuelle »,

explique Deeb à The Electronic Intifada.

« Il était certain toutefois que l’argent que je gagnais ne suffisait pas pour nourrir la famille et étudier. »

Mirvar, la mère de Deeb, déclare qu’elle a toujours été opposée à ce que son fils arrête ses études. Mais elle a compris qu’il n’y avait guère d’autre choix.

« Si son papa était encore en vie, Deeb aurait son diplôme, maintenant. »

Non pas faible, mais impuissant

Deeb a continué à travailler dans la réparation de motos jusqu’à ce que le gouvernement de Gaza impose des restrictions en raison de l’épidémie de Covid-19. Hormis un bref répit lorsque le lock-down a été levé en été, l’atelier est resté fermé et la famille s’est de nouveau retrouvée sans source de revenu.

Le mois dernier, Deeb a tenté de se suicider. La nuit précédente, il avait passé toute la soirée à tenter de consoler ses frères et soeurs plus jeunes, qui pleuraient parce qu’ils avaient faim.

« Je ne pouvais plus les voir aller dormir l’estomac vide. Je me sentais piégé et j’avais perdu tout espoir d’encore améliorer ma situation. »

Deeb était sur le point de s’immoler par le feu. Mais, au dernier moment, alors qu’il s’aspergeait d’essence, un oncle et des voisins étaient entrés pour l’empêcher de continuer.

« Si l’AP avait payé les allocations de mon père, ma vie aurait pris une autre tournure »,

dit-il.

« Je ne suis pas faible, mais je me sens impuissant. »

Selon Sami al-Amassi, responsable de la Fédération générale des syndicats à Gaza, quelque 160 000 travailleurs à temps partiel ont été négativement affectés par les lock-downs à Gaza, soit parce qu’ils ont perdu complètement leur emploi, soit parce qu’ils ont perdu toute source de revenu pendant une longue période.

« C’est une véritable tragédie humaine »,

a déclaré al-Amassi à The Electronic Intifada.

« Il devrait y avoir du soutien, et particulièrement pour ces familles. »

L’histoire de Deeb m’a poussé à m’enquérir d’une autre famille qui avait perdu des proches lors de ce massacre dans notre quartier, il y a six ans.

Reem Qandil, 41 ans, avait perdu son mari Yousef et son fils aîné Anas, qui avait 17 ans, à l’époque.

Yousef, ouvrier dans la construction, était la seule source de revenu de la famille. Reem n’avait que peu de confiance dans l’AP et, bien vite, elle avait compris qu’elle allait devoir subtenir seule aux besoins des cinq enfants qui lui restaient. Elle s’était lancée dans la confection de sucreries et autres douceurs qu’on pouvait commander à son domicile.

« Je ne gagne pas beaucoup mais, au moins, je peux nourrir ma famille et je ne dois pas compter sur l’assistance » ,

a expliqué Reem à The Electronic Intifada.

Les restrictions dues à la pandémie l’ont très lourdement affectée elle aussi. Le demande de douceurs est au plus bas et les moindres fêtes pour lesquelles elle pouvait s’attendre à d’importantes commandes, tels mariages ou naissances, sont hors de question.

Dans un tel climat, explique Qandil, elle peut comprendre à quel point Deeb était désespéré.

« Je n’ai pas été surprise quand il a tenté de se suicider. Depuis que j’ai perdu mon mari, personne ne m’aide non plus. Le fardeau est trop lourd. »

De vaines protestations

Avant la pandémie de coronavirus, Qandil allait protester chaque semaine en face du bureau de l’OLP afin que les familles des victimes du conflit puissent être assurées des allocations qu’on leur avait promises.

Rien n’est sorti de ces protestations et Intissar al-Wazir, ancienne ministre des Affaires sociales de l’AP, personnalité importante de l‘OLP, première femme à être membre du Fatah et, aujourd’hui, responsable de la Fondation des familles des martyrs, a déclaré qu’elle ne voyait aucune raison au non-paiement des allocations.

« Nous avons préparé des listes de familles des martyrs et les avons soumises à la présidence »,

a-t-elle expliqué à The Electronic Intifada.

« Jusqu’à présent, nous n’avons toujours pas eu de réponse. Nous n’avons reçu que des promesses. »

Mustafa al-Sawaf, ancien rédacteur en chef du journal Falasteen, un quotidien affilié au Hamas et un observateur attentif des mouvements politiques islamiques, a déclaré qu’il estimait que le non-paiement des allocations avait une origine politique.

« Rien ne justifie un tel retard »,

a-t-il dit à The Electronic Intifada.

« Cela fait partie des mesures punitives de l’AP à l’encontre Gaza et qui remontent à 2017. »

En 2017, l’AP avait imposé un certain nombre de coupes sombres dans son budget destiné à Gaza, dont des réductions de salaire pour les anciens employés de l’AP sur place et la cessation de paiement de l’électricité. L’AP avait déclaré qu’elle répondait tout simplement à des pressions budgétaires mais, à Gaza, la chose avait été largement perçue comme une mesure punitive à l’encontre du Hamas.

Alaa al-Barawy voit dans ce refus d’octroyer leurs allocations aux familles une autre conséquence de la dissension palestinienne entre l’AP, dominée par le Fatah en Cisjordanie, et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza.

« Nous n’avons cessé de demander que cette question soit bien séparée du dossier politique », dit-il.

Pour Deeb, c’est une question de survie.

« J’espère que l’AP va reconsidérer la question, du moins au vu du Covid. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer comme ça. »


Publié le 2 novembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Hamza Abu Eltarabesh est journaliste et il vit à Gaza.

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