La broderie palestinienne, avant et maintenant

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Pour en savoir plus sur la broderie palestinienne, lisez l’étude ci-dessous.

Redécouverte d’un héritage culturel : tradition du costume et de la broderie en Palestine depuis 1948

Le costume traditionnel en tant que symbole politique : une carte postale de l'OLP des années 1970 montre une villageoise palestinienne d'avant 1948 redessinée, avec les motifs de broderie de sa robe qui ont été remplacés par de la calligraphie politique. (Crédit : Palestine Costume Archive Research Library)

Le costume traditionnel en tant que symbole politique : une carte postale de l’OLP des années 1970 montre une villageoise palestinienne d’avant 1948 redessinée, avec les motifs de broderie de sa robe qui ont été remplacés par de la calligraphie politique. (Crédit : Palestine Costume Archive Research Library)

Avant 1948, l’année de la proclamation de l’État d’Israël, la société arabe en Palestine consistait en trois groupes principaux : les citadins, un petit pourcentage de tribus bédouines nomades ou semi-nomades et les villageois ou « gens de la terre », qui constituaient les trois quarts de la population. Plus de huit cents villages étaient disséminés depuis les plaines côtières jusqu’au Jourdain.

Alors que le costume dans les régions urbaines reflétait historiquement les occupants du pays de l’époque (par exemple, des styles turcs au cours de la période ottomane, et des modes européennes sous le Mandat britannique), bien des villages de Palestine étaient indépendants, économiquement et socialement, et les difficultés des communications ainsi que l’environnement produisaient des traits fortement individualistes à l’intérieur des communautés mêmes : des dialectes différentes, des cultures agricoles et une nourriture différentes, et des vêtements différents.

C’est à partir de ces villages que se développèrent les styles traditionnels des vêtements palestiniens qui constituent le contexte du présent article.

Avant les événements de 1948, le costume traditionnel des villageoises en Palestine connaissait une grande diversité au niveau des régions et des styles, avec une grande emphase placée sur l’ornementation. Dessiné à parti des tissus les plus fins, tant tissés localement qu’importés, le costume palestinien était traditionnellement brodé et orné d’appliqués, chaque élément de décoration devenant une œuvre d’art individuelle. Le costume des femmes contenait également un système de communication complexe exprimant le statut, la richesse et l’origine géographique de celle qui le portait, et ce, par l’entremise de son style et de ses éléments décoratifs.

Pour que vous puissiez apprécier pleinement les costumes exquis portés au cours de la première moitié du vingtième siècle, je dois vous renvoyer aux publications séminales telles que The Palestinian Costume (Le costume palestinien) de Shelagh Weir (British Museum), de 1989, et au site internet et aux expositions itinérantes des Archives du costume en Palestine.

Brièvement, dans les grandes lignes (et ici je m’inspire en premier lieu de Weir) : Sur le plan historique, tant les Bédouines palestiniennes que les paysannes des villages confectionnaient leurs propres costumes, apprenant à broder très tôt, vers l’âge de huit ans.

La broderie jouait un rôle important dans la vie villageoise et on estimait qu’elle révélait le caractère et la personnalité de la femme, de même qu’elle reflétait son statut économique.

La préférence dans les couleurs de la broderie était avant tout liée à l’identité régionale, et la broderie palestinienne possède en effet un langage des couleurs très complexe. Les principaux points utilisés en broderie étaient le point de croix et le point en quinconce, réalisés avec de la bourre de soie (ou soie floche).

Chaque modèle de broderie portait un nom, avec des dessins géométriques et abstraits complétés par des motifs curvilignes et figuratifs qui avaient été introduits par les missionnaires et enseignants européens après les années 1930.

Les motifs de broderie reflétaient également l’environnement politique de l’époque. Par exemple, le modèle de la « tente du pacha » apparut pour la première fois à l’époque où la région était sous le pouvoir de la cour ottomane, alors que le modèle des « galons d’officier » fut adopté durant le Mandat britannique, imitant les symboles des grades militaires britanniques. Par conséquent, la broderie agissait comme un symbole de l’évolution de l’identité palestinienne en rappelant historiquement les interprétations individuelles des événements politiques et culturels qui touchaient les existences des villageoises palestiniennes.

Vers les années 1930. Une mère et son enfant dans un village palestinien de la région des collines près de Hébron. (Photo : Cha'ad Ra'ad, Institute for Palestine Studies)

Vers les années 1930. Une mère et son enfant dans un village palestinien de la région des collines près de Hébron. (Photo : Cha’ad Ra’ad, Institute for Palestine Studies)

Bien que le style de l’habillement fût défini par les préférences régionales et les facteurs sociaux locaux, nombre d’éléments d’habillement de base conservèrent une similitude générale dans le dessin, sinon dans l’ornementation. Le costume villageois comprenait la robe de base, portée avec des pantalons, un gilet et/ou une veste, en même temps qu’un certain genre de coiffe inventée et un voile brodé (au contraire des Bédouines, les villageoises ne voilaient pas leur visage, excepté le jour de leur mariage). Tous ces éléments d’habillement étaient finement décorés et indiquaient le statut conjugal et économique ainsi que l’identité régionale.

La principale pièce d’habillement, la robe dite thob, de même que pour le costume, consistait généralement en une ample robe ornée de manches, et dont la coupe même variait selon les régions.

Comme l’ont illustré brillamment les recherches de Shelagh Weir, certaines règles « grammaticales » régissaient la mise en place de la broderie sur une robe villageoise palestinienne, avec l’ornementation surtout concentrée sur le carré du pan supérieur de la poitrine, sur les poignets et le haut des manches, et sur les pans verticaux de la robe à partir du niveau de la taille. Dans certaines régions, on décorait un pan arrière de la robe situé plus bas. Dans ces sections de mise en place de la broderie, les points et modèles variaient selon les régions. Cette diversité de structures et de modèles était d’une grande importance pour les villageoises, qui pouvaient identifier les origines régionales ou villageoises d’une femme d’après sa robe.

La vie traditionnelle en Palestine fut très gravement perturbée par la création de l’État d’Israël en 1948, surtout dans le nord, l’ouest et certaines parties du sud de la Palestine. Suite à ces hostilités, d’après des documents des Nations unies, plus de la moitié de la population rurale se mua en réfugiés, et plus de cinq cents villages furent complètement détruits.

Avec la destruction de la société palestinienne traditionnelle, la majeure partie de l’héritage culturel de la Palestine cessa d’exister.

Comme l’écrivait le 10e Panchen Lama du Tibet dans sa Requête au gouvernement de la Chine, en 1962 :

« (…) si la langue, les vêtements, les ornements et les coutumes d’une nationalité disparaissent en un bref laps de temps, cette nationalité dans ce cas disparaît aussi avec eux, ou se mue en une nationalité différente (…) ».

Les traditions des costumes et des textiles ont connu des changements considérables, du fait de ces événements.

1949. Une villageoise palestinienne regarde sa maison, sans pouvoir y retourner. (Photo : UNRWA)

1949. Une villageoise palestinienne regarde sa maison, sans pouvoir y retourner. (Photo : UNRWA)

Il y a peu de documentation disponible sur le costume palestinien dans les années 1950, une période particulièrement bouleversée, puisque de nombreuses familles palestiniennes durent s’adapter à leur statut de réfugiés.

Les Palestiniennes n’avaient plus le temps ni les moyens financiers de broder des vêtements luxueux pour elles-mêmes. Des parures tels les foulards de tête et les coiffes ornées de piécettes sont devenues des choses du passé et la distinction entre les mises festives et celles de tous les jours s’est perdue. Dans les années 1970, le déplacement de populations entières vers les centres et camps de réfugiés avait rompu les vieilles traditions des styles régionaux hautement développés et il ne restait que très peu de chose à voir du costume traditionnel palestinien ou de l’industrie palestinienne du tissage.

Cependant, la destruction d’un pays ne coïncide pas automatiquement dans le temps avec la destruction de son peuple. Et, à la fin du 20e siècle, le costume et la broderie palestiniens étaient redevenus une expression puissante de la culture matérielle palestinienne – bien que sous une forme différente de celle de la fin du siècle précédent. Comment cela se fit-il ?

Considérons d’abord le costume traditionnel palestinien. Les styles de vêtements portés aujourd’hui dans les Territoires palestiniens et dans les camps de réfugiés palestiniens disséminés dans le Moyen-Orient comprennent les vêtements occidentaux et les vêtements islamiques très pudiques, ainsi que diverses formes de robes brodées « traditionnelles » – mais ce qui est identifié comme traditionnel aujourd’hui est un vêtement bien plus simple en termes de confection et de décoration et il est habituellement porté avec un simple foulard de tête en coton.

Un costume brodé a lentement commencé à réapparaître dans les années 1960 et il l’a fait sous une forme très, très différente, avec la sobriété de la broderie de coton (de nos jours) et les tissus fonctionnels, à bon marché, reflétant les réalités sociales et économiques de la vie des réfugiés. Certains vêtements produits à cette époque, figurant désormais dans la collection des Archives du costume en Palestine, montrent de la broderie réalisée à la machine ou même des rangées de ganses à l’européenne dans les zones traditionnellement brodées.

À la fin des années 1960 et dans les années 1970, la « robe à 6 branches » se développa, en se basant sur un style d’avant 1948 découvert dans la région de Ramallah et ainsi dénommé à cause des six bandes verticales de broderie qui allaient de la taille jusqu’à l’ourlet. La beauté de la robe à « 6 branches » consistait en ce que la structure du dessin permettait qu’on brode les « branches » en reflétant ses propres nécessités économiques : très étroites si les temps étaient difficiles, élargies si un peu plus d’argent était disponible pour s’autoriser de petits luxes.

1996. Des réfugiées palestiniennes à Kerak, en Jordanie, portant des exemples de robes islamiques et (en détail) une robe à « 6 banches » brodée à la machine. (Photo : Michelle Woodward ; Baltimore, États-Unis)

1996. Des réfugiées palestiniennes à Kerak, en Jordanie, portant des exemples de robes islamiques et (en détail) une robe à « 6 branches » brodée à la machine. (Photo : Michelle Woodward ; Baltimore, États-Unis)

La « 6 branches » est caractérisée par ses modèles de broderie avant tout européens, y compris des dessins curvilignes de feuilles et de fleurs et divers dessins doubles d’oiseaux et d’animaux mythologiques. Le coton était déormais le fil préféré pour la broderie, une fois de plus pour des raisons économiques, avec des fils de nuances multicolores qui étaient devenus très populaires dans les années 1970.

Durant les années 1980, la création et le développement de nombreux projets artisanaux féminins dans de nombreux camps de réfugiés palestiniens, en tant que façon de compléter le revenu (du fait que bien des femmes étaient désormais la première source de revenu de leur famille), produisit le style shawal, que l’on peut voir sur l’enfant au centre.

Le shawal fut d’abord produit dans les camps sous une forme pré-brodée non coupée, assemblée par l’acheteuse. Fait de lin épais avec la broderie au point de croix exécutée directement sur le tissu principal, il était vendu avec un châle à franges travaillé de la même manière. La mise en place de la broderie reflétait des styles perçus comme européens, avec de fines bandes sur l’endroit et l’envers, reliée par une seule bande au fond tant sur l’endroit que sur l’envers. L’influence occidentale était également apparente dans la ligne mince modifiée du vêtement et dans l’addition de pinces de poitrine. Les motifs de broderie étaient habituellement géométriques, avec des couleurs qui favorisaient les cotons ombragés ou les pastels. Les dessins de type « cyprès » (saru) et « tente du pacha » étaient communs. Bien que développé pour le marché étranger, le shawal devint très populaire parmi les jeunes femmes palestiniennes en Jordanie et dans les Territoires palestiniens ; elles le portaient pour représenter un style « traditionnel » haut de gamme, un genre de haute couture palestinienne.

Le costume traditionnel palestinien connut une renaissance significative à la fin des années 1980, au moment du soulèvement de l’Intifada, quand la robe brodée fut identifiée dans les Territoires occupés comme une affirmation de la conscience nationale et sociale.

L’Intifada fut un soulèvement populaire dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, une résistance de masse coordonnée au sein d’une politique directe constistant à freiner le recours aux armes, et elle prit la forme de grèves, de manifestations, d’embargos contre les produits israéliens et de refus de paiement des taxes, dans le but de priver Israël des bénéfices financiers de l’occupation.

De même que la vie quotidienne dans les Territoires occupés s’impliquait de plus en plus dans la politique de résistance, le contenu et l’emphase de la vie culturelle se modifièrent également.

La langue, la musique, la littérature, l’art et le costume palestiniens refètent tous aujourd’hui des situations politiques modernes et sont des symboles de conscience politique.

L’emphase populaire croissante imposée par les Palestiniens contemporains aux usages de la vie villageoise d’avant 1948 afin d’articuler l’identité nationale palestinienne, associée au rôle changeant des femmes durant cette période, a produit une époque extraordinairement créative pour les Palestiniennes quand elles se sont mises à évoluer au-delà de leur rôle qui, traditionnellement, était un rôle de soutien.

Selon l’avis d’une de ces femmes, le port d’une robe traditionnelle telle la thob, et ce, dans n’importe lequel de ses styles nouveaux, constituait une manifestation de fierté nationale :

« Les femmes [palestiniennes] de la nouvelle génération qui fréquentent les universités portent des thobs couvertes de broderies parce que c’est leur héritage – même les gens instruits se tournent vers leur héritage. »

1993, Jérusalem-Est. Une grand-mère palestinienne portant une robe « 6 branches », avec des soldats israéliens. (Photo : Michelle Woodward, Baltimore, États-Unis)

1993, Jérusalem-Est. Une grand-mère palestinienne portant une robe « 6 branches », avec des soldats israéliens. (Photo : Michelle Woodward, Baltimore, États-Unis)

Cette fierté nationale progressa d’un pas supplémentaire avec la création d’un nouveau style de tenue shawal dessiné spécifiquement pour promouvoir l’Intifada.

Avant la fin des années 1980, le principal symbole du nationalisme palestinien resta le foulard de tête appelé keffieh, avec son motif en damier, et les vêtements portant les motifs du keffieh apparurent au cours des années 1970 et au début des années 1980 comme des prises de position politiques individuelles.

Toutefois, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, le nouveau lien, dû à l’Intifada, du costume traditionnel avec le nationalisme produisit désormais, pour une période limitée, des « robes drapeaux » évocatrices ornées de façon prédominante de broderies aux couleurs du drapeau palestinien interdit (à l’époque), avec des motifs nationalistes de broderie telle la mosquée du dôme du Rocher, les motifs repris du keffieh à damier et des cartes de la Palestine, de la calligraphie arabe et anglaise, le tout intégré à la structure du pan de poitrine et des pans latéraux verticaux de la jupe.

Comme l’expliquait une femme de Beit Omar :

« Des gens étaient emprisonnés pour le port du drapeau, et par conséquent, nous, les femmes, nous le brodions sur nos [robes] thobs. »

Alors que les Archives du costume palestinien possèdent des exemples de robes à broderies politiques remontant aux années 1970 (appelées à l’époque robes « Fatah » ou « OLP »), ces nouvelles robes intifada à « drapeau » se développèrent stylistiquement à partir de dessins politiques assez simples pour fournir ensuite des exemples symboliquement complexes, utilisant non seulement des événements politiques mais aussi le folklore et la mythologie de la Palestine comme source d’inspiration.

Une robe actuellement en prêt aux Archives du costume palestinien dépeint la colombe de la paix comme le phénix mythologique renaissant de ses cendres ; elle tient le drapeau palestinien dans son bec sous forme de rubans de couleur, tandis qu’une autre robe tire son inspiration d’une chanson populaire palestinienne, la Jama Muel al Hawa, et est brodée de calligraphie arabe ainsi que de motifs traditionnels d’avant 1948 disposés de façon à « protéger » le vêtement.

Dans la société villageoise du début du 20e siècle, le costume traditionnel et la broderie avaient symbolisé d’importantes facettes du village, de la famille et de l’identité sexuelle de la femme. Aujourd’hui, en cette fin de 20e siècle, les Palestiniennes ont adapté et réinventé des éléments symboliques culturels afin de conférer au costume et à la broderie une nouvelle signification spécifique au discours national contemporain. À une époque où le costume palestinien s’était presque complètement fragmenté en tant que moyen de communication, il assuma de nouveau à l’époque actuelle un rôle important en tant qu’expression de l’identité nationale, de contestation symbolique sans violence.

Détail du bas d'un pan arrière d'une robe « drapeau » intifada, vers 1989, présentant imagerie politique et calligraphie. (Photo : Widad Kawar Collection, Amman) (Jeni Allenby)

Détail du bas d’un pan arrière d’une robe « drapeau » intifada, vers 1989, présentant imagerie politique et calligraphie. (Photo : Widad Kawar Collection, Amman) (Jeni Allenby)

Les innovations stylistiques dans l’habillement se poursuivirent à la fin des années 1980 et dans les années 1990, avec la production d’un plus grand nombre de vêtements de style occidental, tels gilets et vestes destinées aux marchés tant occidentaux que locaux. Les robes brodées étaient souvent portées, désormais, avec de fines ceintures (parfois en cuir ou en plastique, parfois brodées – un style originalement pratiqué dans les projets des camps de réfugiés réalisés pour la vente), souvent maintenant nouées à travers la partie inférieure du pan de poitrine brodé.

Les robes d’avant 1948 n’étaient portées que par les femmes plus âgées vivant toujours dans les Territoires palestiniens et ce, lors des occasions festives (de plus en plus rares). Pendant ce temps, dans la nouvelle structure de dessin de la « 6 branches » ou du shawal, des interprétations modernes de styles d’avant 1948 – telle la robe « royale » de Bethléem – se mirent à apparaître, avec du fil bon marché en velours et en lurex remplaçant les couchages complexes en métal et en bourre de soie du passé.

Certains projets de broderie chez les réfugiés, comme la Family Care Society à Amman, se sont mis à proposer un service de « reproduction » de vêtements traditionnels (d’avant 1948) ayant survécu,

« afin de garder bien vivant le costume palestinien et en préserver une image brillante aux yeux des génératiuons actuelles et à venir »,

et dans le but aussi de proposer des

« robes modernisées (…) qui portent les caractéristiques palestiniennes dans la forme et la dimension des motifs ainsi que des modèles ».

Le message transmis désormais via le langage du costume palestinien contemporain est que nous ne devons pas oublier le passé, mais que nous devons également aller de l’avant en termes de dessin et de culture.

L’autre cause importante de la renaissance dans le costume et la broderie traditionnels fut la création de projets de broderie dans de nombreux camps de réfugiés de la région palestinienne.

Les événements de 1948 firent près de 750 000 réfugiés palestiniens, estiment des documents des Nations unies. En l’an 2000, il y avait en Cisjordanie et à Gaza 3 millions de Palestiniens qui vivaient dans des camps de réfugiés des Nations unies et, naturellement, il y a encore bien d’autres camps de réfugiés dans la région palestinienne des alentours.

Des projets de broderie lancés afin d’assister les réfugiées palestiniennes via un revenu et de promouvoir la culture palestinienne traditionnelle, étaient déjà apparus dans les années 1950. La plupart, toutefois, furent lancés au milieu des années 1980, quand le besoin de tels projets fut enfin reconnu par la communauté de l’aide internationale.

Il existe plusieurs catégories différentes de projets de broderie : ceux qui ont été créés et maintenus par les organisations d’aide étrangères, ceux qui ont été créés par l’aide étrangère, mais qui sont désormais gérés au niveau local, et ceux lancés par les diverses organisations et sociétés de femmes palestiniennes. Cette dernière catégorie a une longue histoire, en Palestine, où le mouvement des femmes a débuté dans les premières années du 20e siècle.

Des organisations sociales et surtout caritatives avec des objectifs humanitaires furent créées, à cette époque, et elles contribuèrent grandement à promouvoir le rôle des femmes palestiniennes dans les sphères éducatives, sociales, économiques et politiques. Dans les années 1980, bien des femmes étaient devenues plus impliquées dans les questions politiques et nationales par le biais de ces divers comités de femmes. Actuellement, les sociétés se concentrent davantage sur la promotion et la sauvegarde de l’héritage culturel palestinien et sur la production de broderie contemporaine. Disons-le en reprenant les mots d’une jeune femme participant au projet de broderie Sulafa de l’UNRWA à Gaza :

« Bien que nous ne brodions plus dans le style de nos villes, nous brodons pour nos maisons et pour notre travail. Nous brodons des coussins, des horloges et des cartes de la Palestine. La broderie est notre héritage. Nous aimons la broderie (…) et nous en sommes fières. »

Des réfugiées palestiniennes sourdes brodant des couvre-meubles dans le cadre du projet de broderie du Centre de revalidation Al Amal de la Société du Croissant Rouge palestinien à Khan Younis, dans la bande de Gaza, en 2000. (Photo : Jeni Allenby)

Des réfugiées palestiniennes sourdes brodant des couvre-meubles dans le cadre du projet de broderie du Centre de revalidation Al Amal de la Société du Croissant Rouge palestinien à Khan Younis, dans la bande de Gaza, en 2000. (Photo : Jeni Allenby)

Le fait que ces projets produisent des articles spécifiquement destinés à la vente sur les marchés occidentaux signifie que ces produits ne sont par conséquent pas tenus aux règles « traditionnelles » de la décoration ou du style qui a formellement créé le langage de la robe palestinienne. La broderie palestinienne à partir des années 1980 a par conséquent commencé à se développer pour la première fois en tant que forme culturelle importante séparée du costume palestinien.

Le produit original produit par tous les projets de broderie à partir des années 1980 a été le coussin carré brodé, en tailles « small » et « jumbo » (coussin de sol), avec leur surface complètement recouverte de points de croix multicolores et complexes (en soie ou en coton). Toutefois, le fait que le marché occidental a été inondé de broderie bon marché en provenance de l’Inde et de l‘Amérique du Sud a compliqué fortement la possibilité pour ces produits de luxe de conquérir un marché international. Par conséquent, bien des projets des camps de réfugiés se sont mis à dessiner de nouveaux produits proposant moins de broderie (réduisant ainsi le temps et les coûts de fabrication), tout en préservant un sentiment « palestinien » et « moyen-oriental » bien distinct.

Au fil du temps, chaque camp de réfugiés ou organisation d’aide a développé certaines caractéristiques stylistiques. Par exemple, l’imagerie chrétienne, comme les étoiles, les crèches et les arbres de Noël, sont des dessins communs sur les produits en provenance d’agences d’aide, telle Sambula (anciennement Craft Aid), qui bénéficient d’un financement par des églises du Royaume-Uni, tandis que certains projets gardent leur réputation en produisant des styles plus traditionnels, comme le projet Al Badia, venu de femmes réfugiées au Liban et bien connu pour son point de croix de haute qualité proposant des dessins traditionnels.

Des projets de broderie sans accès à un financement extérieur produisent des marchandises réalisées plus simplement, souvent faites à partir de pans brodés en provenance de vieilles robes. Nombre de projets produisent actuellement des poupées habillées dans les styles régionaux les plus célèbres de la Palestine (tels ceux de Bethléem, Ramallah et Hébron), qui sont devenus une excellente façon de transmettre des détails de costume et une iconographie culturelle d’une grande précision à la génération suivante.

Les produits brodés restent un élément important pour les Palestiniens d’aujourd’hui, où qu’ils soient. La diaspora palestinienne est actuellement évaluée à 5 millions de personnes, dont 650 000 vivent en Israël et 1 400 000 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza [chiffres de l’époque, l’article ayant été publié en 2002, NdT].

De ceux qui ont quitté la région palestinienne, la plupart continuent à préserver leur identité nationale et à s’identifier à leur ville ou village d’origine. La clef visuelle sans doute la plus importante qu’ils gardent en maintenant cette identité séparée et en créant un symbole culturellement et durablement reconnaissable, réside dans la robe et la broderie traditionnelle. Qu’ils soient achetés à partir des projets des camps de réfugiés ou qu’ils soient brodés par des proches, les produits brodés conservent une place d’honneur dans les foyers du monde entier, avec le costume et la broderie palestiniens que l’on retrouve également de nos jours dans les œuvres des poètes, artistes et écrivains palestiniens modernes.

Alors que le costume et la broderie palestiniens peuvent de nos jours n’avoir rien de la richesse matérielle et de la complexité d’ornementation des exemples plus anciens, en aucun cas les costumes contemporains ou les broderies modernes ne sont inférieurs aux exemples historiques d’avant 1948. Aucune tradition de costume traditionnel n’est jamais complètement statique et, au travers de son ornementation et de son dessin, le costume palestinien a toujours reflété les situations sociales et économiques des époques.

Vue de dos d'un dessin contemporain se basant sur un style villageois galiléen d'avant 1948, dessiné par l'Atelier ANAT, au camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie. (Photo : Atelier ANAT)

Vue de dos d’un dessin contemporain se basant sur un style villageois galiléen d’avant 1948, dessiné par l’Atelier ANAT, au camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie. (Photo : Atelier ANAT)

Toutefois, si nous voulons comprendre le langage du costume palestinien contemporain, nous devons modifier notre perspective historique. Le rôle de la broderie sur le costume est toujours lié au statut social quand le costume est porté, mais le passage à la production professionnelle le marque désormais comme un signe de richesse, mais dans un sens différent. Alors que l’identification régionale de la brodeuse peut toujours être révélée dans des détails plus fins, les critères stylistiques régionaux distincts ont été remplacés par une caractérisation plus générale, alors que les styles non régionaux, comme le « 6 branches » et le shawal sont aujourd’hui reconnus par les femmes palestiniennes comme des exemples tout aussi bien établis et « traditionnels » du costume palestinien. Le costume palestinien contemporain porte toujours en lui les fonctions pratiques et symboliques de statut social et, partant, il signale fortement la capacité des femmes palestiniennes à adapter leur culture à des situations économiques et politiques changeantes. Le langage du costume a été redéfini.

Et la broderie ? Au début des années 1980, un pan narratif brodé connu sous le nom de « Mariage palestinien » est d’abord apparu. Il est aujourd’hui vendu par de nombreux projets de camps de réfugiés palestiniens (et nombre d’entre eux revendiquent même la propriété du dessin original) et est extrêmement populaire chez les Palestiniens de la diaspora. Ce qui rend ce pan particulièrement intéressant, c’est la façon dont il dépeint le plus important de tous les rituels palestiniens d’avant 1948 – le mariage. Il montre plusieurs parties différentes des célébrations, proposant donc à l’acheteur (qu’il s’agisse d’un acheteur étranger ou d’un Palestinien de la diaspora internationale) une série évocatrice de scènes remises en image de la vie villageoise, aujourd’hui un signifiant particulièrement important du nationalisme palestinien.

Le Mariage palestinien a été la première d’une série de narrations brodées qui, des années plus tard, allaient culminer en une série de pans brodés dessinés en réponse à l’intifada, et qui représentent des prises de position extraordinairement évocatrices englobant l’identification culturelle, la perte de la patrie et la communication interculturelle.

Dans l’un de ces pans, une fois de plus prêté aux Archives du costume palestinien par le projet qui l’a dessiné, le récit biblique de David et Goliath revêt une déformation palestinienne subtile, avec un jeune Palestinien qui combat deux énormes animaux mythologiques. Dans un autre, dessiné par l’Atelier Anat (du camp de réfugiés de Yarmouk, en Syrie), la colombe de la paix est montrée dans un oranger (Jaffa) et elle porte le drapeau palestinien. L’oranger est défendu par le peuple palestinien, les femmes en robe traditionnelle apportant des pierres aux jeunes combattants, qui s’agenouillent avec leurs frondes. Au bas de la broderie, une simple perle bleue les protège tous du mal.

Détail du pan brodé « Le martyr », dessiné par l'atelier ANAT, du camp de réfugiés de Yarmouk, en Syrie, et qui met en scène des personnages allégoriques brandissant des symboles de la Palestine perdue. (Photo : Jeni Allenby)

Détail du pan brodé « Le martyr », dessiné par l’atelier ANAT, du camp de réfugiés de Yarmouk, en Syrie, et qui met en scène des personnages allégoriques brandissant des symboles de la Palestine perdue. (Photo : Jeni Allenby)

Dans un panneau narratif peut-être bien le plus important, ce sont des funérailles palestiniennes contemporaines qui sont brodées selon une structure presque égyptienne, remise en image dans le style de vie villageois traditionnel d’avant 1948. La famille éplorée marche derrière la bière (le grand-père porte les outils de sa profession – charpentier – montrant comment jadis les hommes avaient du travail) alors que des figures allégoriques (dans la robe traditionnelle représentant le peuple palestinien et portant des images de l’oranger de Jaffa et la clé des maisons perdues en Palestine) ramènent le mort palestinien de l’exil à chez lui. Par conséquent, une réalité contemporaine insupportable a été brodée et transfigurée en un souvenir évocateur d’une perte culturelle.

La capacité de s’enrichir à partir de sources extérieures et de nouvelles sources intérieures est un indice de vitalité, dans toute culture, plutôt qu’un signe de déclin. Dans l’actuelle renaissance de l’héritage culturel palestinien – dans les textes des poètes palestiniens et dans les textiles des réfugiés palestiniens – un langage culturel perdu a été redéfini. Dire que le costume et la broderie palestiniens se recréent, se ré-établissent eux-mêmes, ne veut pas dire que les problèmes auxquels le peuple palestinien est confronté sont résolus d’une façon ou d’une autre. C’est simplement annoncer que le nouveau millénaire pourrait fournir les moyens de promouvoir les talents d’un peuple qui refuse de permettre à ses traditions et à sa culture de disparaître progressivement avec la fin du siècle qui s’en va.

Des réfugiées palestiniennes, l'une en costume traditionnel, l'autre en costume occidental, Amman, Jordanie, 1996. (Photo : Michelle Woodward, Baltimore, États-Unis)

Des réfugiées palestiniennes, l’une en costume traditionnel, l’autre en costume occidental, Amman, Jordanie, 1996. (Photo : Michelle Woodward, Baltimore, États-Unis)


Etude publiée en 2002 sur Digital Communs
Traduction : Jean-Marie Flémal

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