Le blocus israélien a déjà paralysé Gaza, puis est venue le Covid-19

L’une des zones les plus densément peuplées de la planète doit affronter la crise du Covid-19 absolument seule.

Gaza entre l’enclume de l’occupation israélienne et le marteau du coronavirus (cartoon : Carlos Latuff)

Majed Abusalama, 5 décembre 2020

La pandémie a lancé un défi formidable à ce qu’on appelle le « premier monde », mais la pauvreté omniprésente dans la bande de Gaza, avec ses 70 pour 100 de chômage, ainsi que la discrimination raciale et l’oppression institutionnalisée imposées par les occupants font qu’elle fait partie des sites les plus précaires et vulnérables du monde entier.

En aucun autre endroit on n’est confronté aux mêmes rythmes d’oppression structurelle qu’à Gaza. Et c’est ainsi que le pire cauchemar pour la population de l’enclave a débuté en août avec un lock-down prolongé après que les premiers cas de maladie y ont été confirmés. Les résidents de la zone ont dû affronter non seulement la propagation du Covid-19, mais aussi une pandémie mortelle dans un contexte de siège, d’oppression et de bombardements aériens imposé par Israël.

Après avoir enduré à maintes reprises des invasions et agressions militaires israéliennes au cours de ces quinze dernières années, les gens de Gaza subissent aujourd’hui un massacre d’un genre nouveau : plus lent, peut-être, sans pluie de bombes, mais qui inflige toujours des dégâts dévastateurs. Gaza – effectivement une prison à ciel ouvert – héberge plus de 2,13 millions de Palestiniens qui y sont confinés et se voient refuser la possibilité de voyager ailleurs en Palestine ou dans le monde.

La bande de Gaza est déjà invivable, en réalité, sans eau potable disponible, avec de quatre à six heures d’électricité par jour et une crise de la sécurité alimentaire. Alors qu’en tant que puissance occupante Israël a des obligations légales envers Gaza, avec ou sans Covid-19, l’enclave, qui est sous contrôle total d’Israël, par air, par terre et par mer, doit lutter seule.

La situation médicale à Gaza est l’un des aspects les plus déchirants du siège israélien. Selon un rapport de l’ONU publié en 2018, Gaza avait déjà atteint un « point de rupture » à la suite du refus par Israël que des équipements médicaux essentiels parviennent aux Palestiniens dans le territoire. Les experts de l’ONU ont réclamé une réponse internationale à large échelle au besoin accablant de soins de santé que connaissent les résidents de Gaza.

Aujourd’hui, des patients du cancer et des gens gravement malades sont coincés dans une situation extrêmement précaire qu’ils n’auraient jamais pu imaginer. Affronter le cancer est déjà trop : devoir affronter le Covid-19 dans des conditions d’occupation coloniale, qui peuvent être assimilées à une Nakba sans fin, est difficile au-delà de toute imagination.

Les Palestiniens à Gaza font partie des gens les plus vulnérables au monde. Au début de la pandémie, ils lâchaient de sombres plaisanteries sur la façon dont, pour une fois, leur emprisonnement et leur manque de déplacements avaient leurs bons côtés. Doutant que le coronavirus puisse pénétrer dans l’enclave sous blocus, ils s’attendaient à ce qu’il n’affecte pas leurs existences de la même façon que l’apartheid israélien le fait jour après jour.

Les autorités de Gaza ont découvert le premier cas le 22 mars 2020 et, le 5 juillet 2020, il n’y avait encore que 72 cas confirmés, dont 60 avaient été traités avec succès et un seulement était décédé. Par contre, le Covid-19 prélevait un lourd tribut dans les pays voisins. Mais cette situation n’allait pas durer.

Fin août, le gouvernement de Gaza imposa un lock-down complet à tout le territoire, une mesure à laquelle la population ne s’était jamais attendue. Le virus attisa ses craintes et ses anxiétés et affecta plus encore la situation économique déjà chronique. Pour certains habitants de Gaza, cela ressembla au début de la fin. Un peu plus de trois mois plus tard, la communauté internationale, une fois de plus, n’est malheureusement pas venue en aide à Gaza, encourageant ainsi le sentiment d’impunité d’Israël qui alimente ses crimes de guerre.

Au moment où j’écris, le ministère palestinien de la Santé à Gaza a enregistré un total de 23 811 cas confirmés, dont 142 cas critiques et 129 décès ; 349 personnes ont besoin d’être hospitalisées d’urgence, mais il n’y a que 150 lits d’hôpital disponibles ; plus de 78 pour 100 de tous les lits d’hôpital de Gaza sont destinés aux patients du Covid-19.

Il s’agit ni plus ni moins d’un désastre de la santé et bien des organisations mettent en garde contre une catastrophe humanitaire totale. Affronter le Covid-19 requiert des équipements sanitaires, des médicaments, des lits de soins intensifs, des ventilateurs, de l’oxygène médical, des kits de testing et une infrastructure de santé dont la bande de Gaza est privée depuis 14 années de blocus israélien. Sans un nombre suffisant de kits de testing et de ventilateurs, et avec une infrastructue sanitaire générale tristement inadaptée, le secteur gazaoui de la santé est non seulement débordé, mais aussi au bord de l’effondrement.

J’ai peur pour mes parents qui prennent de l’âge, mes oncles, mes amis malades, les patients cancéreux et les milliers de personnes qui avaient déjà grand besoin d’un soutien de santé et d’un accès au monde extérieur, bien avant l’apparition du coronavirus.

Gaza supplie tout le monde de ne pas normaliser une réalité aussi extrêmement précaire et de tenir Israël responsable de ses actes et de lui rappeler ses responsabilités envers Gaza. Jusqu’à présent, la communauté internationale n’est pas parvenue, et ce depuis plus de quinze ans, à faire cesser les crimes israéliens contre l’humanité et à garantir un niveau de vie élémentaire à Gaza ; les punitions collectives se poursuivent bien qu’elles soient interdites par les lois internationales.

Gaza a désespérément besoin d’une solidarité proactive immédiate et d’actions qui ne soient pas seulement symboliques. Cela devrait figurer à l’avant-plan des esprits des gens et l’occupant israélien doit être traîné devant la Cour pénale internationale, non seulement pour tous les crimes qu’il a commis à Gaza, mais aussi pour sa négligence en ne prenant pas la moindre mesure en vue d’honorer ses devoirs et responsabilités.

Les check-points doivent être ouverts, et l’entrée des fournitures et équipements médicaux permise afin de répondre aux besoins des patients de Gaza, conformément à l’Article 56 de la Quatrième Convention de Genève.

Malgré tout, les habitants de Gaza continuent à faire preuve d’un grand courage, d’un potentiel énorme et d’une grande détermination dans leur recherche de manières de surmonter le siège israélien ainsi que le Covid-19. Mais les gouvernements du monde vont-ils continuer à leur faire faux bond ?


Publié le 5 décembre 2020 sur The New Arab

Majed Abusalama est un journaliste indépendant déjà primé, un défendeur des droits de l’homme et un analyste politique qui se concentre sur les programmes de transformation des conflits, sur la décolonisation de la Palestine et sur la mise en place de mouvements citoyens dans le Sud. Il a grandi au sein de la résistance au colonialisme israélien dans le camp de réfugiés de Jabalia à Gaza et il vit pour l’instant à Berlin.

On peut le suivre sur Twitter : @majedabusalama

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