Accord Maroc-Israël : Palestiniens et Sahraouis espèrent une solidarité renouvelée

Les activistes palestiniens et sahraouis ont exprimé leur espoir d’une coopération et d’une solidarité accrues à la suite de l’accord de normalisation entre le Maroc et Israël, dans le cadre duquel les États-Unis ont reconnu la souveraineté de Rabat sur la région contestée du Sahara occidental.

Des partisans du Front Polisario tiennent une banderole indiquant « Toutes et tous pour la Palestine – Toutes et tous pour le Sahara occidental » lors d’une manifestation en marge de la clôture du Forum social mondial, le 30 mars 2013 à Tunis (AFP)

Par Alex MacDonald

L’établissement par le Maroc la semaine dernière de liens diplomatiques avec Israël, qui survient à la suite d’accords de reconnaissance similaires impliquant les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, a suscité l’indignation des Palestiniens.

Cela a également mis en lumière la lutte commune pour la souveraineté et la reconnaissance à laquelle sont confrontés les Palestiniens et les Sahraouis contre les puissantes armées d’Israël et du Maroc.

Bien que des liens soient établis depuis des décennies entre ces deux luttes – Rabat a revendiqué le Sahara occidental en 1957 –, ceux-ci ont été largement négligés par une grande partie des dirigeants palestiniens au cours des dernières années car ces derniers sont restés proches du gouvernement marocain.

Mohamed Ahmed Madi dirige le Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, un groupe soutenant la solidarité avec le Sahara occidental, proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), orienté à gauche.

Par le passé, son organisation a été empêchée par le Fatah et le Hamas, qui dirigent respectivement la Cisjordanie occupée et la bande de Gaza assiégée, dans ses tentatives de promotion de la coopération avec les Sahraouis.

Mohamed Ahmed Madi, qui habite à Gaza, espère que l’alliance ouverte du Maroc avec Israël rendra les dirigeants palestiniens plus sensibles à la cause sahraouie, confie-t-il à Middle East Eye.

FPLP et Polisario

« Notre position au sein du comité : nous sommes ouverts à toutes les postures positives, et nous voyons l’initiative de normalisation du Maroc comme une opportunité pour les factions de revoir leurs positions »,

affirme-t-il.

« Mais dans le même temps, nous prenons réellement en considération toutes les positions établies et non les positions fluctuantes qui évoluent en fonction des circonstances. »

L’activisme en matière de solidarité entre Palestiniens et Sahraouis possède un long historique.

Le FPLP a toujours été un ardent défenseur du Front Polisario, l’organisation qui contrôle une grande partie du Sahara occidental, engagée depuis plusieurs décennies dans une lutte politique (et parfois armée) contre le Maroc pour l’indépendance sahraouie.

Georges Habache, chef du FPLP, dans une réunion du Conseil national palestinien pour décider s’il faut reconnaître Israël, le 12 novembre 1988 à Alger (AFP)

Georges Habache, fondateur et ancien dirigeant du FPLP, a rendu visite pour la première fois aux dirigeants du Front Polisario en Algérie dans les années 1970 et a déclaré son soutien à la fois en faveur de leur cause et du renversement de la monarchie « réactionnaire » marocaine.

Mais d’autres factions palestiniennes ont adopté des positions différentes. Le Hamas entretient en particulier depuis longtemps des liens étroits et de longue date avec le Parti marocain de la justice et du développement (PJD), à la tête du pouvoir exécutif du gouvernement marocain depuis 2011.

Cela a entraîné en 2016 l’interdiction des activités du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui à Gaza.

À l’époque, Mohamed Ahmed Madi a accusé le PJD d’avoir fait pression sur le Hamas pour qu’il l’empêche d’opérer et déclaré qu’il n’avait appris cette interdiction qu’une fois l’information relayée par les médias marocains.

Aujourd’hui, alors que l’accord israélo-marocain outrepasse les droits des Palestiniens et ceux des Sahraouis, la question nécessite selon lui plus d’attention que jamais.

« Nous nous efforçons de rallier le plus de monde possible à la cause juste des Sahraouis, et nous, au sein du Comité palestinien pour la solidarité avec le peuple sahraoui, nous cherchons à sensibiliser et à introduire la question sahraouie au niveau de la région arabe et dans le monde entier pour atteindre nos objectifs »,

explique-t-il.

« Nous essayons surtout de briser le silence médiatique systématiquement imposé par l’occupation marocaine depuis plus de 45 ans. »

Deux occupations

Les Sahraouis tout comme les Palestiniens sont devenus des victimes de la colonisation postcoloniale.

La déclaration Balfour de 1917 émise par les Britanniques a promis la création d’une patrie juive en Palestine sans prendre en compte les souhaits de la population autochtone.

De même, les accords de Madrid signés en 1975 ont engendré un découpage du Sahara occidental, précédemment connu sous le nom de Sahara espagnol, entre le Maroc et la Mauritanie – cette fois-ci sans le consentement de la population autochtone sahraouie.

Le Front Polisario a été officiellement lancé en 1973 dans le but d’obtenir l’indépendance de la région. Il a mené une guérilla contre le Maroc et la Mauritanie (soutenue par l’Algérie) jusqu’à la conclusion d’un cessez-le-feu en 1991.

Cependant, malgré les liens étroits entre le Front Polisario et les groupes palestiniens de gauche, le soutien public précédemment apporté par le Maroc à la cause palestinienne a poussé de nombreux dirigeants officiels de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à négliger la situation au Sahara occidental.

Lors d’un discours en 1980, Georges Habache a dénoncé l’hypocrisie de l’OLP, l’accusant de ne pas avoir défendu à l’époque une résolution soutenant « la révolution du peuple sahraoui et la reconnaissance de la République sahraouie » lors d’une conférence internationale.

Ibtihaml Alaloul, membre d’une ONG et activiste palestinienne installée en Suède, juge décevant que les dirigeants palestiniens soient restés si longtemps dans le camp du Maroc sur la question du Sahara occidental.

« À part les Palestiniens, quelle nation est la première à pouvoir comprendre cette situation ? »,

confie-t-elle à MEE.

Ibtihaml Alaloul mène depuis longtemps une campagne sur la question du Sahara occidental : elle s’est rendue à plusieurs reprises dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, où la vie de plus de 40 000 personnes ressemble beaucoup à celle des Palestiniens vivant dans des camps à travers le Moyen-Orient.

Par le passé, elle s’est fortement impliquée dans la formation aux métiers des médias à destination des Sahraouis. Elle affirme également avoir fait l’objet d’une surveillance par le Maroc lors de sa dernière visite dans le royaume début 2020.

Bien qu’elle n’ait pas encore soulevé la question dans les Territoires palestiniens occupés ou en Israël, Ibtihaml Alaloul a rassemblé des groupes palestiniens et sahraouis en Suède pour discuter des points communs entre leurs luttes et organisé des séminaires et des projections de films sur le Sahara occidental dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban.

Selon elle, de nombreux Palestiniens, en particulier ceux qui sont associés à des groupes de gauche, comprennent la situation et la lutte au Sahara occidental, mais trop d’autres pensent que la position vis-à-vis du Maroc de l’Autorité palestinienne, le gouvernement semi-décentralisé dans les territoires occupés, est « juste et légale ».

« Il est vraiment regrettable qu’ils aient ce genre de relation avec le Maroc »,

déplore-t-elle, tout en ajoutant qu’il est important que les Palestiniens comprennent

« que nous ne pouvons pas être libérés sans défendre d’autres causes ».

« Aucune valeur juridique »

En juin, le Maroc condamnait encore les menaces d’Israël quant à une annexion unilatérale de certaines parties de la Cisjordanie, déclarant que cela constituerait « une violation flagrante des résolutions de la légalité et du droit international ».

Quelques mois plus tard, le Maroc a envoyé des forces dans la zone tampon de Guerguerat au Sahara occidental, une région quadrillée par la force de maintien de la paix des Nations unies, enfreignant ainsi les termes de l’accord de cessez-le-feu de 1991.

En réponse, le Front Polisario a déclaré la fin de la trêve de 30 ans. Moins d’un mois plus tard, un accord de normalisation avec Israël est signé par le Maroc, accompagné de la promesse américaine d’une reconnaissance la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

Nazha el-Khalidi, activiste sahraouie des droits des femmes, arrêtée à de nombreuses reprises par l’État marocain pour son action en faveur des droits des Sahraouis, n’y voit « rien de plus qu’une annonce sur Twitter qui n’a aucune valeur juridique ».

Se référant à un long historique en matière de coopération secrète, elle décrit le Maroc comme un « allié traditionnel » d’Israël et soutient que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou essaie de détourner l’attention des accusations de corruption qui le visent en passant des accords avec « des régimes dictatoriaux bancals tels que les régimes du Golfe et le régime marocain ».

« L’annonce de Trump renforcera les liens de solidarité entre les Sahraouis et les Palestiniens qui ont été trompés par le faux soutien du Maroc à la cause palestinienne »,

affirme-t-elle à MEE.

« De même, cette décision a donné un grand élan à notre cause et alertera plus de gens au sujet de l’occupation [du Sahara occidental]. Cela se reflètera positivement sur la solidarité internationale avec nos droits légitimes. »

Malgré la tournure sinistre des événements, Ibtihaml Alaloul estime que la nouvelle donne pourrait tout au moins dissiper les illusions persistantes des Palestiniens sur le Maroc.

« Avant, quand on leur parlait des droits des Sahraouis, la première chose qu’ils répondaient était : ‘’Mais le Maroc est du côté de la Palestine’’ »,

explique-t-elle.

« Mais cette nouvelle situation – bien qu’elle semble négative – pourrait les amener à penser qu’ils vont dans la mauvaise direction, maintenant que le Maroc soutient explicitement un occupant. »


Publié le 13 décembre 2020 sur Middle East Eye

Traduction : VECTranslation.

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