Les élections en Palestine : Pourquoi le Hamas cherche-t-il l’unité nationale avec le Fatah ?

Le Hamas, qui professe la résistance contre l’occupation israélienne, a été appelé à s’associer à une certaine « unité nationale » avec le Fatah, qui contrôle l’Autorité palestinienne, et dont la mission « sacrée » depuis des décennies est de se coordonner avec l’occupation militaire israélienne pour réprimer la résistance palestinienne anti-israélienne.

La police de l’Autorité palestinienne réprimant une manifestation à Ramallah – Photo : Issam Rimawi

Par Joseph Massad, 25 février 2021

 La sagesse populaire dit que l’unité est préférable à la division dans les luttes politiques. Les différences, nous dit-on, doivent être mises entre parenthèses dans la lutte contre un ennemi commun. Ce dicton est vrai lorsqu’il est appliqué à des forces qui conviennent qu’il faut résister à l’ennemi et le vaincre.

Certes, personne ne se serait attendu à ce que le Front de libération nationale algérien fasse l’unité avec les collaborateurs algériens du colonialisme français, connus sous le nom de Harkis. En Afrique du Sud, le Congrès national africain, qui résiste, a refusé de s’unir au parti Inkatha, considéré à juste titre comme un collaborateur du régime d’apartheid.

Pourtant, dans le cas palestinien, le Hamas, qui professe la résistance contre l’occupation israélienne, a été appelé à s’associer à une certaine « unité nationale » avec le Fatah, qui contrôle l’Autorité palestinienne, et dont la mission « sacrée » depuis des décennies est de se coordonner avec l’occupation militaire israélienne pour réprimer la résistance palestinienne anti-israélienne.

Comme les résistants anticoloniaux ne se sont jamais unis à des collaborateurs dans les luttes anticoloniales, ni en Afrique du Sud et en Rhodésie, ni au Kenya, ni au Vietnam, dans le cas palestinien, c’est précisément ce qui s’est déroulé récemment.

Il y a deux semaines, divers groupes politiques palestiniens se sont réunis au Caire sous le parrainage officiel de l’Égypte pour élaborer un plan de « partenariat national » en vue d’organiser des élections pour l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie occupée par Israël et dans la bande de Gaza assiégée par Israël (on ne sait toujours pas si les Palestiniens de la ville de Jérusalem-Est occupée par Israël seront autorisés à participer). Les nouvelles élections ont été demandées par le leader non élu de l’AP, Mahmoud Abbas, dont le mandat électoral en tant que « président » de l’AP a pris fin en janvier 2009.

Ne mentionnez pas l’occupation

Les deux principaux partis en lice, le Fatah et le Hamas, ont participé pour la dernière fois aux élections en 2006, et continuent d’affirmer qu’ils suivent des stratégies opposées pour mettre fin à l’occupation israélienne.

Le Fatah et l’AP insistent sur le fait que la seule façon de mettre fin à l’occupation israélienne de la Cisjordanie , de Gaza et de Jérusalem-Est est de collaborer avec l’occupation militaire israélienne et de l’aider à réprimer et à mettre fin à toute résistance palestinienne violente et même pacifique, y compris le boycott international d’Israël.

Les ailes politiques et militaires du Hamas, en revanche, insistent sur le fait que la seule façon de mettre fin à l’occupation est la résistance sous ses multiples formes, militaire, civile, la solidarité internationale et le boycott international, entre autres.

Quelle est donc la base sur laquelle ces deux grandes stratégies antagonistes pourraient être unifiées contre l’occupation israélienne dans le cadre de ce que le communiqué final de la réunion appelle « l’unité nationale » palestinienne ? C’est d’autant plus ironique que toute l’affaire a un air de déjà vu par rapport aux événements qui se sont déroulés en 2005-2007 !

L’aspect le plus flagrant du communiqué de ce mois-ci est qu’il ne mentionne pas l’occupation israélienne, sauf une fois, curieusement, au point 12, où il est dit qu’une fois le futur parlement élu, les factions palestiniennes

«lui soumettront une recommandation visant à régler la question des parlementaires palestiniens emprisonnés par l’occupation ».

Sinon, le communiqué long et détaillé ne parle que des procédures électorales et de la nécessité que toutes les parties acceptent les résultats ; il ne mentionne jamais le fait que les élections se dérouleront sous occupation militaire israélienne ou que le Fateh a rejeté les résultats lors des dernières élections. Le mot Israël lui-même n’est même pas cité.

Tout comme l’occupation israélienne n’apparaît pratiquement pas dans le communiqué, la résistance palestinienne à l’occupation, mentionnée seulement de façon rapide au point 1, ne l’est pas non plus. Une réunion des factions palestiniennes est prévue au Caire le mois prochain pour discuter de l’élection/la sélection d’un nouveau membre pour le Conseil national palestinien de l’OLP

« afin d’activer et de développer l’OLP et de renforcer le programme de résistance nationale, étant donné que nous sommes un mouvement de libération nationale ».

Il semblerait que ce programme de résistance nationale sera défini lors de la réunion de mars et qu’il ne constitue pas la base de l’accord actuel. Que les groupes réunis aient jugé bon de se rappeler qu’ils constituent toujours un « mouvement de libération nationale » est tout simplement risible.

Mais quel est le but de cette « unité nationale » ? En quoi ces nouvelles élections ne sont-elles pas la répétition des mêmes événements qui ont eu lieu entre 2005 et 2007 ?

La direction du Hamas, qui a rejeté les accords d’Oslo, a compris que le but de la création de l’AP par les accords était que celle-ci fonctionne comme un outil de l’occupation israélienne, un objectif que l’AP a rempli avec aplomb.

Le Hamas a également compris que les élections, qui n’accordent aux Palestiniens aucun contrôle sur leurs terres ou leur eau, sans parler du vol continu de ces deux biens par les colons israéliens, sont plutôt un coup de relations publiques qui profite à Israël et à ses collaborateurs de l’AP. C’est pourquoi le Hamas a refusé de participer aux élections présidentielles et parlementaires de 1996 de l’AP ou aux élections présidentielles de janvier 2005 qui ont suivi la mort de Yasser Arafat en 2004.

Aucune légitimité historique

En l’absence de la légitimité historique d’Arafat, Abbas devait légitimer son règne. Lorsque les Israéliens ont décidé en 2005 de retirer leurs troupes d’occupation de l’intérieur de la bande de Gaza et de les redéployer autour de celle-ci, transformant la bande en la prison à ciel ouvert qu’elle est aujourd’hui, il y a eu un mouvement vers une certaine forme d’unité nationale entre le Hamas, qui résiste, et le Fatah, qui collabore, chacun espérant déloger l’autre de ses positions.

En conséquence, 12 factions palestiniennes, dont le Hamas et le Fatah, se sont réunies au Caire en mars 2005 sous le parrainage de l’Égypte pour régler leurs différends sur le système de vote à utiliser lors d’élections auxquelles elles participeraient toutes. Elles ont publié la Déclaration du Caire qui a convenu d’un système électoral incluant partiellement la représentation proportionnelle et de « l’activation et du développement » de l‘OLP, le même langage utilisé dans le communiqué de ce mois.

Contrairement au dernier accord, cependant, la déclaration de 2005 n’avait pas oublié d’affirmer

« le droit du peuple palestinien à la résistance afin de mettre fin à l’occupation, d’établir un État palestinien pleinement souverain avec Jérusalem comme capitale, et la garantie du droit au retour des réfugiés dans leurs foyers et leurs biens ».

Elle inscrivait également son opposition au colonialisme juif de peuplement et au mur de l’apartheid, ainsi qu’à la « judaïsation de Jérusalem ».

Avec la distanciation croissante de la population vis-à-vis de l’AP, dont la corruption financière et la collaboration avec les Israéliens s’étaient intensifiées depuis la seconde Intifada, les divisions croissantes au sein du Fatah – avec de jeunes dirigeants pro-Oslo comme Marwan Barghouti (emprisonné et condamné par les Israéliens pour son rôle présumé dans la Seconde Intifada) se posant en rivaux de sa direction traditionnelle – et la popularité croissante du Hamas, les États-Unis, en particulier son faucon de droite, alors secrétaire d’État, Condoleezza Rice, avaient insisté pour que des élections soient organisées en janvier 2006.

Ecraser le Hamas

À l’époque, les États-Unis espéraient que le Fatah écraserait le Hamas, sur la base de sondages qui prédisaient à tort une victoire du Fatah. Si elle se réalisait, une telle victoire aurait éliminé le Hamas et la résistance une fois pour toutes de la scène. L’USAID a contribué à hauteur de 2,3 millions de dollars sous diverses fausses représentations (comme la « plantation d’arbres » et un « tournoi de football ») pour soutenir l’élection du Fatah et pour soutenir Abbas (ce qui n’a clairement pas été considéré comme une ingérence « étrangère » ou une ingérence dans les élections locales).

Mais c’est l’arrogance des États-Unis et de leurs clients qui a été écrasé lors des élections. Le Hamas a remporté 74 sièges au Conseil législatif, tandis que le Fatah en gagnait 45.

Le Fatah et Abbas ont commencé à harceler les dirigeants élus du Hamas et à arrêter leurs partisans. Les Israéliens ont arrêté de nombreux candidats du Hamas qui avaient remporté des sièges au Parlement ainsi que les ministres du Hamas du nouveau gouvernement, formé en mars 2006. En août, Israël avait kidnappé et détenu 33 parlementaires du Hamas (25 % des membres du conseil législatif) et huit ministres du cabinet. Il a également empêché les membres du conseil législatif de Gaza de venir en Cisjordanie . Sans quorum, le conseil ne pouvait pas se réunir.

Les États-Unis et les Européens ont rapidement interrompu l’aide à l’Autorité palestinienne. En juin 2007, Abbas a illégalement démis le gouvernement élu du Hamas et remplacé son premier ministre par l’ancien agent de la Banque mondiale non élu, Salam Fayyad.

Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne formées par la CIA ont tenté, avec l’aide des services de renseignement jordaniens et égyptiens, de prendre le contrôle de Gaza et de la Cisjordanie par la force et de renverser le gouvernement élu. Après des mois d’enlèvements de responsables du Hamas par Israël et de harcèlement par le Fatah des cadres du Hamas en Cisjordanie , le Hamas a succombé au coup d’État de Ramallah mais, en raison de sa vaillante résistance, il est resté aux commandes à Gaza.

Avec le soutien de l’Égypte et de Mahmoud Abbas et ses loyalistes, Israël a ensuite imposé le siège punitif en cours sur Gaza dans une tentative de forcer la reddition ou l’effondrement du Hamas en infligeant d’intenses souffrances à la population.

Ces événements se sont déroulés dans les meilleures conditions, à un moment où les États-Unis, l’UE, l’ONU et la Russie étaient investis dans un certain modus operandi dans les territoires palestiniens occupés et où les pays arabes n’avaient pas encore déclaré de manière éhontée et obséquieuse leur amour éternel pour Israël.

En fait, la déclaration du Caire de 2005 a offert au Hamas les ingrédients de base de la justice pour les Palestiniens et du soutien aux droits des Palestiniens, alors que le communiqué du Caire de 2021 ne reconnaît même pas un de ces droits.

Pourquoi alors une direction politique du Hamas engagée dans la résistance cherche-t-elle à obtenir une « unité nationale » avec le Fatah, qui a fait preuve d’un engagement inébranlable à collaborer avec l’ennemi israélien pour opprimer le peuple palestinien ? Le Fatah et l’AP et leurs parrains israéliens, américains et arabes (en particulier l’Égypte et la Jordanie) ont tout à gagner de ce nouvel arrangement ; le Hamas a tout à perdre.

En préparation des élections, Israël, comme en 2005-2007, s’est déjà déchaîné au cours des deux dernières semaines en kidnappant et en arrêtant des dirigeants du Hamas et d’autres militants anti-PA de gauche à travers la Cisjordanie .

Une unité dans la collaboration ?

Si le Hamas perd les élections, en raison de toutes sortes de manœuvres illégales de la part d’Israël, des États-Unis et du Fatah, la pression exercée sur lui pour qu’il dépose les armes (une condition permanente d’Israël et des États-Unis pour mettre fin à son isolement et à sa criminalisation) augmentera à pas de géant. S’il gagne, il sera confronté à une répétition du coup d’État de 2006-2007.

Comme le Fatah et l’AP n’ont pas cédé sur leur collaboration avec l’occupation israélienne ni sur leur inimitié totale envers la résistance palestinienne, il est évident que c’est la direction politique du Hamas qui a cédé.

Toute forme d’« unité nationale » entre le Hamas et le Fatah dans ces conditions ne serait rien d’autre qu’une unité en collaboration avec les occupants israéliens.

Si tel est le cas, une fissure majeure se créera bientôt entre la direction politique du Hamas et sa direction militaire indépendante : la première rejoindra les rangs des collaborateurs, tandis que la seconde, qui n’a pas soutenu les efforts de rapprochement des collaborateurs, restera une résistance inébranlable contre les efforts incessants d’Israël pour supprimer tous les droits nationaux et politiques du peuple palestinien.


Publié le 25 février 2021 sur Middle East Eye

Traduction : MR pour ISM

Joseph Massad  

Joseph Massad

 

Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

 

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