Le combat de la Jeunesse du Sumud en zone C de la Cisjordanie occupée

L’activiste Sami Huraini, 23 ans, est l’un des coordinateurs de « Youth of Sumud » la « Jeunesse du Sumud », un groupe de jeunes de Cisjordanie engagé dans des manifestations hebdomadaires. Le passé de protestations non violentes de sa famille est riche d’un certain nombre de victoires assez étonnantes.

Sami Huraini. Photo : page FB de Youth of Sumud

Sami Huraini. Photo : page FB de Youth of Sumud

Jonathan Shamir, 23 février 202

Sami Huraini, étudiant en droit palestinien, se trouve tous les vendredis au poste de police de la colonie de Kiryat Arba à Hébron. Les conditions de libération sous caution du militant de 23 ans stipulent qu’il doit comparaître ici chaque semaine, dans la colonie israélienne attenant à Hébron, de 8h30 à 15h30.

Normalement, ce jour-là, Huraini assiste à la manifestation hebdomadaire après la prière près de son village d’At-Tuwani, en Cisjordanie, pour protester contre l’occupation et les démolitions de maisons par les autorités militaires israéliennes dans cette région désertique des collines d’Hébron-Sud. 

« Ils veulent que j’aie peur de me joindre à toute manifestation, et ils veulent m’utiliser comme un exemple pour effrayer d’autres militants », dit Huraini de ses conditions de mise en liberté sous caution, qui se n’aura pas lieu avant sa prochaine audience le 1er Mars. 
S’il on découvre qu’il a participé à une manifestation, il perdra sa caution de 10 000 shekels (environ 3 000 $), soit l’équivalent de deux mois et demi de salaire de son père.

« Même si je marche sur la route et qu’il y a une protestation, ils pourraient m’arrêter », dit Huraini. Si un tribunal militaire israélien a des raisons de croire qu’il a aidé à organiser une manifestation, il devra également remettre 30 000 shekels de plus (que son père et d’autres militants ont mis en gage).

« Ce n’est pas facile », a déclaré Huraini à Haaretz dans un entretien téléphonique. « Je ne veux pas m’arrêter. » 

En tant que coordinateur de la Jeunesse du Sumud, un collectif de 30 jeunes militants d’At-Tuwani et des villages voisins, Huraini est l’une des figures centrales des tentatives locales de contrer l’influence sans cesse croissante de l’occupation israélienne, et d’inciter les habitants à rester sur leurs terres.

Huraini fait face à des accusations de trouble à l’ordre public, d’agression contre un soldat israélien et de violation d’un ordre de zone militaire fermée lors d’une manifestation non autorisée le 8 janvier, près du village voisin d’Al-Rakeez (voir vidéo ci-dessus). Selon un rapport de l’Association pour les droits civiques en Israël, la plus ancienne organisation de défense des droits de l’homme du pays, l’imposition de zones militaires fermées est largement utilisée comme « outil de répression des manifestations en Cisjordanie ». Huraini considère également la justification comme une « excuse ».

Quinze soldats israéliens sont venus chez Huraini la même nuit, en lui demandant :

« Vous avez un couteau ? ».
« Vous me sortez du lit et vous me demandez si j’ai un couteau? »

Les yeux bandés et menottés, il a été conduit d’une base militaire à l’autre jusqu’à 4 heures du matin, heure à laquelle il a été conduit au poste de police de Kiryat Arba pour y être interrogé.

À 9 heures, il a été escorté à la prison de Gush Etzion, où il est resté six jours pendant que sa date de procès continuait d’être repoussée, raconte-t-il. Malgré son âge, c’est loin d’être la première fois que Huraini s’e retrouve aux mains des autorités israéliennes.

Tout comme son père Hafez et sa grand-mère Fatima avant lui, il sait qu’il peut s’attendre à ce qu’un tel traitement se poursuive aussi longtemps qu’il continue à protester. 

Élevé dans un milieu militant

À peine plus de 300 personnes vivent à At-Tuwani, un petit groupe de maisons en béton étreignant une colline rocheuse au sud d’Hébron, avec une école, une clinique et une mosquée. Les Hurainis s’y sont installés en 1948 près de la ville d’Arad, à une vingtaine de kilomètres au sud à vol d’oiseau et de l’autre côté de la ligne d’armistice qui marque les frontières d’avant juin 67. Fuyant les combats, ils ont acheté des terres à des habitants de la ville voisine de Yatta et ont continué comme ils l’avaient toujours fait : l’élevage de moutons.

Mais tout a changé en 1981. L’armée israélienne a construit « l’avant-poste » de Ma’on, à un jet de pierre d’At-Tuwani, pour un groupe de Nahal, une unité de l’armée israélienne qui a combiné le service militaire avec l’agriculture, et il est devenu une colonie un an plus tard. En 2001, des colons radicaux ont construit une extension connue sous le nom de Havat Ma’on, plus près encore d’At-Tuwani.

Au cours des 30 dernières années, At-Tuwani n’a guère été autorisé à s’agrandir, tandis que la colonie, qui ne manque de rien, regroupe désormaisprès de 600 habitants. Un nouveau quartier vient d’y être construit, surplombant les vergers de cerisiers descendant doucement dans la petite vallée entre les deux collines. « C’était la terre de ma famille », dit Sami Huraini.

Fatima Huraini, la grand-mère de Sami, a plus de 80 ans. Même aux tout débuts de la colonie, la violence était présente. Elle était souvent agressée par des colons alors qu’elle faisait paître ses moutons. Elle a également été battue par l’armée et en a perdu son audition, raconte Sameeha Huraini, la sœur cadette de Sami. Pourtant, elle est restée sur sa terre, illustrant de ce que les Palestiniens appellent sumud (« résilience » en arabe) – un concept central dans l’histoire locale de l’activisme.

Fatima et Hafez Huraini sur leurs terres dans le village d’At-Tuwani en Cisjordanie. Crédit: Sami Huraini

Fatima et Hafez Huraini sur leurs terres dans le village d’At-Tuwani en Cisjordanie. Crédit: Sami Huraini

Son fils Hafez, aujourd’hui dans la cinquantaine, est également devenu un éminent militant de la résistance populaire en Cisjordanie, et en particulier dans les collines d’Hébron Sud. Il a également fait face à des descentes nocturnes et à des arrestations, raconte Sameeha.
« J’ai grandi dans ce contexte, j’ai été élevé avec ces principes », dit Sami Huraini.

« Cela m’a appris à avoir la foi et à m’engager dans la non-violence comme moyen efficace et influent de parvenir à la paix et à la justice. »

En 2017, les enfants Huraini et certains de leurs amis ont créé la « Jeunesse du Sumud ». Ils pratiquent « la résistance populaire pacifique comme choix stratégique pour mettre fin à l’occupation israélienne », explique Sami, bien que leur objectif immédiat soit plus prosaïque :

« L’armée israélienne utilise la violence comme excuse pour démolir des maisons. Nous pratiquons une action directe afin de détruire le plan de nous enlever la terre »,

dit-il.

Le petit mouvement militant a été formé au Camp de la Liberté de Sumud, au cours duquel des activistes palestiniens, israéliens et internationaux ont occupé des grottes dans le village voisin de Sarura dans le but de ramener les occupants d’origine qui avaient été chassés, par des attaques régulières de colons. 

Les grottes sont toujours une préoccupation majeure, mais la « Jeunesse du Sumud » s’engage maintenant également dans d’autres activités – y compris la documentation de la violence des colons et des démolitions de l’armée, la présence protectrice sur chemins de l’école, et pendant la saison des récoltes, et l’organisation d’ateliers et de conférences sur la théorie et la pratique non violentes.

Une lutte qui est loin d’être vaine, estime Michael Carpenter, chercheur à l’Université de Victoria au Canada, qui se spécialise dans la résistance civile.

« Les résidents d’At-Tuwani peuvent se vanter de plusieurs petites victoires. Par exemple, c’est l’un des rares villages palestiniens où Israel a été contraint de mettre en place un « plan directeur » qui permet aux habitants de construire sur leurs terres ; ils ont réussi à se brancher à l’approvisionnement en eau, ce qui est également inhabituel ; et en 2006, après que l’État d’Israël a construit un mur d’un mètre de haut le long de la route 317, coupant les collines d’Hébron Sud d’autres parties de la Cisjordanie, les villages locaux se sont rassemblés et ont commencé à manifester sur une base hebdomadaire pendant deux ans – jusqu’à ce que la barrière soit finalement enlevée. »

Au contraire d’autres formes de résistance, les

« protestations prolongées proposent un espace pour l’activisme politique (…) et elles offrent la possibilité de bâtir du soutien tant au niveau local que transnational, ce qui est d’une importance cruciale ».

Carpenter déclare que « les militaires et les commandants israéliens ont déclaré que les caméras étaient leur kryptonite », faisant ici allusion à leur collecte de documents concernant des protestations non militarisées.

Il fait également remarquer les circonstances uniques des protestations en Zone C, la partie de la Cisjordanie sous entier contrôle israélien :

« Là où se trouve l’Autorité palestinienne, on ne rencontre pas de résistance populaire »,

explique Carpenter.

« La police palestinienne, mais aussi les infrastructures palestiniennes, constituent des facteurs pacificateurs. »

Le prix de la non-violence 

L'équipe de Jeunesse du Sumud. Photo : page FB de Youth of Sumud

L’équipe de Jeunesse du Sumud. Photo : page FB de Youth of Sumud

La prison de Gush Etzion est « particulièrement infecte », a expliqué l’activiste local Basil Adra à Haaretz, à l’époque où Huraini y était détenu. Après sa libération, Huraini confirme la chose. Il n’a eu qu’une seule fois l’autorisation de parler avec ses proches au cours des six jours où il a été enfermé. Il était soutenu de l’extérieur, toutefois. Comme la date de sa comparution au tribunal ne cessait d’être reportée, ses sympathisants palestiniens et israéliens manifestaient quotidiennement en dehors de la prison.

Pour expliquer l’arrestation de Huraini et les charges portées contre lui, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont dit à Haaretz qu’il avait

« participé à une manifestation au cours de laquelle il avait usé de violence contre des soldats et encouragé d’autres protestataires à faire de même et à ne pas obéir aux ordres des soldats. Les FDI prennent au sérieux tout cas de violence contre leurs hommes et elles agiront de façon à réclamer des comptes à ceux qui recourent à une telle violence ».

En dehors des témoignages émanant des forces sécuritaires, l’accusation n’a pas fourni la moindre preuve que Huraini a commis les actes de violence dont on l’accuse. On voit clairement les soldats israéliens porter de petites caméras individuelles, lors de l’incident du 8 janvier, mais aucune prise de vue n’a été exhibée, comme c’est d’ailleurs souvent le cas.  Quand Haaretz leur a posé des questions spécifiques à ce propos, les militaires israéliens ont préféré ne pas répondre.

Selon plusieurs témoins oculaires, ainsi que d’après les prises de vue de la manifestation, les protestations ont été essentiellement pacifiques.

« Nous protestions pacifiquement en compagnie d’activistes internationaux et israéliens : en chantant, en tambourinant et en agitant des drapeaux »,

a déclaré Adra.

Cinq Israéliens qui assistaient à la manifestation ont même soumis des déclarations lors de l’audience de Huraini. À propos de l’accusation prétendant que Huraini a enfreint une ordonnance militaire de fermeture, les activistes Oriel Eisner et Renana Na’aman, qui ont également témoigné auprès de la police, ont déclaré qu’aucune ordonnance militaire de fermeture n’avait été présentée aux protestataires. 

Une autre activiste présente, Karen Isaacs, s’est également sentie obligée de soumettre une déclaration.

« Le fossé entre les accusations et la réalité, dans ce cas, m’a juste semblé si énorme et j’ai donc voulu assumer ma part en tant que personne présente et proche de Sami tout au long de la manifestation »,

a-t-elle expliqué.

« Je l’aurais vu, s’il avait agressé quelqu’un, et il n’a certainement pas agi en ce sens »,

a-t-elle ajouté. 

La colonie de Ma’on, en Cisjordanie, à proximité du village palestinien d’At-Tuwani. (Photo : Nicolas Rouger)

L’avocate de Huraini, Gaby Lasky, a déclaré que le fait que l’armée avait arrêté son client et qu’une accusation

« avait été enregistrée contre lui pour avoir agressé des soldats, et ce, malgré les nombreux témoignages d’Israéliens présents avec  lui sur les lieux, montre bien la tentative de la part des autorités censées appliquer les lois dans les territoires, non seulement de réduire au silence les protestations et les critiques contre le fait d’avoir illégalement tiré [sur Harun Abu Aram], mais aussi d’avoir gravement porté atteinte au tissu social des villageois ».

La tentation de s’en aller

La tentation qu’ont les résidents locaux de quitter At-Tuwani est énorme. Il faut à Huraini plus de 90 minutes pour rallier l’Université de Hébron, par exemple, même si, avec le car réservé aux colons, cela ne prend que 30 minutes, depuis Ma’on. 

Lors d’une visite au village en novembre dernier, Haaretz a rencontré Huraini à l’une des activités régulières de la Jeunesse du Sumud : accompagner les écoliers qui retournent chez eux, au village tout proche de Tuba. Le trajet d’une demi-heure passe par Ma’on et, depuis 2004, les FDI fournissent une escorte armée afin d’empêcher les colons d’attaquer les enfants. Quand les FDI ne se montrent pas, il faut bien que les activistes escortent eux-mêmes les enfants, et cela comporte des risques considérables. Des activistes internationaux viennent souvent compléter leurs rangs en temps normal, mais ce n’est pas une option, durant l’actuelle pandémie.

Après avoir attendu près d’une heure, nous avons vu une camionnette blindée blanche des FDI escalader la colline, finalement. Les soldats n’en sont pas sortis et le petit groupe s’est mis en route. Une des filles, Shuruq, qui portait un voile blanc, a pris la tête du groupe d’un pas pressé. Un an plus tôt, elle avait été frappée d’une pierre à la tête et il avait fallu l’emmener à l’hôpital. « Ils sont nombreux à quitter l’école », nous a raconté Huraini.

Huraini lui-même a également été attaqué par des colons qui roulaient à bord d’un véhicule tout-terrain. Il nous montre des prises de vue de l’incident, mais elles sont floues. Il rebobine et nous les fait voir à nouveau, comme si nous n’étions pas disposés à la croire. Bien qu’il ait porté plainte et affirmé qu’il pourrait reconnaître ses assaillants, il dit que la police ne l’a jamais contacté. 

Lorsque nous nous en allons par le même chemin, un pick-up blanc nous accompagne un instant. À l’intérieur, un homme chauve portant des lunettes solaires nous a filmés à l’aide d’une caméra. Un mois plus tard, Huraini était convoqué au bureau de police de Kiryat Arba et interrogé. Il avait empiété illégalement sur les terres de Ma’on « avec quatre amis », lui a dit un agent, et il en avait la preuve sur vidéo. Apparemment, ils ne s’intéressaient qu’à lui, et pas aux personnes qui l’accompagnaient.  

Il leur a dit que s’il avait empiété illégalement sur le territoire de Havat Ma’on, c’était par erreur. Toutefois, son avocate dans cette affaire particulière, Riham Nassra, qui travaille pour le bureau Gaby Lasky & Associés, a expliqué plus tard : 

« Cela n’existe pas, ‘empiéter illégalement de façon accidentelle’. Pour empiéter illégalement sur un endroit, la chose doit comporter un élément intentionnel… de sorte qu’il n’y avait presque certainement aucune charge légitime contre lui. »

Et de poursuivre :

« Tant que la police n’est pas obligée de fournir des preuves, il est raisonnable de penser qu’elle n’a pas la moindre charge contre lui. »

Huraini n’a jamais été en mesure de voir cette preuve, mais affirme qu’on lui dit qu’il devait payer 500 shekels ou aller en prison. Il  n’avait que 100 shekels sur lui, et il avait un examen le lendemain. Les policiers ont pris l’argent et l’ont laissé aller, dit-il, sans lui remettre le moindre reçu. Sans écrit, Huraini ne pourra jamais réclamer son argent, comme il devrait pouvoir le faire après 180 jours. Quant à ce marchandage, ce n’est pas « kasher », a fait savoir une source policière à Haaretz. « Ici, c’est la police, ce n’est pas le marché du Carmel », a ajouté la source.

En 2020, la Jeunesse du Sumud a planté plusieurs oliviers à proximité immédiate d’une forêt plantée par le Fonds national juif entre Ma’on et At-Tuwani. Le but, a expliqué Huraini, était d’essayer d’endiguer physiquement l’empiétement potentiel de la colonie, tout en ravivant chez les jeunes le sentiment qu’ils sont propriétaires de la terre. Quelques semaines plus tard, au moment où les arbrisseaux sont sortis du sol, on les a arrachés et ce n’était pas la première fois. Qui l’a fait ? « Les colons – sinon, qui d’autre ? », a dit Huraini, en haussant les épaules.

Des membres de Jeunesse du Sumud plantent des oliviers lors de Journée de la Terre, le 30 mars 2020. Photo : page FB Youth of Sumud

Des membres de Jeunesse du Sumud plantent des oliviers lors de Journée de la Terre, le 30 mars 2020. Photo : page FB Youth of Sumud

Ses racines personnes dans cette terre restent aussi fermes que jamais, toutefois.

« Nous voulons mener une existence normale dans notre village, vivre dans la dignité »,

a expliqué Huraini.

« Nous voulons tout simplement laisser ce traumatisme derrière nous et vivre en sécurité. Et assister à la chute du système d’apartheid. »

Ce vendredi, alors qu’il doit se présenter une fois de plus au bureau de police de Kiryat Arba, ses jeunes camarades activistes seront de nouveau de sortie à At-Tuwani, afin de poursuivre leur combat.   


Extrait d’un article, publié sur Haaretz le 23 février 2021
Traduction : CAPJPO – Europalestine et Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine

Photo à la Une : Lors du 17e anniversaire du décès de Rachel Corrie, des membres de la Jeunesse du Sumud plantaient un olivier en sa mémoire.

Lisez également : Soutenir la lutte palestinienne sous toutes ses formes

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