Quand « réunion de travail » en arabe devient « retour à Gaza » en hébreu

En septembre de la même année, Mohammed Habash avait reçu une autorisation d’entrer à Gaza. Sur l’autorisation, les employés de l’Administration civile avaient écrit en arabe : «besoins immédiats – réunion de travail». En hébreu, que Habbash ne lit pas, ils avaient écrit : «besoins spéciaux – retour dans la zone de Gaza».

Photo : Gisha, une association qui a pour objectif de protéger la liberté de mouvement des Palestiniens

Amira Hass, 2 mars 2021

L’État prétend que Mohammed Habbash, 41 ans, a décidé de retourner à Gaza et de s’y établir et que, par conséquent, il lui est désormais interdit d’en repartir. Habbash prétend que ce n’est pas vrai : Il est résident de Bethléem, comme le montre l’adresse inscrite sur sa carte d’identité. Il travaille en Israël, dans la construction, et c’est ainsi qu’il subvient aux besoins de sa femme et de ses enfants, qui vivent à Gaza. L’État – autrement dit le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, ou COGAT – insiste : Il a élu domicile à Gaza. Alors que lui, Mohammed Habbash, insiste sur le fait qu’il est contraint de rester à Gaza contre son gré.

L’État exhibe un formulaire plutôt bizarroïde signé par Habbash et intitulé « Déclaration ». Mais la déclaration est au nom de l’Administration civile (laquelle est subordonnée au COGAT) et elle n’est pas datée. Elle dit ceci :

« Votre demande de permis de transit de la zone de Judée et Samarie vers la bande de Gaza a été approuvée sur base de votre déclaration exprimant votre désir de transférer le centre de votre existence dans la bande de Gaza. »

Habbash se rappelle vaguement qu’en 2017, on lui avait demandé de signer un papelard au bureau de l’Administration civile, à Gush Etzion. Il n’avait pas compris tout à fait de quoi il retournait et il ne se rendait certainement pas compte des conséquences que cela pouvait avoir. Sa mère était malade. Il voulait lui rendre visite. Les employés de l’Administration civile lui avaient donné à comprendre qu’en signant le formulaire, il pourrait obtenir un permis plus rapidement. Des circonstances personnelles l’avaient empêché de faire le voyage immédiatement et, heureusement, l’état de santé de sa mère s’était stabilisé.

En septembre de la même année, il avait reçu une autorisation d’entrer à Gaza. Sur l’autorisation, les employés de l’Administration civile avaient écrit en arabe : « besoins immédiats – réunion de travail ». En hébreu, que Habbash ne lit pas, ils avaient écrit : « besoins spéciaux – retour dans la zone de Gaza ». La différence entre ce qui est écrit dans les deux langues est curieuse et, administrativement, elle n’est pas correcte. Quand Habbash avait voulu retourner en Cisjordanie, sa demande avait été refusée, et on avait invoqué plusieurs excuses. Mais le prétexte de son « installation permanente » à Gaza n’avait pas été mentionné.

C’est seulement deux ans plus tard que Habbash a pu regagner son domicile en Cisjordanie, en passant par la Jordanie. Israël contrôle le passage du pont Allenby et, sur place, les inspecteurs frontaliers israéliens l’ont laissé entrer.

Mohammed Habbash

Une année s’est écoulée et, en novembre 2020, le père de Habbash est décédé à Gaza. La demande introduite par Habbash pour obtenir une autorisation d’entrer à Gaza n’a pas été accordée immédiatement, prétendument à cause du coronavirus. Après que l’organisation Gisha eut introduit la demande pour lui, il a enfin reçu une autorisation, à condition de rester à Gaza pendant deux semaines au moins et de demander une autorisation de retour en Cisjordanie au moins une semaine avant la date prévue de son départ.

Le 3 janvier, Habbash a soumis une demande d’autorisation de retour. L’Administration civile a mis trois semaines avant de lui répondre, insistant ensuite pour que la demande soit introduite à Bethléem. Puis elle avait répondu qu’en raison du coronavirus, Habbash ne pouvait retourner chez lui.  Gisha est alors allé en appel au tribunal des Affaires administratives à Jérusalem. Dans sa réponse à la demande, le district attorney de Jérusalem a soulevé pour la première fois l’argument selon lequel Habbash « s’était domicilié à Gaza ». Et c’est ainsi qu’une autorisation de visite pour des raisons humanitaires s’est muée en un enfermement à Gaza.

Quand, en 2001, après avoir vécu trois ans en Cisjordanie, Habbash avait troqué son adresse à Gaza pour se domicilier en Cisjordanie, ce n’était pas dans l’intention de retourner s’installer définitivement à Gaza. Dans un appel téléphonique lundi, Habbash a déclaré :

« Oui, c’est pénible de vivre loin de mes enfants et de ma femme, mais ce l’est encore plus de ne pas être en mesure de subvenir à leurs besoins et de leur payer leurs études. Ma fille aînée est à l’université, pour l’instant. »

À Gaza, le taux de chômage est de 43 pour 100. En Cisjordanie, le coût de la vie est plus élevé. La séparation douloureuse de sa famille est ce qui lui donne la possibilité de lui venir en aide.

Gisha explique que le cas de Habbash est emblématique d’un phénomène plus répandu : les Palestiniens qui vivent en Cisjordanie demandent de pouvoir aller en visite à Gaza pour les rares raisons humanitaires tolérées (rendre visite à un parent au premier degré en train de mourir ou suite au décès d’un parent au premier degré). C’est Israël qui, à l’issue de nombreuses demandes et d’une longue attente, a approuvé le changement d’adresse sur leur CI, de Gaza à la Cisjordanie. Quand ils vont chercher l’autorisation, les gens du bureau de l’Administration civile leur font signer ce formulaire de déclaration à propos de leur « installation à Gaza ». Et, comme dans le cas de Habbash, c’est un piège de plus qu’on leur tend au beau milieu de leurs conditions personnelles déjà passablement difficiles. Non seulement, il s’agit d’une tactique sournoise, mais cela constitue également une infraction aux lois internationales.


Publié le 2 mars 2021 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Amira Hass

Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste israélien à vivre à Gaza, et a notamment écrit « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique)

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...