Comment le lobby pro-israélien des Pays-Bas s’en prend à la liberté d’expression

Campagnes de calomnie, menaces de violence, tentatives de suppression du financement des organisations de défense des droits humains, efforts en vue de restreindre la liberté académique, menaces de procès et cyberattaques font partie des tactiques d’intimidation du lobby pro-israélien des Pays-Bas

 

22 mai 2021. Amsterdam. Un rassemblement sur la place du Dam soutient les Palestiniens confrontés aux bombardements contre Gaza et à toutes sortes d’autres agressions. Les groupes de pression pro-israéliens aux Pays-Bas tentent sans répit de calomnier et de réduire au silence les défenseurs des droits palestiniens. (Photo : Paulo Amorim / SIPA USA)

22 mai 2021. Amsterdam. Un rassemblement sur la place du Dam soutient les Palestiniens confrontés aux bombardements contre Gaza et à toutes sortes d’autres agressions. Les groupes de pression pro-israéliens aux Pays-Bas tentent sans répit de calomnier et de réduire au silence les défenseurs des droits palestiniens. (Photo : Paulo Amorim / SIPA USA)

Adri Nieuwhof, 21 octobre 2021

C’est par dizaines que se comptent les attaques des groupes de pression pro-israéliens contre les défenseurs des droits palestiniens aux Pays-Bas.

Campagnes de calomnie, menaces de violence, tentatives de suppression du financement des organisations de défense des droits humains, efforts en vue de restreindre la liberté académique, menaces de procès et cyberattaques font partie des tactiques d’intimidation identifiées dans un rapport publié ce mois-ci par l’European Legal Support Center (ELSC – Centre européen de soutien juridique).

Le lobby pro-israélien CIDI (Centre d’information et de documentation sur Israël) était à l’avant-plan des tentatives en vue de museler les défenseurs des droits palestiniens et d’étouffer les efforts visant à responsabiliser Israël.

Mais les 76 incidents répertoriés dans le rapport impliquent d’autres groupes de pression, médias, partis politiques, organisations confessionnelles des Pays-Bas favorables à Israël, de même que le ministère israélien des Affaires stratégiques et l’organisation NGO Monitor, installée en Israël.  

 

Le groupe de pression pro-israélien CIDI à l’avant-plan

Près de 60 organisations et groupes ainsi que 23 individus se sont trouvés dans le collimateur des groupes de pression pro-israéliens entre 2015 et 2020, a découvert l’ELSC.

Le CIDI ou les membres de son personnel ont été impliqués dans 60 pour 100 des incidents répertoriés. Ce rôle prépondérant semble être un motif de fierté.

L’ancien membre du CIDI, Hidde van Koningsveld, s‘est vanté de son rôle dans ces incidents dans un tweet qui les qualifiait de combat contre « la judéophobie et le terrorisme ».

Il s’avère que Van Koningsveld – qui est converti au judaïsme – a récemment modifié son prénom en Akiva. Cela coïncide avec son installation en Israël l’an dernier.

Il a adopté la citoyenneté israélienne et s’est installé à Eli, l’une des colonies implantées au centre de la Cisjordanie occupée et qui ont dépossédé les Palestiniens de vastes superficies de terre.

Cette année, le gouvernement néerlandais a désigné un coordinateur national chargé de combattre l’antisémitisme.

La personne choisie pour tenir ce rôle, Eddo Verdoner, a longtemps été membre du conseil d’administration du CIDI. Notre homme suit l’exemple d’autres coordinateurs européens contre l’antisémitisme et dont les activités suggèrent que leur priorité consiste à protéger Israël de toute critique plutôt qu’à combattre le sectarisme.

Le bureau de Verdoner a déjà accusé les gens de Human Rights Watch d’antisémitisme en raison de leur rapport publié plus tôt cette année et qui estimait qu’Israël était coupable du crime d’apartheid, fait remarquer l’ELSC.

L’homme a également prétendu que soutenir la liberté dans l’ensemble de la Palestine historique équivalait à appeler au « démantèlement d’Israël » – ce pourrait être une admission implicite que l’égalité est en fait impossible sous l’actuel régime israélien.

Curieusement, la page internet du CIDI au sujet de Verdoner ne propose aucune information.


D’autres harceleurs hollandais

Christenen voor Israel (Chrétiens pour Israël), la branche néerlandaise de Christians for Israel International, était également associé au harcèlement des défenseurs des droits palestiniens.

Il s’agit d’une organisation sioniste chrétienne qui récolte des fonds en vue de « bâtir des communautés » – des colonies israéliennes – en Cisjordanie occupée.

En juin 2020, Chrétiens pour Israël a invité instamment ses partisans à adresser des messages au Conseil néerlandais des Églises en raison de la solidarité de cette organisation avec les Palestiniens chrétiens qui résistaient aux plans israéliens en vue d’annexer de larges portions de la Cisjordanie occupée.

Il en a résulté, selon l’ELSC, que le Conseil susmentionné a reçu « une pléthore de courriels et commentaires hostiles dans les médias sociaux », y compris des messages menaçants.

Parmi d’autres groupes impliqués dans le harcèlement des partisans des droits palestiniens, on trouve StandWithUs Netherlands (Soyez avec nous – Pays-Bas) – une antenne d’une organisation de droite dont le siège se trouve aux États-Unis – et Centraal Joods Overleg (Concertation centrale juive).

Centraal Joods Overleg prétend représenter les intérêts généraux de la communauté juive aux Pays-Bas. Il convient de remarquer que son président, Ronny Naftaniel, a précédemment dirigé le CIDI pendant une vingtaine d’années.

Un autre groupe cité dans le rapport de l’ELSC, Federated Jewish Netherlands (Fédération des Pays-Bas juifs) a été décrit par Naftaniel comme un « club d’un seul homme ». 

Le Likud Netherlands, une section du parti politique de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou, s’en est pris à deux éditeurs en 2015 et 2019 en prétendant que certains manuels scolaires néerlandais étaient « antisémites », qu’ils contenaient « des falsifications historiques » et qu’ils « se lisaient comme de la propagande palestinienne ».

 

« Des allégations incendiaires et non fondées »

Il s’avère que les campagnes de calomnie contre des partisans des droits palestiniens sont destinées à les discréditer dans l’espoir de moins les entendre ou de leur faire perdre de leur crédibilité.

« La plupart des individus, groupes et organisations visés ont fait état des effets négatifs de ces incidents »,

déclare l’ELSC. Parmi ces effets, on trouve

« la crainte de la stigmatisation et les atteintes à la réputation, la détresse et les problèmes de santé mentale, le fardeau financier, l’incapacité de mener des activités comme on l’avait prévu et la perte de temps et de ressources ».

Ceci peut être le but de tout ce harcèlement.

Les groupes de pression pro-israéliens des Pays-Bas appuient généralement leurs calomnies sur

« des allégations incendiaires et non fondées d’antisémitisme ou de soutien au terrorisme »,

fait remarquer l’ELSC.

Il affirme que ces mêmes allégations se font l’écho d’affirmations émanant du ministère israélien des Affaires stratégiques et le NGO Monitor, selon lesquelles ceux qui soutiennent le peuple palestinien soutiennent en même temps le terrorisme et l’antisémitisme.

Souvent, afin de justifier leurs accusations non fondées, les organisations qui harcèlent les défenseurs des droits palestiniens font référence à la fameuse définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA (en français, Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste – AIMH) ainsi qu’aux exemples indicatifs cités par la même IHRA.  

Cette définition, promue par Israël et son lobby et adoptée par divers États et organisations de l’UE, assimile indûment la critique à l’égard d’Israël et de son idéologie officielle, le sionisme, d’une part, et le sectarisme contre les juifs, d’autre part.  

Les gens aux Pays-Bas peuvent tirer un certain réconfort du fait que le gouvernement néerlandais ne considère pas ces exemples comme faisant partie intégrante de la définition de l’IHRA.

Le ministre hollandais de la Justice Ferdinand Grapperhaus a reconnu en que

« certains des exemples fournis par l’IHRA, comme ceux qui concernent la critique des États et les débats politiques, sont en principe protégés par la liberté d’expression ».

Grapperhaus a déclaré au Parlement que ni la définition de l’IHRA ni les exemples qui l’accompagnaient n’étaient juridiquement contraignants et qu’ils étaient simplement un outil afin de reconnaître et d’enregistrer un antisémitisme supposé.

Le fait de savoir si une expression ou un acte constitue un délit est une question juridique qu’il convient de tester dans un tribunal hollandais, a-t-il ajouté.

Pourtant, aussi longtemps que le gouvernement néerlandais se servira de la définition politiquement partiale et profondément édulcorée de l’IHRA en toute occasion, il y aura un risque de voir les partisans des Palestiniens faussement accusés ou traînés dans la boue.

 

Des hommes politiques critiquent le groupe de pression

L’ELSC met en exergue le rôle de l’organisation NGO Monitor, installée en Israël, dans l’alimentation en informations des groupes de pression pro-israéliens installés aux Pays-Bas.

Le site internet de NGO Monitor y va d’accusations incendiaires de soutien au terrorisme qui manquent de preuves crédibles, a estimé l’ELSC.

De Telegraaf, un quotidien de droite au tirage énorme au Pays-Bas, a publié des récits émanant de groupes tel le CIDI et s’appuyant sur des informations fournies par NGO Monitor, affirme l’ELSC.

Des rapports de NGO Monitor sur le soutien financier hollandais aux organisations palestiniennes ont été utilisés pour appeler à mettre un terme au financement de ces organisations.

Ces tactiques ont été utilisées l’an dernier contre l’Union (syndicat) des comités de travail agricole et contre l’organisation des droits de l’homme installée à Gaza, Al-Mezan.

De Telegraaf – qui opère comme porte-parole des organisations israéliennes de propagande, plutôt que comme média indépendant – a répété des calomnies dénuées de fondement accusant le gouvernement néerlandais de « financer le terrorisme ».  

NGO Monitor a été critiqué par le Policy Working Group (Groupe de travail sur la politique) des anciens diplomates et universitaires israéliens, fait remarquer l’ELSC.

Lee groupe de travail a qualifié le matériel de NGO Monitor de « hautement sélectif », ajoutant qu’il contenait des « affirmations dénuées de fondement ». Les universitaires et anciens diplomates ont conclu que NGO Monitor

« dissémine des informations trompeuses et tendancieuses, qu’il fait passer pour de la recherche factuelle et profondeur ».

Des hommes politiques hollandais ont émis des critiques similaires à propos de NGO Monitor.

En 2017, Halbe Zijlstra, à l’époque ministre des Affaires étrangères, a déclaré au Parlement qu’il ne pouvait pas faire grand-chose avec les informations de NGO Monitor.

« Très souvent, il s’agit d’allégations on ne peut plus vagues », a ajouté Zijlstra.

L’an dernier, son successeur, Stef Blok, a réitéré ces points de vue, faisant remarquer que

« ces allégations ont contribué à un climat dans lequel les organisations des droits de l’homme subissaient des pressions de plus en plus fortes ».  

« En effet, pour autant que le gouvernement en soit conscient, ONG Monitor se concentre uniquement sur des organisations et donateurs qui se montrent critiques à propos de la politique d’Israël », a

reconnu le ministre des Affaires étrangères Blok.   

Malgré cette reconnaissance, nous pouvons nous attendre à ce que les groupes de pression pro-israéliens aux Pays-Bas poursuivent leurs efforts en vue de saper les droits fondamentaux de ceux qui défendent la libération palestinienne contre l’occupation et l’apartheid.

Mais je suis convaincue qu’un grand nombre d’entre nous ne s’inclineront pas sous ces pressions.

Vous pouvez lire le rapport de l’European Legal Support Center en anglais et en néerlandais.

°°°°°

Publié le 21 octobre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...