Les petits commerçants de Gaza lourdement grevés après les attaques israéliennes

Des milliers de petits commerçants et entrepreneurs ont dû fermer suite aux dégâts provoqués par les frappes aériennes et tirs d’artillerie israéliens des hostilités de mai dernier.

Gaza, 29 juin 2021. L’ingénieur palestinien Ahmed Al-Qiq, 30 ans, inspecte les dégâts subis par son centre de formation et de développement, qui a été détruit par les frappes aériennes israéliennes lors du conflit de mai 2021 entre le Hamas et Israël. (Photo : Ashraf Amra  / APA Images)

Sarah Algherbawi, 25 octobre 2021

Au cours des dix années écoulées, Mahmoud Abu Shkyan a été menuisier, épicier et coiffeur mais, aujourd’hui, à 28 ans, ce père de famille d’un enfant qui va bientôt en avoir un second, est au chômage. Son échoppe de coiffeur a été détruite lors d’une frappe aérienne, en mai dernier, la veille de la déclaration d’un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël. Il s’agissait de la plus intense escalade des hostilités en sept ans.

L’échoppe même était une modeste pièce de quinze mètres carrés dans laquelle étaient installés tant bien que mal trois chaises de salon et un grand sofa. Début 2021, Abu Shkyan avait emprunté 5 000 dollars à des amis et des proches pour lancer sa petite affaire et elle lui rapportait environ 350 dollars par mois.

Désormais, il ne dispose plus d’aucun moyen de rembourser ses dettes.

Avant d’ouvrir son échoppe, il avait travaillé dans l’épicerie de son père, un petit magasin qui vendait de la nourriture en conserve, des boissons rafraîchissantes, des friandises pour les enfants et des denrées alimentaires de base comme du fromage et du yoghourt. « J’étais le jeune homme le plus heureux qui soit, parce que je pouvais aider mon père », déclare Abu Shkyan

Le magasin avait fermé pour de bon au printemps 2020, quand la pandémie avait provoqué la fermeture de nombreux petits commerces à Gaza.  

Depuis que le bombardement a détruit son échoppe, Abu Shkyan s’est mis à vagabonder le long de la mer, fumant cigarette sur cigarette, parcourant des kilomètres avant de rentrer chez lui, dans une maison du camp de réfugiés de Jabalia, un paysage urbain exigu dans le nord de la bande de Gaza, qui a été très durement touché lors de l’escalade des hostilités entre le Hamas et Israël en mai dernier. 

« Israël a détruit le gagne-pain de ma femme enceinte et de ma petite fille Lana pour de nombreuses années », dit-il.

L’histoire du jeune coiffeur est celle de milliers de petites entreprises qui ont dû fermer en raison des dégâts infligés par les frappes aériennes et les tirs d’artillerie israéliens durant les hostilités.

La chef cuisinière palestinienne de 31 ans, Saja Abu Shaaban, a également perdu son gagne-pain lors d’une frappe aérienne en mai dernier. Elle possédait le restaurant Baytuna au rez-de-chaussée de la tour al-Jawhara, un building qui avait été complètement rasé au cours d’une frappe aérienne, le 12 mai 2021.

La majeure partie de sa clientèle était constituée de professionnels travaillant dans les bureaux de l’immeuble et qui commandaient par téléphone. Elle employait une équipe de femmes pour tenir le restaurant et s’était spécialisée dans la cuisine traditionnelle palestinienne, comme le musakhan (poulet rôti cuit au four avec accompagnements divers, NdT) et le chou farci au riz et à la viande émincée.

« L’idée de ce projet de préparations culinaires à domicile par des femmes est venue en réponse au manque de nourriture familiale traditionnelle sur le marché palestinien. Par contre, les restaurants débordent de mets traditionnels occidentaux et orientaux »,

dit-elle.

« Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape de notre projet désormais grevé de dettes »,

dit-elle encore.

Gaza, 19 septembre 2021. Des travailleurs palestiniens déblaient les ruines d’un immeuble touché par une frappe aérienne israélienne lors du récent conflit de 11 jours entre Israël et le Hamas, en mai dernier. (Photo : Ashraf Amra / APA Images)

 

Selon Raed Al-Jazzar, directeur général de l’Industrie au ministère gazaoui de l’Économie nationale, quelque 2 500 petites entreprises et affaires ont fermé à Gaza depuis le mois de mai, pour un coût d’environ 156 millions de dollars en dégâts et en pertes. Dans ces chiffres, quelque 800 entreprises faisaient partie de l’industrie des services, comme le salon de coiffure d’Abu Shkyan. 

Al-Jazzar dirigeait l’équipe qui a évalué les dommages subis par l’économie, une entreprise de grande envergure en coordination avec les Nations unies et qui a mobilisé une bonne centaine d’auditeurs et d’inspecteurs. L’unité développe pour l’instant une procédure qui permettra aux propriétaires de petits commerces et entreprises de récupérer une partie de leurs pertes.

« La procédure de compensation dépend du montant de l’aide étrangère et des donations fournies par les contributeurs »,

dit-il. 

Qui plus est, quelque 1 033 entreprises du secteur industriel attendent toujours des indemnités de reconstruction pour la précédente agression majeure d’Israël, en été 2014. Selon le responsable de la Fédération des industries, Mohamed Al-Mansi, 7 % seulement de la valeur totale des pertes de l’industrie en 2014 a pu être recouvrée via des paiements directs aux entreprises.

Abu Shkyan faisait partie de ce groupe d’indépendants restés les mains vides. À l’époque, il travaillait comme menuisier et fabriquait des meubles en hêtre pour Jarada Carpentry, une usine spécialisée dans le travail du bois et située dans le quartier d’al-Zaytoun, dans l’est de Gaza. Les ateliers avaient été endommagés au-delà de toute possibilité de réparation par des tirs d’artillerie et les pertes avaient été évaluées à quelque 150 000 dollars.

À sa meilleure époque, la société employait 25 menuisiers. Abu Shkyan en parle comme de sa « période dorée ».

« Je ne pensais à rien d’autre qu’à parfaire mes compétences et stabiliser mon emploi. J’avais assez d’argent. Mais, une fois encore, Israël a tout détruit »,

conclut-il.

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Sarah Algherbawi est une écrivaine et traductrice freelance qui vit à Gaza.

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Publié le 25 octobre 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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