Le mouvement national palestinien au Liban : une histoire politique du camp d’Ain al-Helweh

En lisant l’étude ethnographique d’Erling Lorentzen Sogge, The Palestinian National Movement in Lebanon: A Political History of the ‘Ayn al-Hilwe Camp (I.B. Tauris, 2021), (Le mouvement national palestinien au Liban : une histoire politique du camp d’Ain al-Helweh), il est possible de voir à quel point le camp de réfugiés reflète, de nombreuses façons, la situation critique des Palestiniens en Cisjordanie occupée, où les gens sont plongés dans un conflit constant entre, d’une part, la construction de l’État et l’autoritarisme de l’Autorité palestinienne et, d’autre part, leur droit légitime de mener une lutte anticoloniale.

Dans le sillage de ce qui a été perçu comme la trahison d’Oslo, l’étude ethnographique de Sogge passe en revue les qualités de résistance permanentes des personnes vivant dans le camp d’Ain al-Hilweh

 

 

Ramona Wadi , 12 janvier 2022

 

L’introduction de Sogge à son ouvrage décrit le camp de réfugiés d’Ain al-Helweh comme

« le dernier bastion de l’autodétermination palestinienne en dehors de la patrie. C’était une question d’existence, pour le mouvement national en exil. »

Le camp de réfugiés, le plus grand au Liban, est autogouverné.

Les propres problèmes politiques du Liban, de pair avec l’incapacité du gouvernement à contrôler les organisations de guérilla, ont résulté sur la conclusion dans les années 1960 d’un accord entre ce même gouvernement libanais et Yasser Arafat pour lancer la résistance palestinienne à partir du territoire libanais, du moins « tant que cela ne compromettrait pas la sécurité de l’État ».

Puisque l’Organisation de libération de la Palestine détenait cette autorité, fait remarquer Sogge,

« les camps n’étaient plus des bidonvilles urbains appauvris, mais ressemblaient à des États palestiniens en attente ».

Toutefois, avec la signature des accords d’Oslo en 1993, la lutte armée palestinienne cessa et les réfugiés palestiniens furent marginalisés.

Pendant des décennies, les réfugiés palestiniens furent considérés comme le bastion de la lutte anticoloniale en raison de la résistance organisée. Oslo apporta un changement dévastateur. D’acteurs d’avant-plan dans la lutte anticoloniale, les réfugiés palestiniens se retrouvèrent « incorporés à des débats savants, très éloignés du domaine du mouvement national ».

Le livre consacre beaucoup d’espace à repérer les complexités d’Ain al-Helweh, son symbolisme en termes de résistance palestinienne, ses conflits factionnels et ses allégeances à divers acteurs et mouvements politiques. Le camp, toutefois, rappelle fortement aussi la structure coloniale oppressive qui fait obstacle à la liberté des Palestiniens en Cisjordanie occupée.

Sogge décrit comment les Palestiniens ont gardé leur identité et leurs classes sociales à Ain al-Helweh, et il dit du camp qu’il est bien davantage que des « lieux de transit ». Politiquement, l’association du camp avec la résistance et le droit au retour ont prévalu, même après les accords d’Oslo, où les adhérents du Fatah ont eu des affrontements avec l’encadrement politique de l’OLP.

Les dirigeants du camp ont été des instruments dans la mobilisation du camp d’Ain al-Helweh contre les accords d’Oslo, ce qui a provoqué le déclin de popularité du Fatah et d’Arafat.

Les factions dans le camp, fait remarquer Sogge, ont forgé des alliances qui ont englobé les forces islamiques. Pourtant, la raison de ces allégeances provenait de la reconnaissance de ce que la résistance en provenance de l’exil avait besoin de soutien, particulièrement quand il a été clair que l’OLP sacrifiait les Palestiniens en exil. L’exploitation par Arafat de la cause palestinienne et des réfugiés allait être une stratégie que reprendrait le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Ce dernier allait marginaliser les réfugiés dans le processus du concept internationalement financé de la construction d’un État palestinien.

La présence du Hamas dans le camp de réfugiés d’Ain al-Helweh est remarquable. Présent au Liban en 1991 déjà, le Hamas comblait un fossé idéologique dans un endroit qui était surtout dominé par des factions associées à l’OLP. De la même façon que le Hamas à Gaza, le centre d’intérêt principal du mouvement résidait dans la mobilisation sociale et l’organisation des masses – un rôle dans lequel le Hamas s’est distingué et qui l’a mis en mesure de se présenter comme une alternative politique viable à la corruption incarnée par l’AP.

Les descriptions détaillées du livre et les interviews en profondeur montrent bien qu’Ain al-Helweh ne peut être considéré comme un vacuum mais plutôt comme une composante d’un paysage politique plus large comprenant à la fois la lutte palestinienne et le Liban. La formation d’une Force de sécurité palestinienne commune à Ain al-Helweh, par exemple, est décrite par l’auteur

« non seulement comme un symbole de l’unité palestinienne, mais aussi comme un tournant dans les relations entre les Palestiniens et l’État libanais ».

D’autres manières, et spécialement en raison de la conceptualisation des « États en exil », les forces de sécurité dans le camp sont également un reflet du rôle des forces de sécurité en Cisjordanie occupée.

Comme c’est le cas en Palestine, les allégeances à des factions politiques au sein des camps sont également motivées par la nécessité. « Ils disent que nous faisons partie de la résistance, mais nous ne résistons à personne », a dit à Sogge une des personnes interviewées.

La recherche de Sogge va au-delà du concept des camps en tant qu’espaces de besoin humanitaire et de privation, bien que ces questions soient abordées dans le cadre élargi de la politique concernant Ain al-Helweh, le Liban et la lutte palestinienne.

En particulier, le livre examine de très près le rôle proéminent des réfugiés palestiniens juxtaposé aux processus politiques plus traditionnels tels les accords d’Oslo et il montre comment les factions palestiniennes dans les camps ont gardé leur identité de résistance et ne témoignent d’aucune loyauté envers l’AP, au contraire du Fatah et de l’OLP dans les territoires palestiniens occupés, par exemple.

En conclusion, Sogge fait remarquer qu’Ain al-Helweh reflète aussi le Liban, en termes de dysfonctionnement étatique et de sécurité. L’état d’exception, comme toute autre circonstance politique fragile, est commun aux deux.

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Ramona Wadi est une chercheuse indépendante. Elle est également journaliste free-lance, critique de livres et blogueuse spécialisée dans le combat pour la mémoire au Chili et en Palestine, dans la violence coloniale et la manipulation des lois internationales.

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Publié le 12 janvier 2021 sur The New Arab.
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Photo à la Une : Collectif Palestine Vaincra

Trouvez ci-dessous une vidéo sur la mobilisation dans le camp d’Ain al-Helweh contre les mesures du gouvernement libanais qui visaient à exclure toujours plus les réfugiés du marché du travail en (juillet 2019). La vidéo a été réalisé par le Collectif Palestine Vaincra.

 

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