Les réfugiés palestiniens au Liban luttent seuls pour assurer leurs besoins

Incapables de retourner dans leurs foyers en Palestine ou d’être traités avec dignité et égalité au Liban, les réfugiés palestiniens sont à la merci de la menace invisible de la pandémie du coronavirus et de forces économiques et politiques qui échappent totalement à leur contrôle.

Les réfugiés palestiniens au Liban luttent pour subvenir à leurs besoins élémentaires au beau milieu d’une crise financière, face à la pandémie de Covid et aux restrictions budgétaires de l’UNRWA. (Photo : Elisa Gestri SIPA USA)

Dalal Yassine, 20 janvier 2022

Désespérés et en lutte pour subvenir à leurs besoins élémentaires.

Tel était le verdict de Philippe Lazzarini, directeur de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), en décembre dernier.

Lazzarini a brossé un sombre tableau de la situation des réfugiés palestiniens au Liban en faveur desquels, cette semaine précisément, l’UNRWA a lancé un appel spécial.

« J’ai rencontré de jeunes diplômés dont le seul espoir d’un meilleur avenir est d’émigrer. Ils connaissent le prix de chaque déplacement migratoire »,

a déclaré Lazzarini.

« J’ai rencontré des parents qui ont des cauchemars quand il s’agit d’acheter du lait et des langes pour leurs enfants le jour d’après. »

Le Liban est aux prises avec une crise financière et politique qui affecte tout le monde mais qui a un impact particulièrement dévastateur sur les quelque 480 000 réfugiés palestiniens dans le pays, alors qu’ils sont déjà parmi les membres les plus pauvres et les plus marginalisés de la société libanaise.

Ce qui aggrave encore la situation, c’est que l’UNRWA, créée – suite à la Nakba, la déportation de masse forcée des Palestiniens loin de leurs foyers et de leurs terres, en 1948 – afin d’aider les réfugiés jusqu’au moment où ils allaient pourvoir rentrer chez eux, subit actuellement une crise budgétaire très grave.

Selon une conférence qui a eu lieu à Bruxelles, en novembre, l’agence a opéré avec un déficit de 60 millions de USD, en 2021.

Par conséquent, l’UNRWA a réduit l’ampleur de ses services dans la région, ce qui a provoqué des protestations et la colère dans la bande de Gaza, où la crise budgétaire est perçue comme une tentative en vue de saper les droits des réfugiés.

Des décennies de sous-financement

L’UNRWA a besoin d’un budget annuel d’environ 800 millions de USD afin d’assurer soins de santé, enseignement, secours et protection sociale dans les cinq zones où elle opère : le Liban, la Syrie, la Jordanie, la bande de Gaza et la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est.

Lors de la conférence de Bruxelles, l’agence s’est assurée des dons pour plus de 600 millions de USD et est parvenue à dégager un accord avec huit États membres des Nations unies, qui se sont engagés à lui fournir de l’aide pour les deux premières des cinq années à venir.

Toutefois, pour 2022, même si toutes les donations ont été effectuées, l’agence n’a encore engrangé que 40 pour 100 de son budget.

Mais ce versement intégral constitue une exception, et non la règle. Le budget de l’UNRWA dépend de contributions volontaires. Encore que les donateurs n’aient pour ainsi dire jamais été à même de verser la totalité du soutien promis. Des décennies durant, l’agence a opéré sous des pressions politiques et sous la menace d’une suspension ou d’une réduction des fonds qui lui étaient alloués.

Par conséquent, l’agence se doit d’être hypersensible à la politique des donateurs et à la communauté internationale au sens élargi, ce qui l’oblige à limiter ses programmes et à marginaliser plus encore les réfugiés palestiniens.

Les réfugiés palestiniens au Liban dépendent de l’UNRWA pour l’éducation, la santé et d’autres services sociaux encore. L’UNRWA a consacré en gros 125 millions de USD à ses opérations au Liban, mais ses services, qui se sont considérablement réduits, ne couvrent plus les besoins élémentaires des réfugiés. En décembre, Lazzarini a reconnu que les mesures d’austérité de l’agence avaient « atteint leur limite et qu’elles impactaient la qualité de nos services ».

Pourtant, avant même les crises actuelles, les services et l’infrastructure des soins de santé dans bien des camps palestiniens étaient déjà délabrés, obsolètes et insuffisants.

Une parfaite tempête

Plus de 200 000 réfugiés palestiniens vivent dans 12 camps surpeuplés et disséminés dans le pays. En outre, 29 000 réfugiés palestiniens venus de Syrie ont cherché refuge au Liban depuis le début du conflit syrien en 2011.

En février dernier, l’UNRWA rapportait que 87 pour 100 des familles palestiniennes déportées de Syrie vers le Liban vivaient dans la pauvreté et dépendaient d’une aide en argent liquide.

Récemment, cependant, l’agence a réduit son programme d’aide financière directe. Auparavant, les réfugiés venus de Syrie recevaient 100 USD par mois et par famille ainsi que 25 USD par personne et par mois en aide alimentaire directe. Désormais ils reçoivent 150 USD par famille deux fois par an et 25 USD par personne et par mois. Après maintes protestations, l’UNRWA a annoncé qu’elle accorderait un paiement cash, unique de 75 USD par personne.

Ces changements ont été appliqués, bien que les loyers et les prix des denrées alimentaires aient fortement augmenté.

En effet, la combinaison de la pandémie de COVID-19 et de la crise financière libanaise n’a fait qu’accroître la pauvreté, parmi les réfugiés palestiniens. Selon l’UNRWA, près de 75 pour 100 de ces réfugiés vivent désormais sous le seuil de pauvreté et souffrent de l’insécurité alimentaire.

L’effondrement du cours de la monnaie libanaise et la montée en flèche des taux de conversion en dollars américains ont également contribué à un déclin du pouvoir d’achat.

Cela s’est aggravé par des arrêts de travail et des fermetures en rapport avec la pandémie, les pannes de courant journalières et un manque de disponibilité des denrées alimentaires, des accessoires de toilette, des médicaments et du combustible / carburant. Après que le gouvernement libanais avait supprimé les subsides alloués pour les produits de première nécessité, les prix des denrées alimentaires se sont mis à augmenter indépendamment de tout contrôle. En septembre, le Programme alimentaire mondial rapportait que le coût de son panier alimentaire pour les nécessités de base avait été multiplié par cinq en moins de deux ans.

Selon la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (ESCWA), le taux de pauvreté au Liban a presque doublé, passant de 42 pour 100 en 2018 à 82 pour 100 de tous les Libanais et non-Libanais en 2021.

Ghada N. est une réfugiée palestinienne mère de quatre enfants et vivant dans le faubourg de Dahiyya, à Beyrouth. Avant les crises actuelles, sa famille ne dépendait pas du programme de l’UNRWA. Maintenant, si.

« Au début de la crise économique, nous avons renoncé aux produits de luxe au cas où cette crise se prolongerait sur une longue période »,

a expliqué Ghada à The Electronic Intifada.

« Aujourd’hui, nous en sommes réduits à renoncer à de plus en plus de nécessités de base. Il n’y a plus de classe moyenne. Chaque réfugié palestinien a besoin d’aide. »

Le Programme alimentaire mondial distribue actuellement des colis alimentaires à quelque 100.000 familles libanaises marginalisées et il octroie également une assistance financière mensuelle à des réfugiés syriens.

Par contre, l’UNRWA ne fournit de l’aide alimentaire et de l’aide financière sur base trimestrielle qu’aux réfugiés palestiniens qu’elle considère comme des cas extrêmement difficiles. Et, ces deux dernières années, qui ont été marquées par la crise économique et la pandémie, l’UNRWA n’a fourni son aide financière d’urgence qu’à deux reprises. En mai 2020, quelque 30 USD ont été distribués à chaque réfugié palestinien au Liban.

En septembre 2021, l’UNRWA a donné 40 USD à chaque enfant palestinien réfugié de moins de 18 ans. Dans l’intervalle, les Palestiniens ont organisé des manifestations pour protester contre les compressions et demandé à l’UNRWA de fournir une aide mensuelle à tous les réfugiés. De son côté, le gouvernement libanais offre un programme d’assistance à ses citoyens, mais les réfugiés en sont exclus.

La destruction progressive des services de santé

Les services de santé de l’UNRWA ont eux aussi été sévèrement touchés par l’effondrement du Liban. Après que le gouvernement libanais a supprimé les subsides sur les médicaments, la plupart des réfugiés ont été incapables de se procurer les médicaments qu’on leur prescrivait.

L’UNRWA a également réduit les avantages et les sommes qu’elle alloue afin de couvrir les frais des admissions hospitalières, des opérations chirurgicales spécialisées, des tests en laboratoire et des tests radiologiques. En outre, les hôpitaux gérés par le Croissant Rouge palestinien ont été forcés de réduire ou de cesser leurs opérations en raison du manque de carburant et d’électricité ainsi qu’à cause de la pénurie de médicaments et d’équipements.

Samer Manna, qui défend les droits humains des réfugiés palestiniens au Liban, a déclaré que la situation précaire des réfugiés signifiait que ces personnes étaient dépendantes d’organisations humanitaires et autres, généralement à court d’argent, de même que de membres de leurs familles à l’étranger, s’ils voulaient une aide financière leur permettant de recevoir des soins médicaux.

« Afin de couvrir les dépenses pour un traitement médical, les Palestiniens sont forcés d’errer interminablement dans tout un réseau d’organisations, de fonctionnaires et d’individus et ils ne sont toujours pas en mesure d’obtenir le montant requis [pour un traitement] »,

a-t-il expliqué à The Electronic Intifada.

« Acquérir des fonds en vue de dépenses médicales est devenu plus pénible encore que la maladie même. »

Dans l’intervalle, les vaccinations des réfugiés palestiniens contre la COVID-19 ont progressé à un rythme lent. Le taux de vaccination parmi les réfugiés palestiniens est inférieur à celui des Syriens et autres réfugiés au Liban. Au début janvier, moins d’un tiers du nombre total de réfugiés enregistrés avaient reçu une dose du vaccin et environ un quart en avaient reçu une deuxième dose. Quant à la troisième dose, ils sont à peine 5 000 à l’avoir reçue.

L’enseignement primaire et secondaire de l’UNRWA a également souffert. Bien que les écoles de l’UNRWA aient ouvert leurs portes pour l’année académique, la crainte de l’infection a limité les inscriptions. L’enseignement en ligne à partir de chez soi n’est pas une option en raison d’un manque d’appareils ad hoc, d’accès à l’internet et d’électricité. Le pourcentage d’étudiants qui laissent tomber les cours a augmenté ces deux dernières années du fait que les fournitures scolaires élémentaires et le transport des élèves sont devenus hors de prix. Certains enfants en âge de scolarité ont été forcés de trouver du travail comme manœuvres journaliers afin d’aider leur famille.

Il n’y a pas de solution en vue pour les réfugiés palestiniens au Liban. L’appel d’urgence de l’UNRWA est peu susceptible d’alléger la situation. En raison de l’augmentation du nombre de réfugiés au niveau mondial, l’UNRWA se trouve aujourd’hui en concurrence avec d’autres agences des Nations unies et des ONG sur le plan du financement. Soutenir l’UNRWA et maintenir ne serait-ce que le niveau de vie le plus élémentaire des réfugiés palestiniens n’est plus une priorité, pour la communauté internationale.

Et l’agence subit les pressions constantes des États-Unis et d’Israël afin de réduire encore plus ses services, pour ne pas dire les supprimer pour de bon.

Pris entre deux feux, voilà la situation des réfugiés palestiniens et ce, depuis la Nakba, en 1948. Incapables de retourner dans leurs foyers en Palestine ou d’être traités avec dignité et égalité au Liban, ils sont à la merci de la menace invisible de la pandémie du coronavirus et de forces économiques et politiques qui échappent totalement à leur contrôle.

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Dalal Yassine est chercheuse non résidente au Fonds Jérusalem / Centre Palestine à Washington DC. Twitter : @Dalal_yassine. Les opinions défendues dans cet article sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles du Fonds Jérusalem et du Centre Palestine.

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Publié le 20 janvier 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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