Le silence international stimule les persécutions israéliennes

Silence international autour de la  répression contre les travailleurs des droits humains, qui ne fera que s’accroître durant toute la progression de l’enquête à la Cour Pénale Internationale.

Les organisations palestiniennes de défense des droits humains ont franchi la ligne rouge imposée par Israël en poursuivant une enquête sur les crimes de guerre devant la Cour pénale internationale. (Photo : Issam Rimawi / APA images)

Maureen Clare Murphy, 4 mars 2022

Il devrait être facile, pour des démocraties libérales, de condamner la récente désignation par Israël de plusieurs éminentes organisations palestiniennes en tant qu’organisations terroristes.

Ces désignations s’appuient sur des preuves secrètes et ont été attribuées sans aucune procédure en bonne et due forme. Les organisations en question sont hautement respectées au niveau local et bien intégrées à la scène internationale des droits humains.

Mais l’UE, les EU, le Canada et le Royaume-Uni doivent encore rejeter explicitement la « minable tentative » d’Israël – pour reprendre les termes utilisés par Zeid Ra’ad Al Hussein, l’ancien haut-commissaire de l’ONU pour les droits humains – en vue de « souiller les réputations » des défenseurs des droits humains palestiniens.

Il s’avère que pas un seul de ces gouvernements n’a été convaincu par les accusations d’Israël. Mais aucun n’a proposé non plus à son allié Israël une date limite pour présenter des preuves crédibles justifiant les désignations, lesquelles ont pour but de priver ces organisations de tout financement international.

Et, dans sa tentative d’isoler et de marginaliser ces organisations – dont certaines fournissent des services essentiels aux communautés les plus vulnérables de Palestine –, Israël bouleverse de fond en comble les existences des défenseurs des droits humains et des prestataires de services sociaux qui se trouvent dans son collimateur.

L’une de ces défenseuses n’est autre que Khitam Sa’afin, la présidente de l’Union des comités des femmes palestiniennes (UPWC).

En février dernier, Khitam Sa’afin a été condamnée à 16 mois d’emprisonnement par un tribunal militaire israélien.

Elle était déjà en détention en Israël et ce, depuis novembre 2020. La moitié de ce temps s’était passé en détention administrative, sans accusation ni procès.

Quand, finalement, Israël a inculpé Khitam Sa’afin, il a prétendu qu’elle aidait à superviser le transfert de fonds depuis les organisations palestiniennes désormais illégales – dont l’UPWC – vers le front populaire pour la libération de la Palestine.

Le FPLP, un parti politique de gauche doté d’une aile armée qui s’est engagée dans la résistance contre l’occupation, est interdit en tant qu’organisation terroriste par Israël et bon nombre de ses alliés occidentaux.

Des preuves secrètes

Comme la chose est typique dans ces procès contre des Palestiniens traînés devant son système des tribunaux militaires, le procès intenté par Israël à Sa’afin s’appuyait sur des preuves secrètes auxquelles ni elle ni son avocat n’étaient au courant.

À l’instar de nombreux Palestiniens qui se voient refuser tout procès en bonne et due forme par le système des tribunaux militaires israéliens, Khitam Sa’afin a accepté un arrangement qui laissait tomber les accusations de blanchiment d’argent. Elle a été condamnée pour affiliation au FPLP et pour avoir été la présidente de la désormais illégale UPWC.

L’organisation palestinienne des droits humains, Addameer, fait remarquer qu’Israël avait initialement inculpé Khitam Sa’afin d’une « longue série d’accusations exagérées, allant bien au-delà de tout pacte particulier et spécifique » qu’elle aurait prétendument commis.

Cela aussi est une tactique israélienne usée par le temps.

Gonfler le nombre d’inculpations est une pratique

« largement utilisée par le procureur militaire israélien afin d’allonger la détention et les procédures de jugement en tant que mesure punitive et coercitive contre la personne arrêtée »,

ajoute Addameer.

En d’autres termes, Israël balance une pleine fournée d’accusations contre un mur et très peu y restent collées. Mais, privés de tout ce qui pourrait ressembler à un procès honnête, les détenus palestiniens sont d’accord pour plaider coupable de délits moins graves, mais qu’ils n’ont pas commis, afin d’écourter leur épreuve et le temps qu’ils passeront éloignés de leurs familles.

Israël met également les Palestiniens sous pression afin qu’ils acceptent des jugements négociés qui leur éviteront qu’on enquête plus avant sur leur cas au tribunal.

Immanquablement, quand les Palestiniens n’acceptent pas les jugements négociés, la procédure s’éternise.

Mohammad El Halabi, qui travaille comme employé pour une ONG et qui vit à Gaza, est un cas d’espèce. Empêtré dans un procès apparemment interminable, Mohammed El Halabi est emprisonné depuis plus de cinq ans et son cas a été traité au tribunal quelque 170 fois.

Mohammed El Halabi a rejeté de nombreux jugements négociés, refusant d’admettre sa culpabilité dans un crime qu’il n’a pas commis, insiste-t-il.

Telle est l’épreuve infernale à laquelle Khitam Sa’afin, 60 ans, est confrontée.

Et c’est cela qui attendait Juana Rishmawi, 63 ans, quand elle accepta un arrangement similaire qui la vit condamnée à 13 mois de prison pour son travail avec les Palestinian Health Work Committees (Comités de travail santé palestiniens), une organisation déclarée illégale par Israël début 2020.

Les Health Work Committees ne furent pas informés de cette désignation avant qu’Israël n’entame « une campagne plus intense » contre l’organisation, arrêtant sa directrice, Shatha Odeh, et fermant son quartier général à Ramallah, le siège de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.

Shatha Odeh, 60 ans, est en détention en Israël depuis que les soldats de l’occupation ont forcé les portes de sa maison en juillet dernier.

Les charges contre elles tournent surtout « autour de son rôle de dirigeante » au sein des Health Work Committees, déclare Addameer.

Une répression effrontée

Shatha Odeh est également la présidente du Réseau des ONG palestiniennes, une coalition de dizaines d’organisations de la société civile palestinienne.

Addameer prétend que l’arrestation de Shatah Odeh montre bien « la hardiesse croissante » d’Israël

« dans la répression et la criminalisation des défenseurs palestiniens des droits humains et de leurs organisations de la société civile qui défient le régime israélien de colonialisme de peuplement et d’apartheid ».

Au final, les désignations de terrorisme et la très longue campagne d’Israël contre les défenseurs des droits humains palestiniens visent à sauvegarder son impunité.

Les démarches d’Israël contre ces individus et organisations sont également un signe qu’il perd son emprise sur la conception, de plus en plus admise par l’ensemble des organisations internationales des droits humains, affirmant qu’il pratique l’apartheid à l’égard des Palestiniens.

« Nous avons ôté le masque de leur visage »,

a expliqué Shawan Jabarin, le directeur d’Al-Haq, l’une des organisations ciblées, à un panel récemment réuni par le Carter Center. Le consensus international des droits humains prétend désormais qu’Israël

« est un régime colonial, un régime d’oppression ».

« Nous avons franchi les lignes rouges quand nous sommes arrivés à la question de la responsabilité et que nous nous sommes mis à poursuivre les criminels israéliens »,

a-t-il ajouté.

Au cours du même événement, Wesam Ahmad, également d’Al-Haq, a fait remarquer que les désignations de terrorisme et autres démarches contre les organisations palestiniennes émanent des mêmes responsables israéliens faisant l’objet d’enquêtes de la part de la Cour pénale internationale.

« Le mouvement au niveau de la Cour pénale internationale est quelque chose que les organisations de la société civile palestinienne comme Al-Haq se sont lourdement engagées à pousser vers l’avant et, en dépit des tentatives israéliennes en vue d’étouffer la progression vers cette enquête, il a néanmoins continué de progresser. »

Wesam Ahmad a déclaré que ce n’était pas une surprise de voir Israël entreprendre de telles actions durant le déroulement de l’enquête de la CPI.

« Cela reflète très fortement les tactiques de l’apartheid consistant à persécuter ces organisations et individus qui cherchent à défier ce régime. »

Pendant ce temps, la répression contre les travailleurs des droits humains ne fera que s’accroître durant toute la progression de l’enquête et il n’y aura pas d’opposition de la part des alliés d’Israël, qui ne semblent heureux de défendre les lois internationales que lorsque la chose leur convient.

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 Maureen Clare Murphy est l’une des rédactrices en chef de The Electronic Intifada. Elle vit à Chicago

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Publié le 4 mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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