« Nos luttes sont réellement connectées » : une interview autour du Mapping Project

Un regard en coulisse du Mapping Project (Projet de mise en carte), qui enquête sur les liens locaux entre les responsables de la colonisation de la Palestine et le cadre élargi de l’économie de l’impérialisme et de la guerre.

Une image tirée du Mapping Project, un projet créé par des activistes et des organisateurs de l’est du Massachusetts qui enquêtent sur les liens locaux entre les entités responsables de la colonisation de la Palestine, du colonialisme et de la dépossession, ici, où nous vivons, et de l’économie de l’impérialisme et de la guerre. (Photo : Mapping Project)

Une image tirée du Mapping Project, un projet créé par des activistes et des organisateurs de l’est du Massachusetts qui enquêtent sur les liens locaux entre les entités responsables de la colonisation de la Palestine, du colonialisme et de la dépossession, ici, où nous vivons, et de l’économie de l’impérialisme et de la guerre. (Photo : Mapping Project)

Adam Horowitz, 3 juin 2022

Le 3 juin, des activistes de la région de Boston ont sorti le Mapping Project (Projet de mise en carte), un projet créé pour

« enquêter sur les liens locaux entre les entités responsables de la colonisation de la Palestine, du colonialisme et de la dépossession, ici, où nous vivons, et de l’économie de l’impérialisme et de la guerre ».

Plus loin, vous découvrirez une interview de certains membres clés du projet, laquelle discute des origines de ce projet de mise en carte, de la façon de s’en servir, et des leçons importantes qui en ont été tirées.

N’oubliez surtout pas de lire « Zionism, Policing and Empire: A Dispatch from the Mapping Project » (Le sionisme, le travail policier et l’empire : Une dépêche du Mapping Project) qui continue de déballer les trouvailles et conclusions du projet.

Qu’est-ce que le Mapping Project ? Qui se trouve derrière cet effort ? Quelle en a été l’idée initiale ? Comment tout cela a-t-il fini par faire un tout ?

Le Mapping Project est un effort en vue de construire une solide base de connaissances sur les sociétés, institutions et autres entités de la région de Boston qui soutiennent la colonisation de la Palestine, l’impérialisme américain, le travail policier, les déportations et autres systèmes d’oppression interconnectés. Par le biais du dossier, nous cherchons à aider les mouvements locaux à identifier les vulnérabilités stratégiques des systèmes de pouvoir et de violence impérialistes qui existent, afin de les affaiblir efficacement et de les démanteler. Le Mapping Project cherche aussi à approfondir l’analyse politique collective de nos mouvements ainsi que nos relations entre nous tandis que nous continuons de lutter, de mener des recherches, d’apprendre et de discuter ensemble tout en développant le dossier.

Nous sommes un collectif d’activistes et d’organisateurs impliqués dans les luttes de solidarité anti-impérialistes et pour la Palestine, Ce collectif s’est constitué autour d’un désir partagé de développer une compréhension plus forte des entités oppressives contre lesquelles nous luttons, de savoir exactement comment elles fonctionnent et de connaître les structures institutionnelles qui les soutiennent.

Le Mapping Project est né des conversations que nous avons eues au fil des années sur les limites des efforts de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) qui se concentrent sur une seule société ou institution à la fois, exigeant souvent qu’une entité agisse « de façon plus éthique » en mettant un terme à un contrat ou partenariat avec Israël, mais sans tenir compte de l’étendue de son soutien au sionisme et à d’autres systèmes d’oppression interconnectés – par exemple, demander à Amazon qu’il mette un terme à sa participation au Projet Nimbus sans viser l’ampleur du soutien d’Amazon au racisme et à la violence en Palestine, aux EU et ailleurs dans le monde, et son rôle dans le système élargi du capitalisme racial. En outre, nous avons ressenti que les efforts de BDS loupaient souvent l’image complète de la façon dont opèrent les sociétés, institutions et autres entités soutenant le sionisme et d’autres oppressions : non pas par une situation d’isolement les unes par rapport aux autres, mais via le réseau de connexions qu’elles établissent entre elles en vue d’implémenter plus efficacement leurs agendas oppressifs – par exemple, Raytheon qui installe des centres de recherche au MIT (dans le même temps que Boeing emprunte de l’espace au MIT) ; ou encore la police de Brookline qui instaure une coordination avec le Consulat général d’Israël à New England, afin de réprimer une manifestation dirigée par les Palestiniens.

La quantité d’informations est un peu fastidieuse à encoder. Nous avons donc quelques questions, à ce propos. Tout d’abord, que suggéreriez-vous comme meilleure façon d’utiliser le dossier ?

Le dossier est un outil organisationnel. On l’utilisera au mieux comme source d’informations en vue de développer une stratégie pour riposter au sionisme, à l’impérialisme américain et à d’autres systèmes d’oppression interconnectés. Supposez que vous soyez un étudiant universitaire de la région de Boston et que le concepteur d’armes General Dynamics, lié à Israël, doive venir sur votre campus pour tenter de recruter vos condisciples afin de leur faire fabriquer ses produits de mort et de destruction : Utilisez votre dossier comme source rapide de renseignements, non seulement sur la violence perpétrée à l’échelle mondiale par General Dynamics, mais aussi sur les liens infâmes que General Dynamics entretient avec des entités de chez nous, dans le Massachusetts. Après quoi, armé de ce savoir, organisez vos condisciples pour que General Dynamics cesse ses démarches.

Le dossier propose une place pour que les organisateurs partagent des informations sur les oppresseurs locaux actuellement, mais aussi des informations historiques sur ces mêmes oppresseurs que l’on a pu perdre d’une génération à l’autre. Le processus de mise sur pied de ce dossier nous a reliés à plusieurs générations d’organisateurs et à toute une histoire locale du processus organisationnel qui a eu une influence sur la façon dont nous pensons notre travail politique.

Quelle est l’histoire que nous raconte ce dossier ? Ou, plutôt, quels sont les principaux enseignements que devrait, selon vous, en tirer un usager ?

Le dossier ne raconte pas qu’une seule histoire, en fait. Il raconte nombre d’histoires interconnectées. Le dossier raconte l’histoire d’universités à Cambridge et à Boston qui engloutissent des terres et les louent à des concepteurs d’armes et à des sociétés informatiques, biotechnologiques et pharmaceutiques qui en font grimper les loyers et la valeur en tant que propriétés et qui, de ce fait, alimentent la déportation des résidents de longue date appartenant à la classe ouvrière (et qui ne peuvent plus se permettre de vivre dans les communautés qu’ils considéraient comme leur foyer depuis des décennies). Le dossier raconte l’histoire des forces de police du Massachusetts, lesquelles sont hautement militarisées et remarquablement intégrées les unes aux autres de même qu’au département de la Sécurité intérieure, aux universités locales et aux ONG sionistes comme l’Anti-Defamation League (Ligue anti-diffamation). Le dossier raconte l’histoire de fonds conseillés par de puissants donateurs et de fondations philanthropiques privées qui acheminent en toute quiétude des milliards de dollars chaque année vers des organisations qui aident à réaliser et à normaliser la colonisation par Israël de la terre palestinienne et le vol des ressources palestiniennes.

Toutefois, un simple enseignement du dossier est celui-ci : Les sociétés et institutions qui soutiennent la colonisation par Israël de la Palestine sont les mêmes sociétés et institutions qui soutiennent le travail policier, qui soutiennent les déportations de l’ICE (Contrôle de l’immigration et des douanes), qui tirent profit des guerres américaines et qui poussent aux expulsions et aux déportations. Et tout cela, elles le font ensemble, via tout un réseau de partenariats et de collaborations.

Bien que, à première vue, le dossier puisse sembler surchargé, il révèle en fait que l’impérialisme américain n’est pas une abstraction ni quelque chose qui se passe très loin d’ici, mais un projet concret qui a été propulsé précisément là où nous vivons par des entités qui ont des adresses physiques bien réelles. Il n’y a tout simplement pas moyen de protéger tant de nœuds d’oppression d’un mouvement qui est bien déterminé à interférer avec eux. Nous espérons que cette reconnaissance stimulera l’action créative. Nous espérons aussi que nous pourrons construire plus de pouvoir afin de démanteler ces systèmes en voyant comment nos luttes sont connectées – parce que nous combattons les mêmes oppresseurs – plutôt que de travailler dans des silos.

Y a-t-il quelque chose qui vous a surpris quand le projet a gagné en cohésion ?

Une chose qui nous a sauté aux yeux, c’est qu’il existe des entités « super-oppressives » qui connectent les forces ouvertement répressives – la police, le FBI, l’armée, les développeurs d’armes – au monde moins ouvertement répressif du secteur non marchand et des fondations (ce que le collectif INCITE ! appelle le « complexe industriel non marchand »). Ces super-oppresseurs comprennent les principales universités et institutions comme la Harvard Kennedy School, de même que des fondations comme la Klarman Foundation, les CJP (Combined Jewish Philanthropies) et la Gann Foundation, ainsi que des organisations comme l’ADL, l’Anti-Defamation League . Ces entités exercent une influence impressionnante : Elles achètent leur légitimité dans le monde du pouvoir « doux » en bricolant des discours et en dictant la politique, mais elles s’allient directement aussi avec les institutions les plus violentes de la société (l’ADL, par exemple, est connectée à pratiquement chaque force de police du Massachusetts).

Nous avons également découvert qu’un engagement envers l’impérialisme américain ressort d’un grand nombre des entités de la région. Les forces biomédicales et pharmaceutiques de Boston, qui contribuent à perpétuer l’apartheid des médicaments et des vaccins dans le monde entier – en Palestine, en Afrique du Sud et en Inde – et à garder la médecine hors de prix ici, sont également financées grassement par le Pentagone, et certaines sont impliquées dans la militarisation de la biologie. Ces mêmes entités s’engagent également dans le « colonialisme interne » : elles reprennent des terres et déplacent les communautés ouvrières de Boston, et tout particulièrement les communautés BIPOC (noirs, autochtones, personnes de couleur). Ainsi donc, ceux qui participent à des projets coloniaux à l’étranger tendent à faire pareil dans « leur propre pays ».

Nous avons également remarqué que même des entités apparemment mineures contribuent à de multiples oppressions dans le monde entier. Par exemple, les mêmes entreprises de construction et d’architecture qui érigent des campus universitaires et des laboratoires pour les grandes entreprises pharmaceutiques construisent également les prisons locales et les laboratoires d’armes du gouvernement – ainsi que des bases militaires en Palestine colonisée.

Tout ceci montre que nos luttes sont réellement connectées, partout dans le monde.

Qu’espérez-vous que ce projet va ajouter au mouvement pour la Palestine et à d’autres mouvements auxquels il se rattache ?

Nous espérons que le Mapping Project contribuera à ce que les organisateurs de la région de Boston (nous-mêmes y compris) comprennent cette image plus complète des forces locales qui soutiennent et appuient le racisme ici, le sionisme, l’impérialisme américain et d’autres systèmes interconnectés de répression. Nous espérons que, à l’aide de cette image plus complète, les organisateurs pourront prévoir des moyens de chambouler ces systèmes et, un jour, les démanteler tous pour de bon.

Y a-t-il des plans pour l’avenir ? Comment prévoyez-vous de mettre sur pied ce projet pour la région de Boston et envisage-t-on de créer des dossiers semblables pour d’autres localités ?

Nous en sommes encore à la première version du Mapping Project. Nous espérons continuer de développer le projet en construisant des relations avec d’autres organisateurs locaux et en continuant de mettre le dossier à jour. Maintenant que le projet est public, nous espérons que des organisateurs partageant la même vision pourront nous trouver.

Alors que nous-mêmes n’avons pas l’intention de créer un dossier similaire pour un autre endroit (notre dossier se concentre sur Boston/Cambridge parce que nous y vivons), nous serions excités à l’idée d’apprendre que des organisateurs ont l’intention de faire quelque chose d’un genre similaire dans leur propre région. Ce projet a représenté une énorme quantité de travail et il a requis que nous développions notre propre software pour écrire collectivement, organiser et visualiser cette recherche. Nous serions heureux de partager nos outils et ce que nous avons appris avec des organisateurs qui sont engagés de la même manière dans le démantèlement de ces systèmes oppressifs.

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Publié le 3 juin 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Refuser la répression, soutenir le Mapping project, publié sur Samidoun

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