Pourquoi la Palestine est-elle au centre de la résistance anti-impérialiste ?

J’ai rejoint Rania Khalek dans son émission Dispatches (Dépêches), sur BreakThrough News, pour une discussion tous azimuts sur la Palestine, le droit à la résistance et la géopolitique. Rania Khalek m’a d’abord demandé pourquoi la Palestine était toujours au centre de la résistance anti-impérialiste.

 

Rania Khalek et Ali Abunimah (capture d'écran)

Rania Khalek et Ali Abunimah (capture d’écran)

 

Ali Abunimah, 22 août 2022

Je lui ai répondu que c’était parce qu’Israël était la pierre de touche de l’impérialisme américain dans la région.

La Palestine reste la dernière colonie de peuplement à l’ancienne mode européenne, c’est-à-dire avec intervention militaire, et il s’agit en même temps d’une importante lutte de décolonisation restée inachevée au 20e siècle.

Israël ne pourrait pas maintenir son régime colonial sans le soutien qu’il reçoit des États-Unis et de l’Europe.

Dans bien des imaginations européennes et américaines – encore que je doute qu’elles présenteraient les choses de cette façon –, Israël représente le passé colonial perdu après lequel elles pleurent. Au lieu de cela, l’Occident parle de son admiration pour Israël en termes de « valeurs partagées ».

Israël est leur colonie de peuplement : Sa défense et son maintien fournissent une justification à l’hégémonie américaine et européenne en Asie du Sud-Ouest – bien que l’Europe puisse être davantage perçue comme la queue remuante de l’empire américain que comme une puissance de son propre chef.

Et, pour les gens du monde entier, la lutte des Palestiniens représente une histoire à la David et Goliath, dans laquelle le Palestinien David, avec très peu d’armes, doit affronter le Goliath sioniste.

Voilà certaines des raisons pour lesquelles la lutte palestinienne reste centrale. C’est également le contexte dans lequel nous pouvons comprendre le tout récent massacre perpétré par Israël à Gaza : C’est une guerre coloniale visant à soumettre des autochtones qui refusent d’être soumis par leurs conquérants.

« Tuer, tuer et tuer encore »

J’ai expliqué à Rania Khalek que le point de vue d’Israël était que, s’il cessait un jour de tuer des Palestiniens, il cesserait par la même occasion d’exister. Et ce, parce qu’il est engagé dans une guerre démographique visant à préserver un régime fondé sur une dominance ethno-raciale.

Comme l’a expliqué le conseiller du gouvernement israélien Arnon Sofer un an avant le retrait par Israël (en 2005) de ses soldats et colons de l’intérieur de la bande de Gaza :

« Si nous voulons rester en vie, il va nous falloir tuer, tuer et tuer encore. Tous les jours, chaque jour.
« Si nous ne tuons pas, nous cesserons d’exister »,

a déclaré Sofer.

« La seule chose qui m’inquiète, c’est la façon de nous assurer que les garçons et les hommes qui vont devoir se livrer aux tueries seront à même de retrouver leurs familles et de redevenir des êtres humains normaux. »

Comme peuvent en attester les survivants traumatisés des diverses offensives israéliennes contre Gaza, Sofer savait de quoi il parlait.

Ces conditions ont fait qu’il a été nécessaire pour les organisations palestiniennes de résistance de développer leurs capacités de riposte ou, du moins, de créer un certain degré de dissuasion afin qu’Israël y réfléchisse à deux fois avant de lancer sa prochaine offensive.

Ces agressions israéliennes, et il faudrait insister là-dessus, sont presque toujours des violations de la part d’Israël de l’un ou l’autre cessez-le-feu qui a mis un terme au dernier bain de sang précédent. Le bombardement de Gaza par Israël un peu plus tôt ce mois-ci n’était pas une exception.

Bien que la situation reste extrêmement déséquilibrée, les organisations de résistance à Gaza sont passées de l’utilisation de missiles d’un kilomètre ou deux de portée au-delà de Gaza à celle de missiles pouvant désormais atteindre Tel-Aviv et même forcer une fermeture du principal aéroport d’Israël.

Les tirs de roquettes palestiniens sont-ils illégaux ?

Rania Khalek et moi-même avons discuté et des moyens et de la légitimité de la lutte armée palestinienne et du soutien qu’elle reçoit de l’Iran, dans le contexte des confrontations régionales entre les forces et régimes alignées sur les EU et Israël, d’une part, et la résistance locale, d’autre part.

J’ai également poursuivi l’élaboration d’une argumentation que j’avais développée récemment sur Twitter, pour contrer les condamnations internationales régulières affirmant que les tirs de roquettes palestiniens en riposte aux attaques israéliennes étaient illégaux et constituaient même des crimes de guerre.

Si les Palestiniens de Gaza n’ont pas d’autre moyen de se défendre ou de dissuader les attaques israéliennes – parce que personne ne veut ou n’est pas en mesure de leur fournir le genre d’armes de haute précision dont dispose Israël –, dans ce cas, les roquettes ne peuvent être illégales.

Les lois humanitaires internationales ne peuvent déboucher sur une situation perverse dans laquelle seuls les États technologiquement avancés ont un droit présumé à l’autodéfense, alors que les seuls moyens disponibles pour un peuple colonisé et occupé sont qualifiés de criminels. Dans une telle situation, les seuls moyens efficaces de défense et de dissuasion doivent être considérés comme légitimes vu leur nécessité.

La doctrine juridique de la nécessité est communément formulée comme suit :

« Celle qui, autrement, n’est pas légale, est rendue légale par la nécessité. »

Alors que ses paramètres et ses interprétations varient, ce que l’on entend généralement là, c’est qu’une personne peut normalement recourir à des moyens illégaux dans son autodéfense quand il n’y a pas d’alternative réaliste et que les moyens utilisés provoquent moins de dégâts que le danger qu’ils sont censés empêcher.

C’est plus que probablement le cas avec les missiles palestiniens. Lors de la récente escalade à Gaza, par exemple, les armes « sans discrimination » tirées par les Palestiniens en réponse à l’attaque surprise d’Israël, n’ont pas provoqué de graves blessures ni de décès, alors que les armes de « précision » d’Israël ont tué des dizaines de Palestiniens, dont un grand nombre d’enfants.

De plus, les organisations se résistance palestinienne ont limité et calibré leur riposte à l’attaque d’Israël, dans le but de mettre sur pied un cessez-le-feu. Cette stratégie a probablement évité des dégâts bien pires pour les Palestiniens, mais également pour les civils israéliens.

Nous avons également discuté de ce qui se passera après que Mahmoud Abbas, le dirigeant de l’Autorité palestinienne soutenu par les EU, aura quitté la scène. Israël et ses amis vont-ils être à même d’installer un autre dirigeant à Ramallah, afin de poursuivre la collaboration de l’AP avec les forces d’occupation israéliennes ?

Les craintes israéliennes quant à un renouvellement de la résistance armée en Cisjordanie dans l’ère après-Abbas, semble motiver les attaques israéliennes là-bas – à l’instar du raid mortel à Naplouse un peu plus tôt ce mois-ci.

Mais, comme à Gaza, la violence d’Israël en Cisjordanie n’est susceptible que de pousser les Palestiniens à peaufiner leurs capacités de résistance.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer comment la résistance armée en Palestine et au Liban continue d’être criminalisée et dénoncée comme « terroriste » par les mêmes gouvernements et médias occidentaux qui arment et glorifient la résistance en Ukraine.

Le danger d’une guerre entre Israël et le Liban

Quant au Liban, un différend avec Israël à propos de leur frontière maritime commune menace de déclencher une confrontation militaire majeure, une situation incroyablement dangereuse qui n’a encore attiré que très peu l’attention.

Les EU ont exercé des pressions sur le Liban pour qu’il se mette rapidement d’accord avec Israël autour d’une frontière maritime, parce qu’une compagnie grecque est prête à commencer ses forages de gaz dans des eaux contestées sous contrôle israélien dès septembre prochain.

Face au contexte de la guerre en Ukraine, les pays européens sont particulièrement pressés de se mettre à acheter du gaz à Israël afin de remplacer la Russie en guise de source.

Mais le Hezbollah, la principale organisation de résistance au Liban, a déclaré maintes fois qu’il ne tolérerait pas la moindre violation des ressources et souveraineté du Liban et que, tout en ne cherchant pas une guerre contre Israël, il n’est pas du tout effrayé par cette éventualité.

« Si le Liban n’obtient pas les droits réclamés par l’État libanais, nous nous dirigeons vers une escalade »,

a récemment mis en garde Hasan Nasrallah, le chef du Hezbollah.

Vu la hausse des tensions, Israël prend ces avertissements au sérieux.

J’ai expliqué à Rania Khalek que, même si le Hezbollah ne devait jamais utiliser sa force militaire, cette simple menace est suffisante pour tenir à l’écart les sociétés internationales dont Israël a besoin pour développer les gisements gaziers.

Le danger ne peut être sous-estimé.

Le Hezbollah a montré qu’il avait la capacité de défaire Israël sur le champ de bataille.

C’est pour cette raison qu’Israël recours à la doctrine Dahiya – le ciblage délibéré et la destruction de masse des infrastructures civiles – comme il l’a fait au Liban en 2006.

Mais, depuis la guerre, le Hezbollah a fortement renforcé son arsenal. Israël croit que son ennemi dispose de 100 000 roquettes qui peuvent atteindre n’importe quelle partie du pays et qui submergeraient les systèmes de défense contre les missiles.

Le Liban et Israël ont créé une sorte de dissuasion non nucléaire – une destruction non nucléaire mutuellement assurée, ai-je dit à Rania Khalek. Personne au Liban n’a de doute à propos de la volonté ou de la capacité d’Israël de détruire le pays.

Le facteur non testé réside dans la capacité du Hezbollah de riposter contre Israël avec quelque chose de plus ou moins comparable. L’évaluation israélienne doit être que ce que le Hezbollah pourrait exactement faire est une question à laquelle il vaut mieux ne pas répondre.

Rania Khalek et moi avons également discuté de l’agression récente contre Salman Rushdie, l’auteur des Versets sataniques et de la question de savoir si les progressistes américains ont appris quelque chose de leur soutien à Barack Obama.

Suivez toute la discussion sur la vidéo ci-dessous (en anglais).

 

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 22 août 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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