Une organisation de défense des droits presse la CPI d’enquêter sur Toledano, un avocat militaire israélien « de haut rang »

Lundi 31 octobre, une organisation des droits de l’homme dont le siège se trouve aux EU a introduit un dossier demandant à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur Eyal Toledano, un important chef militaire israélien.

Le résultat d’une démolition punitive de maison à Shuwaika, près de Tulkarem en Cisjordanie, en décembre 2018. (Photo : Ahmad Al-Bazz / ActiveStills)

Le résultat d’une démolition punitive de maison à Shuwaika, près de Tulkarem en Cisjordanie, en décembre 2018. (Photo : Ahmad Al-Bazz / ActiveStills)

 

Maureen Clare Murphy, 1er novembre 2022

Democracy for the Arab World Now (DAWN – Démocratie pour le monde arabe maintenant), une organisation non marchande créée par le journaliste assassiné du Washington Post, Jamal Khashoggi, a déclaré qu’il devrait y avoir une enquête sur Toledano

« pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris le crime d’apartheid ».

Le tribunal international de La Haye a reçu de nombreuses plaintes concernant des violations graves à l’encontre des Palestiniens, mais l’intervention de DAWN est unique en ce sens qu’elle se concentre sur un individu bien spécifique.

DAWN fait remarquer qu’en tant que conseiller juridique entre 2016 et 2020, Toledano était « l’autorité juridique la plus haute » dans le territoire, en exerçant effectivement la fonction de « procureur général de l’occupation israélienne ».

Toledano est actuellement procureur général adjoint de l’armée et il facilite le blanchiment de l’armée israélienne en enquêtant lui-même sur les crimes perpétrés contre les Palestiniens, dont l’assassinat en mai dernier de la correspondante d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh.

Dans son rôle précédent, prétend DAWN,

« Toledano a supervisé, tout en en étant complice, la perpétration d’un large éventailde violations dont des démolitions de maisons, des déportations forcées, des restrictions massives de la liberté de mouvement et la facilitation de la tentative d’annexion par Israël de la Cisjordanie. » 

Pendant qu’il exerçait ses fonctions de conseiller juridique en Cisjordanie, l’armée israélienne

« a effectué 40 démolitions punitives de maison, lesquelles ont abouti à la déportation de 210 personnes »,

déclare DAWN. Ces démolitions punitives sont une forme de punition collective – un crime de guerre.

Quelque 2.115 autres Palestiniens ont été déplacés suite à la confiscation et à la démolition par Israël de centaines de résidences, lors du mandat de Toledano.

« Considérés dans leur ensemble, lorsqu’ils sont appliqués pour maintenir un système d’oppression ou de domination, ces crimes et les autres sont équivalents au crime d’apartheid »,

estime DAWN.

L’organisation non marchande ajoute que la CPI classe l’apartheid comme « un crime contre l’humanité » et, « quand ils sont commis avec des intentions discriminatoires », ces crimes et d’autres

« constituent également le crime de persécution qui, selon le Statut de Rome [le traité fondateur de la CPI], est lui aussi un crime contre l’humanité ».


Toledano a supervisé le déplacement de Khan al-Ahmar

DAWN fait remarquer que Toledano a supervisé « le déplacement planifié du village tout entier de Khan al-Ahmar » – un plan qu’Israël avait mis sur pied après avoir été averti que cela constituerait un crime de guerre par Fatou Bensouda, la procureure principale de la Cour pénale internationale, en 2018.

L’enquête de la Cour pénale internationale sur la Palestine avait été lancée par Bensouda en mars 2021, peu avant l’expiration de son mandat de procureur en chef.

La conclusion par Bensouda d’une très longue enquête préliminaire recommandait une enquête officielle concentrée sur l’entreprise coloniale de peuplement d’Israël en Cisjordanie, sur l’offensive militaire d’Israël contre Gaza en 2014 ainsi que sur le recours à la violence meurtrière contre les protestataires de la Grande Marche du Retour.

La CPI poursuit des individus plutôt que des États et donne la priorité aux militaires de haut rang et aux dirigeants du gouvernement qui décident de la politique et qui l’appliquent, plutôt qu’aux simples soldats.

DAWN déclare que « selon la doctrine du commandement ou de la responsabilité supérieure », Toledano est

« responsable de la conduite de ses subordonnés et, sur le plan criminel, il est responsable de leurs crimes ».

Les médias ont rapporté que le gouvernement israélien détenait une liste avec plusieurs centaines de personnages officiels qui pourraient faire l’objet d’enquêtes et de poursuites de la cour.

Étant donné que la colonisation de la terre palestinienne est la raison d’être d’Israël, c’est à peu près chaque facette du gouvernement – et, de ce fait, son personnel – qui est impliquée dans la colonisation par Israël de la Cisjordanie occupée.

David Mintz, un juge de la haute cour d’Israël, pourrait se retrouver en compagnie de Toledano après avoir pris lui-même une décision autorisant l’expulsion de masse de Palestiniens de la région de Masafer Yatta dans le sud de la Cisjordanie, un peu plus tôt cette année.

Malgré l’accélération de la colonisation israélienne et toute la violence qui s’ensuit, aucun progrès, apparemment, n’a été fait dans l’enquête depuis que Karim Khan a prêté serment comme procureur en chef, en juin de l’an dernier.

Deux poids, deux mesures

Khan est resté très discret à propos de l’enquête sur la Palestine tout en faisant de nombreuses apparitions médiatiques vantant l’enquête en Ukraine lancée l’an dernier à la suite de l’invasion russe.

On ne peut bénéficier de la justice internationale, semblerait-il, que lorsqu’elle s’aligne sur les intérêts géopolitiques de certains États puissants.

Navi Pillay, la présidente d’une commission d’enquête de l’ONU sur l’oppression par Israël des Palestiniens dans l’ensemble, avait pointé le doigt sur l’hypocrisie des États qui condamnent la Russie pour avoir annexé unilatéralement des régions de l’Ukraine, mais qui s’abstiennent de condamner l’annexion par Israël du territoire palestinien.

« Des déclarations récentes du secrétaire général et de nombreux États membres ont clairement indiqué que toute tentative d’annexion unilatérale du territoire d’un État par un autre État constituait une violation du droit international et qu’elle était nulle et non avenue »,

a déclaré Pillay.

« À moins qu’il ne soit appliqué universellement, y compris dans la situation du territoire palestinien occupé, ce principe de base de la Charte des Nations unies va finir par perdre tout son sens. »

Ces deux poids et deux mesures ont également été remarqués par Balakrishnan Rajagopal, le rapporteur spécial de l’ONU sur le logement, dans son rapport délivré à l’Assemblée générale la semaine dernière.

« En effet, l’agression de la Fédération russe à l’encontre de l’Ukraine a été accueillie par une condamnation internationale sans précédent et par des efforts d’enquête et de poursuite, y compris par la Cour pénale internationale »,

a déclaré Rajagopal.

« Tout admirables et nécessaires qu’elles soient, on ne peut nier que de telles actions sont dramatiquement absentes dans d’autres crises humanitaires, comme en Afghanistan et en Palestine – depuis des années, tous deux ont des affaires en souffrance devant la Cour pénale internationale, et ce, sans le moindre résultat tangible. »

Dans le même rapport, Rajagopal déclarait que

« le régime institutionnalisé de l’oppression et de la discrimination raciales systématiques qui a abouti à la destruction des maisons palestiniennes n’est rien d’autre que de l’apartheid »,

tel que défini sous le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI.

Rajagopal d’ajouter que

« la privation intentionnelle et sévère de logement, contraire à la loi internationale, en raison d’un transfert de force de la population, allait également satisfaire la définition de persécution ».

Rajagopal n’était pas le seul rapporteur spécial de l’ONU à mettre en lumière lors de l’Assemblée générale les pratiques d’apartheid imposées par Israël aux Palestiniens.

Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, a expliqué que le système d’apartheid israélien était un moyen par lequel Israël refusait aux Palestiniens leurs droits à l’autodétermination et facilitait son entreprise de colonies de peuplement – la cause de base du conflit.

Tendayi Achiume, la rapporteuse spéciale sur le racisme, a mis en lumière la « dévastation écologique et la transformation » de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza.

« L’expansion coloniale israélienne dans les territoires palestiniens a débouché sur la destruction de centaines de villages palestiniens »,

a fait remarquer Achiume. Pendant ce temps, Israël offre des avantages fiscaux pour que son industrie très polluante se relocalise en Cisjordanie

« avec d’immenses effets génotoxiques bien connus pour les résidents palestiniens ».

Israël confisque des terres palestiniennes pour construire des colonies sous le prétexte de protéger les zones naturelles,

« une pratique que l’on a décrite sous le vocable de ‘greenwashing’ »,

a expliqué Achiume, alors que la plus grosse partie de l’eau de la Cisjordanie est expropriée pour l’usage exclusif des colons juifs.

« En effet, les pratiques et mesures israéliennes dans Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza correspondent à de l’apartheid avec, pour les Palestiniens, des conséquences extrêmes pour l’environnement et les droits humains »,

a-t-elle conclu.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

 

 

 

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Publié le 1er novembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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