Israël a été bâti sur des villages palestiniens incendiés

Incendier des villages palestiniens n’est pas une tactique nouvelle du projet sioniste, mais qu’il s’agit plutôt d’une de ses caractéristiques maîtresses.

27 février 2023. Des flammes et de la fumée s’élèvent de la ville de Huwara, en Cisjordanie, suite à sa mise à sac par des colons israéliens

27 février 2023. Des flammes et de la fumée s’élèvent de la ville de Huwara, en Cisjordanie, suite à sa mise à sac par des colons israéliens. (Photo : Hisham K K Abu Shaqra / Anadolu Agency)

 

Yara Hawari, 14 mars 2023

Fin février, des colons israéliens incendiaient la ville palestinienne de Huwara au cours de ce que beaucoup ont qualifié de pogrom. Le Palestinien Sameh Aqtesh, 37 ans et père de cinq enfants, a été tué par balles, des dizaines de personnes ont été blessées et bien des maisons et des commerces ont été vandalisés. Depuis lors, d’autres attaques ont suivi contre la ville et les zones avoisinantes.

Les médias occidentaux ont manifesté de l’intérêt pour ces événements mais ont situé ce qui s’est passé à Huwara dans le cadre d’un prêté pour un rendu entre les Palestiniens et les colons israéliens.

Par conséquent, la couverture du pogrom en Occident a ignoré non seulement l’escalade depuis des mois de la violence des colons, mais aussi la réalité du colonialisme de peuplement sioniste.

Les sionistes et Israéliens prétendument libéraux qui se considèrent comme à gauche du spectre politique ont eux aussi témoigné de l’intérêt pour Huwara. Depuis le pogrom, des dizaines d’activistes israéliens sont descendus sur les lieux mêmes pour manifester. Une petite minorité parmi les dizaines de milliers d’Israéliens assistant aux protestations « prodémocratie » contre les plans de réforme judiciaire de la coalition gouvernementale ont également lancé des slogans contre l’occupation, dans le sillage de l’attaque contre Huwara.

D’autres ont entrepris d’écrire publiquement sur le caractère scandaleux de ce qui s’est passé, en criant haut et fort qu’en ce moment, « aimer Israël, c’est le dénoncer ». « Cela concerne les juifs du monde entier », a déclaré l’historien juif britannique Simon Schama. « C’est absolument et extrêmement effrayant. » La déclaration d’indépendance d’Israël, en 1948 – « un document noble, qui promettait l’égalité des droits civiques à tous les groupes religieux et ethniques » – s’est désintégrée, a-t-il ajouté.

Pour ces Israéliens et ces sionistes, ce qui s’est passé à Huwara est simplement perçu via le prisme du gouvernement de coalition de droite de Netanyahou. En d’autres termes, comme un symptôme regrettable du glissement du régime israélien vers la droite et vers l’enhardissement inévitable des colons israéliens en Cisjordanie.

Ceci constitue une interprétation étonnamment trompeuse de la réalité.

En effet, le fait de présenter les colons israéliens en Cisjordanie comme totalement séparés et intrinsèquement différents du reste d’Israël constitue une preuve de dissonance cognitive par excellence.

Il ne faut pas creuser bien bas pour découvrir qu’incendier des villages palestiniens n’est pas une tactique nouvelle du projet sioniste, mais qu’il s’agit plutôt d’une de ses caractéristiques maîtresses.

En 1948, l’année de la Nakba, plus de 450 villes et villages de Palestine ont été radiés de la carte par les milices sionistes et il en est résulté que 800 000 Palestiniens ont été contraints à l’exil.

En effet, des massacres comme ceux de Deir Yassin et de Tantura restent gravés dans les mémoires collectives palestiniennes.

Aujourd’hui, certains points de repère parmi les plus importants du régime israélien se situent là où jadis se trouvaient des localités palestiniennes, et cela va de l’Université de Tel-Aviv à l’aéroport Ben-Gourion.

Bien des activistes israéliens qui sont venus manifester à Huwara sont venus de leurs maisons, de bars branchés et de boulangeries artisanales de Tel-Aviv qui ont été installés au-dessus de villages palestiniens détruits. Loin de la description par Schama d’un document noble, la Déclaration d’indépendance israélienne a institutionnalisé le colonialisme sioniste de peuplement et la destruction de la Palestine.

Au cours des décennies qui ont suivi la Nakba, la destruction des villages palestiniens est restée une caractéristique principale du régime israélien.

En 1967, quand ce dernier a conquis la Cisjordanie et la bande de Gaza, d’autres villages encore ont été rayés de la carte et, une fois de plus, des centaines de milliers de Palestiniens ont été contraints à l’exil.

Dans la Vieille Ville de Jérusalem, un quartier entier – le Quartier maghrébin – a été rasé complètement. L’année 1967 a également marqué le début de l’entreprise de peuplement en Cisjordanie et à Gaza, dirigée par un gouvernement travailliste israélien et non par un gouvernement de droite comme certains pourraient l’avoir présumé.

Alors que le discours de l’extrême droite a sans nul doute mené ces récentes années à plus d’attaques encore des colons contre les Palestiniens de Cisjordanie – comme celle de 2015, quand des colons israéliens ont envahi le village de Duma, au sud de Naplouse et incendié la maison de la famille Dawabsheh, tuant ainsi un bébé palestinien de 18 mois – l’oblitération du peuple palestinien figure dans l’essence même du régime israélien.

Séparer les actions des colons en Cisjordanie du reste constitue une tentative de dissimuler la réalité du colonialisme de peuplement israélien qui existe du Jourdain à la Méditerranée.

C’est pourquoi le pogrom de Huwara doit être compris comme une simple continuation d’un héritage colonial de peuplement.

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Article publié le 14 mars 2023 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Yara Hawari

Yara Hawari

Yara Hawari est chargée de recherche en politique palestinienne à Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network.

Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l’université d’Exeter, où elle a enseigné divers cours de premier cycle et continue à être chercheur honoraire. En plus de son travail universitaire qui s’est concentré sur les études indigènes et l’histoire orale, elle publie fréquemment ses commentaires politiques dans divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera English.

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