La Palestine est-elle au bord d’une révolte à grande échelle ?

Les événements de la semaine dernière en Cisjordanie occupée indiquent que la lutte de libération palestinienne et les efforts d’Israël en vue de la réprimer par la violence brutale sont entrés dans une phase nouvelle. Pour Israël, le scénario cauchemar – qui semble se muer en réalité – verrait l’Autorité palestinienne s’effondrer ou cesser de fonctionner en tant que force de police auxiliaire. Dans ce cas, les forces israéliennes devraient être déployées directement dans les principaux centres de population palestiniens, comme elles l’avaient été au cours de la Première Intifada, avant la signature des accords d’Oslo, en 1993, qui avaient créé l’AP. Si cela devait arriver, les confrontations à Jérusalem-Est ne constitueraient qu’un petit avant-goût de ce qui serait vraisemblablement une révolte palestinienne à grande échelle dans toute la Cisjordanie.

14 octobre. Des Palestiniens en deuil portent le corps du médecin abattu, Abdallah Abu al-Teen, lors de ses funérailles dans le camp de réfugiés de Jénine. (Photo : Stringer / APA images)

14 octobre. Des Palestiniens en deuil portent le corps du médecin abattu, Abdallah Abu al-Teen, lors de ses funérailles dans le camp de réfugiés de Jénine. (Photo : Stringer / APA images)

Ali Abunimah et Maureen Clare Murphy, 14 octobre 2022

Les événements de la semaine dernière en Cisjordanie occupée indiquent que la lutte de libération palestinienne et les efforts d’Israël en vue de la réprimer par la violence brutale sont entrés dans une phase nouvelle.

Dans ce scénario en plein devenir, les colons de la frange naguère qualifiée d’extrémiste se voient désormais représentés dans les niveaux supérieurs du gouvernement israélien et ils se sont enhardis au point de passer outre à toutes les restrictions de l’armée.

Pendant ce temps, l’Autorité palestinienne se révèle de moins en moins efficace à mater la résistance armée et, comme le craignent certains commentateurs israéliens, elle vacille de plus en plus au point d’être au bord de l’effondrement.

L’AP est là pour servir de renfort à l’occupation israélienne et sa présence ne manquerait pas à bien des Palestiniens, hormis ceux qui sont repris aujourd’hui sur ses feuilles de paie.

Mais, dans une situation de complète impunité israélienne et de seuls gestes creux de la part des parties internationales vers un processus de paix non existant, la triste statistique de plus de 100 Palestiniens tués en Cisjordanie en cette seule année est annonciatrice de la montée probable d’une violence pire encore.

 

 

 

Jeudi soir, des colons israéliens, dont certains armés, ont afflué dans Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est dont ils tentent de s’emparer et ils ont attaqué des résidents palestiniens et leurs propriétés.

 

Dans cette vidéo, Jawad Burqan, un habitant de Sheikh Jarrah, décrit comment les gens du quartier, y compris des membres de sa famille, sont constamment harcelés par les colons qui envahissent le quartier et tirent avec leurs armes sans la moindre discrimination :

 

Les colons étaient apparemment dirigés par le député israélien Itamar Ben-Gvir, qui brandissait un pistolet et disait aux vigilantes que « si les Palestiniens jettent des pierres, abattez-les ».

Ben-Gvir, un allié de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou (qui cherche de faire son comeback lors des élections israéliennes du mois prochain), a un jour proclamé que Baruch Goldstein était son héros.

Goldstein était un colon juif de Brooklyn qui avait tué 29 Palestiniens, hommes et enfants, au moment où ils priaient à la mosquée al-Ibrahimi de Hébron lors du ramadan de 1994.

Après ce massacre, les forces israéliennes avaient opéré une partition du lieu saint et avaient fermé la vieille ville adjacente, jusque-là très animée.

Les forces d’occupation israéliennes se déploient dans le quartier de Jérusalem-Est Sheikh Jarrah, au cours d’un rassemblement de solidarité, le 14 octobre. (Photo : Saeed Qaq / ActiveStills)

Les forces d’occupation israéliennes se déploient dans le quartier de Jérusalem-Est Sheikh Jarrah, au cours d’un rassemblement de solidarité, le 14 octobre. (Photo : Saeed Qaq / ActiveStills)

Les Palestiniens se rendent compte que, sans une résistance bien décidée, Israël  saisira toute opportunité pour imposer des mesures similaires à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, où les tensions montent en raison des visites provocatrices, battant tous les records d’affluence des extrémistes juifs qui, lors des fêtes juives, cherchent à modifier le statu quo sur le site sacré.

La violence de cette semaine à Jérusalem doit être perçue comme faisant part des efforts plus larges d’Israël en vue d’effacer la vie palestinienne de la ville.

Après que la foule des colons a quitté Sheikh Jarrah jeudi, la police israélienne a aspergé d’eau putride (la fameuse « skunk », NdT) les maisons palestiniennes du quartier :

 

Vendredi, pendant ce temps, des colons ont attaqué pour la deuxième fois consécutive des Palestiniens à Huwwara, une ville proche de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie :

 

Haaretz, un journal de Tel-Aviv, a rapporté que les colons s’en étaient pris à des petits commerçants palestiniens et qu’ils avaient jeté des pierres sur des maisons de Huwwara.

« Plus tard, l’armée israélienne s’est amenée et a abattu deux Palestiniens, qui sont actuellement soignés pour leurs blessures »,

a ajouté Haaretz, citant la Société su Croissant-Rouge de Palestine.

Une vidéo montre des colons qui, jeudi, attaquent des commerces de Huwwara sous la protection des soldats israéliens :

La recrudescence des confrontations cette semaine un peu partout en Cisjordanie a été précipitée par le blocage par Israël du camp de réfugiés de Shuafat, ainsi que celui, depuis samedi soir, des quartiers proches de Jérusalem-Est que sont Dahiyat al-Salam, Ras Shahda, Ras Khamis et Anata.

Déjà entourés par le mur israélien et coupés du reste de la ville, les quartiers sont en état de siège depuis plusieurs jours suite à la mort d’une soldate au check-point de Shuafat samedi dernier.

Israël recherchait prétendument le tireur présumé, un résident de 21 ans du camp de réfugiés de Shuafat.

Mardi, les Palestiniens du camp ont annoncé une grève générale et une campagne de désobéissance civile en guise de protestation contre les sévères restrictions israéliennes, qui empêchent les résidents d’accéder au travail, aux soins de santé et aux écoles, et qui mettent tout simplement la vie à l’arrêt.

Adalah, une organisation palestinienne de défense des droits humains, a déclaré que les

« punitions collectives généralisées, comprenant des coupures de courant, l’aspersion d’eau putride ‘skunk’, les tirs de gaz lacrymogènes dans des zones civiles densément peuplées, constituaient des violations de la Quatrième Convention de Genève.

Le blocage violait « la liberté de mouvement de quelque 130 000 résidents palestiniens »,

a ajouté Adalah.

Jeudi, Israël a sorti des instructions afin d’alléger ces mesures, dans un effort en vue de désamorcer la situation et, vendredi, des Palestiniens du camp ont prétendument annoncé la suspension de leur campagne de désobéissance civile.

Mais, vendredi soir, il a semblé que les sévères restrictions de mouvement aient été imposées de nouveau :

 

Malgré tout le remue-ménage qu’elles ont provoqué, les forces israéliennes ne sont toujours pas parvenues à capturer les Palestiniens recherchés pour avoir abattu des soldats en deux occasions séparées, à Jérusalem et à Naplouse qui, depuis samedi, connaît également un blocage.

Il semblerait qu’Israël ait pratiquement perdu le contrôle des deux villes dans leur ensemble, en plus de Jenine, où les forces d’occupation ont abattu et tué deux Palestiniens, vendredi.

Aussi bien Naplouse que Jénine ont ressurgi comme des centres de la résistance armée à l’occupation militaire israélienne. Ces derniers mois, Israël et l’Autorité palestinienne ont multiplié leurs attaques dans ces zones, entre autres, du fait que les dirigeants israéliens s’inquiètent de les voir progressivement échapper à l’emprise de l’occupation.

Pour Israël, le scénario cauchemar – qui semble se muer en réalité – verrait l’Autorité palestinienne s’effondrer ou cesser de fonctionner en tant que force de police auxiliaire.

Dans ce cas, les forces israéliennes devraient être déployées directement dans les principaux centres de population palestiniens, comme elles l’avaient été au cours de la Première Intifada, avant la signature des accords d’Oslo, en 1993, qui avaient créé l’AP.

En cas d'effondrement des forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne les confrontations à Jérusalem-Est ne constitueraient qu’un petit avant-goût de ce qui serait vraisemblablement une révolte palestinienne à grande échelle dans toute la Cisjordanie.(Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

Les forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne se servant des armes de contrôle des foules contre des partisans du Hamas qui manifestant dans la ville cisjordanienne de Hébron, le 14 octobre. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

Si cela devait arriver, les confrontations à Jérusalem-Est ne constitueraient qu’un petit avant-goût de ce qui serait vraisemblablement une révolte palestinienne à grande échelle dans toute la Cisjordanie.

Le niveau de violence et de brutalité qu’Israël devrait déployer alors dans un effort en vue d’écraser une révolte serait inimaginable. Et, s’il devait être maintenu, il pourrait coûter bien plus à Israël en termes de soutien international que ses accès réguliers de folie meurtrière à Gaza.

Et, comme on l’a vu en mai 2021, les confrontations ne seraient pas nécessairement limitées à la Cisjordanie, en y incluant Jérusalem-Est et Gaza.

Au moins un commentateur israélien de l’influent quotidien Haaretz a exprimé sa crainte de voir les troubles actuels à Naplouse, Jénine et Jérusalem-Est

« s’infiltrer de nouveau en passant par la Ligne verte, avec des heurts possibles dans les villes mixtes (juives-arabes) ».

Un autre auteur habitué de la même publication a comparé la chose

« à la sensation effrayante d’une voiture qui dévoile une pente en direction d’un gouffre »,

et ne proposait que la prière comme prescription du fait que mettre un terme aux causes structurelles de la violence, en tout premier lieu le régime suprémaciste israélien de colonialisme de peuplement, va bien au-delà de l’imagination.

Ces auteurs sont en proie à la crainte de ce que les communautés israéliennes juives pourraient être affectées par la violence à laquelle les Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte sont soumis sur base quotidienne.

En cas d'effondrement des forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne les confrontations à Jérusalem-Est ne constitueraient qu’un petit avant-goût de ce qui serait vraisemblablement une révolte palestinienne à grande échelle dans toute la Cisjordanie. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

Le 14 octobre, les forces d’occupation israéliennes prennent position au cours de confrontations avec les Palestiniens dans la ville cisjordanienne de Hébron. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

Presque chaque jour, Jénine a subi des raids, à l’issue d’une série d’attaques mortelles menées en mars en Israël par des Palestiniens de la zone.

Environ 40 Palestiniens de la région de Jénine ont été tués jusqu’à présent cette année.

L’un des tués au cours du raid israélien contre Jénine vendredi Abdallah Abu al-Teen, un médecin de 43 ans. Le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne a déclaré qu’Abu al-Teen avait été touché à la tête par des soldats, en face d’un hôpital du gouvernement de la ville du nord de la Cisjordanie.

Les autorités israéliennes ont suggéré qu’Abu al-Teen aurait pu être tué par des Palestiniens armés et, ensuite, elles ont prétendu que le médecin était engagé dans un échange de tirs avec des soldats, au moment où il a été tué.

Les changements dans le discours sont semblables à ce qu’avait dit Israël dans les heures et jours qui avaient suivi la mort de Shireen Abu Akleh, abattue dans la même ville.

Plusieurs investigations dans les mois qui ont suivi la mort de Shireen Abu Akleh avaient estimé que la journaliste d’Al Jazeera avait été tuée par les troupes israéliennes, alors qu’il n’y avait pas de Palestiniens armés présents et qu’il n’y a avait justement pas eu de confrontation à ce moment précis.

Le groupe de recherche Forensic Architecture et l’organisation palestinienne des droits humains Al-Haq ont déclaré le mois dernier que leur enquête, qui avait recouru à de l’imagerie spatiale et à des reconstitutions de l’incident, montrait qu’Abu Akleh et ses collègues avaient été délibérément ciblés. Aucun soldat israélien n’a été tenu pour responsable de sa mort.

 

L’autre Palestinien tué à Jénine vendredi a été identifié comme étant Mateen Dabaya, dans les vingt ans. Citant le ministère palestinien de la Santé, Al Jazeera a rapporté que Dabaya a été tué d’une balle dans la tête.

Vendredi également, un troisième Palestinien de Jénine, Muhammad Maher Ghawadreh, 17 ans, est mort en détention en Israël, suite aux blessures qu’il avait subies le mois dernier :

Ghawadreh était détenu dans un hôpital israélien où il était traité pour ses blessures subies au moment où, début septembre, il avait, prétend-on, commis une agression armée contre un bus transportant des soldats israéliens dans la vallée du Jourdain, en Cisjordanie.

Sept hommes avaient été blessés dans cette attaque dont les autorités israéliennes avaient dit que deux autres hommes y participaient, outre Ghawadreh, tous étant membres de la même famille.

Maher Ghawadreh, le père de Muhammad, était présent avec le père de Raed et Abdalrahman Khazem aux funérailles de Mateen Dabaya à Jénine, vendredi :

 

L’aîné des Ghawadreh, particulièrement visible – et armé – en public vendredi, est lui aussi recherché par Israël pour avoir prétendument mené l’attaque dans la vallée du Jourdain en septembre.

Vendredi soir, des raids israéliens et des actions de la résistance palestinienne avaient toujours lieu dans divers endroits en Cisjordanie, dont Jérusalem-Est.

On rapporte que, vendredi, des tireurs palestiniens ont ouvert le feu contre la colonie de Beit El, près de Ramallah, en Cisjordanie, blessant légèrement un Israélien.

Les médias israéliens ont rapporté qu’un des assaillants palestiniens présumés avait été abattu et tué par des militaires au moment où il tentait de fuir.

Dans l’intervalle, une vidéo a montré la police israélienne qui tabassait et arrêtait des Palestiniens à Sheikh Jarrah, alors que les confrontations se poursuivaient à Jérusalem-Est :

 

Le siège de Shuafat cette semaine a uni les Palestiniens de Jérusalem-Est, où les frustrations couvant depuis longtemps étaient déjà très grandes en raison d’une atmosphère quotidienne de répression, du fait qu’Israël tente par tous les moyens d’écraser la vie des Palestiniens dans la ville.

Plus tôt cette année, une foule énorme de ces Palestiniens qui font l’histoire a accompagné le cercueil de la journaliste Shireen Abu Akleh lors de son cortège funéraire après qu’elle avait été abattue et tuée par les forces israéliennes dans le camp de réfugiés de Jénine au mois de mai.

Le résident et écrivain de Sheikh Jarrah, Muhammad El-Kurd, a décrit l’énorme mobilisation pour les funérailles de Shireen Abu Akleh, malgré les restrictions imposées par Israël aux rassemblements publics, comme « une revendication de l’espace public » dans la ville.

Les événements qui se dérouleront à Jérusalem cette semaine seront sans doute perçus par la suite comme étant de nature similaire.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

                                       

Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

 

 

 

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Publié le 14 octobre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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