Les prétextes d’Israël à l’exécution gobés par l’Occident

Il conviendrait d’accueillir avec scepticisme les allégations de la police israélienne vu la très longue série de dissimulations de morts injustifiées imputables à ses agents.

 

Tel-Aviv, 7 avril 2023. La police et les agents médicolégaux à l’œuvre sur les lieux où Yusif Abu Jaber vient de faucher plusieurs personnes avec sa voiture, faisant un mort, avant d’être tué sur place à son tour.

Tel-Aviv, 7 avril 2023. La police et les agents médicolégaux à l’œuvre sur les lieux où Yusif Abu Jaber vient de faucher plusieurs personnes avec sa voiture, faisant un mort, avant d’être tué sur place à son tour. (Photo : Ilia Yefimovich / DPA)


Maureen Clare Murphy
, 14 avril 2023

Yusif Abu Jaber a été enterré mardi. Sa famille a demandé des réponses à propos des circonstances de sa mort.

Les autorités israéliennes affirment que, vendredi dernier, le citoyen palestinien de l’État d’Israël a dirigé intentionnellement sa voiture sur un groupe de touristes, tuant un Italien, avant d’être abattu et tué par la police sur la promenade d’une plage de Jaffa.

La police prétend qu’après que sa voiture s’est retournée, Abu Jaber a fait mine de tendre la main vers un objet « ressemblant à une arme à feu », dont la police a dit plus tard qu’il s’agissait d’un faux pistolet.

La famille d’Abu Jaber veut qu’Israël diffuse les prises de vue de la caméra corporelle enregistrées par les agents qui ont tué cet homme marié, père de six filles. Elle fait remarquer qu’Israël n’a pas montré de photos de l’arme factice qu’Abu Jaber a tenté de saisir, selon les dires des policiers.

Une autopsie initiale pratiquée par l’Institut israélien de médecine légale aurait conclu que l’homme de 45 ans avait été victime d’un accident vasculaire cérébral.

Les médias israéliens, s’en remettant à la police secrète israélienne du Shin Bet, ont rapporté que ces résultats préliminaires renforçaient « les soupçons qu’il s’agissait d’un attentat terroriste », même si un examen plus minutieux allait être nécessaire pour découvrir d’autres causes à la perte potentielle du contrôle de son véhicule par Abu Jaber.

L’Institut médicolégal a découvert, dit-on, qu’Alessandro Parini, le touriste italien, avait été tué par la force de l’impact et que rien n’indiquait que ce l’avait été par une arme à feu.

La police israélienne a conclu qu’Abu Jaber avait foncé intentionnellement avec sa voiture sur les gens.

« Il a débouché à toute vitesse sur le parcours de la promenade et à manœuvré entre les blocs de béton pour emprunter la piste cyclable et toucher le plus de personnes possible »,

a déclaré un haut gradé dans le journal de Tel-Aviv, Haaretz. Après avoir percuté un premier groupe de personnes, Abu Jaber

« a continué d’accélérer et a frappé un autre groupe de personnes ».

L’officier a déclaré qu’après que la voiture s’était renversée, Abu Jaber en était sorti en brandissant une arme factice. Après avoir été abattu et lâché l’objet qu’il avait en main, « il avait fait un effort en vue d’empoigner à nouveau le faux pistoler », indiquant ainsi qu’il voulait mourir », a encore rapporté Haaretz.

La police israélienne a corroboré ce témoignage. Dans une vidéo de l’exécution d’Abu Jaber prise par un passant, on entend une voix ordonner en hébreu de « confirmer » qu’Abu Jaber était bien mort.

Répétant ce que disent depuis des années les organisations de défense des droits humains, Omar Abu Jaber, le frère du conducteur abattu, a déclaré :

« Les policiers qui l’ont abattu et tué ont assumé le rôle de procureur et de juge en même temps et l’ont jugé directement, ici, sur le terrain. »

Omar Abu Jaber a expliqué que son frère aurait pu être capturé vivant et il a fait remarquer que la police et le Magen David Adom (littéralement, « l’Étoile rouge de David » ; le terme désigne les services d’urgence officiels d’Israël, NdT) avaient modifié à plusieurs reprises leur version des faits.


Le problème de crédibilité de la police israélienne

Sami Abou Shahadeh, un député palestinien au Parlement israélien, a réclamé une enquête indépendante.

 

Toutefois, les médias et les diplomates internationaux, et même les responsables de l’ONU, ont été prompts à accepter les allégations de la police israélienne à propos d’un événement impliquant l’apparente exécution sommaire d’un Palestinien.

 

Des experts indépendants en droits humains, œuvrant pour l’ONU, ont fait allusion de façon détournée à l’incident de Jaffa dans une déclaration diffusée jeudi. Les experts parlent « d’agressions meurtrières contre des civils israéliens et internationaux » tout en réclamant des actions internationales afin de mettre un terme à la déportation forcée par Israël de Palestiniens de Jérusalem.

Il conviendrait au contraire d’accueillir avec scepticisme les allégations de la police israélienne vu la très longue série de dissimulations de morts injustifiées imputables à ses agents.

Jeudi, le procureur général d’Israël a clôturé une enquête sommaire sur l’homicide par balle d’un citoyen palestinien d’Israël, fin mars, sur le site de la mosquée d’Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem.

La police prétend que Muhammad al-Asibi, un étudiant en médecine, s’était emparé de l’arme d’un policier et avait tiré à deux reprises avant d’être abattu et tué.

Des témoins oculaires ont rejeté la version de la police et des anciens responsables de la police ont même exprimé leur incrédulité à propos du non-enregistrement prétendu de l’incident par les caméras de sécurité de cette zone hautement surveillée.

Un gardien d’Al-Aqsa qui a assisté à l’exécution d’al-Asibi a déclaré que la police lui avait confisqué son téléphone cellulaire et qu’il avait été interrogé par le Shin Bet qui voulait l’intimider.

Gideon Levy, un journaliste de Haaretz, fait remarquer que

« dans un enregistrement audio des événements, on entend 12 coups de feu tirés en une succession rapide et en quelque trois secondes à peine »,

bien que la police argue d’une bagarre avant les premiers coups de feu tirés par al-Asibi et ceux qui l’ont tué.

Outre l’absence d’interruption entre les détonations dans l’enregistrement, explique Gideon Levy,

« il y a le fait tout aussi déroutant que 12 balles ont touché Mohammed, la plupart ayant été tirées par un deuxième policier, sans qu’aucune ait touché le policier qui en était venu aux mains avec [al-Asibi] ».

Ahmad Tibi, un député palestinien au Parlement israélien, a fait remarquer que la police israélienne était prompte à publier des prises de vue quand elles montraient que quelqu’un avait agressé un agent.

« Je connais bien le secteur, il y a cinq caméras qui enregistrent la zone et chaque policier est nanti d’une caméra corporelle »,

a déclaré Tibi.

« Nous soupçonnons les policiers d’avoir fait coïncider leurs témoignages. Ils disent exactement les mêmes choses et c’est très suspect. »

 

Les dissimulations et les calomnies de la police

Il a comparé l’exécution d’Abu Jaber et ceux de Yaqoub Abu al-Qiyan et Iyad Hallaq.

Dans les deux cas, les policiers ont prétendu qu’ils avaient tué quelqu’un qui commettait ou avait l’intention de commettre une agression, et le chef de la police d’Israël ainsi que le ministre de la Sécurité publique de l’époque avaient même calomnié Abu al-Qiyan en prétendant qu’il était un terroriste de l’État islamique.

Des années plus tard, des enquêtes indépendantes révélaient une dissimulation massive, dans l’exécution d’Abu al-Qiyan lors d’un raid de démolition, en 2017, même si le Shin Bet avait déterminé deux jours après les faits qu’

« il n’y avait pas de preuve ou d’indice d’une agression terroriste »,

avait rapporté Haaretz.

Le procureur général de l’État d’Israël avait clôturé l’enquête sur cette exécution en 2018 et personne n’avait tenu responsable de la mort de ce professeur de mathématiques.

Un ancien responsable de la police a admis lors d’une interview télévisée, l’an dernier, que le département des enquêtes avait subi des pressions de la part de très hauts gradés afin de clôturer l’enquête sur l’homicide d’Abu al-Qiyan.

Adalah, une organisation de défense des droits des Palestiniens en Israël, a déclaré que cet aveu prouve à quel point les institutions d’État

« appliquent une politique bien établie d’immunité générale quand des Palestiniens se font tuer ou blesser par les policiers ou les militaires israéliens ».

L’agent qui avait tué Iyad Hallaq, un autiste palestinien abattu alors qu’il se rendait à l’école à Jérusalem en 2020, comparaît actuellement en justice pour homicide involontaire.

Malgré cette responsabilisation apparente, l’agent, dont le nom n’a pas été cité, bénéficie du soutien du chef de la police israélienne, Kobi Shabtai. Et, bien qu’il comparaisse en justice, il a bel et bien reçu une promotion.

À l’instar d’al-Asibi et d’Abu Jaber, Hallaq a été tué pendant le Ramadan, quand l’armée et la police israéliennes sont en alerte accrue.

Et, de même que dans le cas d’al-Asibi, Israël a prétendu qu’aucune des 10 caméras qui couvraient la zone ne fonctionnait au moment où Hallaq avait été abattu et tué par les policiers, alors que son accompagnateur les avait suppliés d’arrêter.

Les parents de Hallaq ont déclaré que leur fils enregistrait souvent ses trajets entre l’école et son domicile sur son téléphone cellulaire. Celui-ci avait été rendu à la famille, mais son contenu avait été effacé, a rapporté Haaretz.

Il y a de fortes raisons de croire que les autorités israéliennes dissimulent des preuves, a déclaré l’avocat de la famille Hallaq.

Les policiers

« ont soupçonné Hallaq d’être un terroriste, parce qu’il s’était arrêté à plusieurs reprises pour se retourner, pendant qu’il marchait »,

a encore rapporté Haaretz.

Quant à l’agent qui a tué Hallaq, il a déclaré au tribunal :

« Quand ils m’ont dit qu’il avait des besoins spéciaux, j’ai été en état de choc. En temps réel, ce que je savais, c’est qu’il était un terroriste. »

Le procès de l’assassin de Hallaq est une exception au beau milieu de

« l’immunité générale dont jouissent les forces policières et militaires d’Israël, ainsi que les vigiles civils juifs israéliens lorsque des Palestiniens se font tuer et blesser »,

explique Adalah.

L’organisation fait remarquer qu’Israël n’a pas réclamé des comptes à ses forces suite aux meurtres de 13 Palestiniens – tous, sauf un, étaient citoyens d’Israël – lors des protestations d’octobre 2000, pendant que ses

« dirigeants politiques et ceux chargés de l’application de la loi (…) attisaient en permanence la haine envers les citoyens palestiniens » de l’État.

Le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou a l’intention de restructurer les forces de police et d’alléger un peu plus encore les réglementations d’engagement (précisant quand les policiers ont le droit d’ouvrir le feu, NdT), tout en codifiant la politique de l’impunité quasi totale.

Les champions de la vérité et de la justice devraient y réfléchir à deux fois avant de répéter servilement les allégations israéliennes concernant les Palestiniens mis à mort par leurs forces militaires ou policières.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 6 avril 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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