L’ONU met en garde contre une « catastrophe » pour les Palestiniens à mesure que l’aide se raréfie

Vendredi, le secrétaire général de l’ONU a mis en garde contre les conséquences « catastrophiques » que pourrait avoir le fait que l’UNWRA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, est « au bord de l’effondrement financier ».

 

Les bénéficiaires du Programme alimentaire mondial protestent contre les restrictions de l’aide devant les bureaux du Programme de développement de l’ONU, à Gaza, le 21 mai dernier.

Les bénéficiaires du Programme alimentaire mondial protestent contre les restrictions de l’aide devant les bureaux du Programme de développement de l’ONU, à Gaza, le 21 mai dernier. (Photo : Hashem Zimmo / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 3 juin 2023

Pendant ce temps, l’aide en vivres du Programme alimentaire mondial à destination des Palestiniens est condamnée à se raréfier dans un même temps, et cela impactera surtout les familles de Gaza où, suite à 15 années de blocus israélo-égyptien, la majorité des habitants sont en insécurité alimentaire.

Ce mois-ci, pointant du doigt un manque de financement de 51 millions de USD, le Programme alimentaire mondial va suspendre son aide alimentaire normalement destinée à quelque 200 000 Palestiniens. En août,

« si elle ne reçoit pas de financement, l’agence sera forcée de « suspendre complètement ses opérations en Cisjordanie et à Gaza », ce qui affectera quelque 100 000 bénéficiaires supplémentaires.

 

Un haut responsable du Hamas à Gaza a déclaré dans Haaretz, le quotidien de Tel-Aviv, que son organisation, conjointement à l’Autorité palestinienne à Ramallah, demandait aux États donateurs de continuer de financer les opérations du Programme alimentaire mondial en Palestine.

L’impact sera ressenti bien au-delà des bénéficiaires qui, eux, sont directement affectés.

« Mettre un terme au programme provoquera une chute du pouvoir d’achat. Quand environ 200 000 personnes ne recevront pas leur aide financière, elles ne seront pas en mesure de faire leurs courses dans les magasins »,

a déclaré le responsable du Hamas, resté anonyme.


Inverser des décennies de bénéfices

Une réduction supplémentaire du soutien déjà entaillé accordé aux communautés les plus vulnérables de la région et confrontées à des besoins sans cesse croissants inverserait des décennies de bénéfices en développement humain, estime Philippe Lazzarini, le chef de l’UNRWA.

Lazzarini a déclaré qu’en septembre, l’agence allait être forcée de suspendre l’enseignement apporté à 550 000 garçons et filles ainsi que les services de santé de plus de deux millions de réfugiés, si elle ne recevait pas de soutien supplémentaire de la part des États donateurs.

Vendredi, il a demandé que soient versés au quartier général de l’ONU à New York les fonds nécessaires d’urgence afin de maintenir les services de l’UNRWA, du même type que ceux fournis par les gouvernements, ainsi qu’une aide d’urgence en liquide et en denrées alimentaires « destinée aux plus pauvres d’entre les pauvres ».

L’UNRWA a annoncé samedi qu’elle avait assuré quelque 100 millions de USD dans de nouveaux engagements mais que cela ne suffisait pas pour couvrir les obligations de l’agence qui allaient débuter en septembre.

Jeudi, lors d’une conférence de presse, Lazzarini a comparé la situation de son agence à celle d’un navire qui, sombrant lentement dans les flots, finit par atteindre un point de basculement irréversible.

À présent, la crise existentielle à laquelle est confrontée l’agence peut être inversée, a déclaré Lazzarini, mais « nous avons besoin d’une attention et d’un engagement politiques réels afin d’empêcher la poursuite du naufrage ».

 

 

L’agence ne peut plus s’en sortir avec des mesures d’austérité et d’accumulation de dettes après une décennie de sous-financement chronique et elle cherche un « financement durable, à long terme, prévisible et flexible », disait un appel de l’UNRWA ce mois-ci.

L’UNRWA n’a reçu que 33 pour 100 de ses obligations pour l’année, a déclaré l’agence.

En grande urgence, elle cherche 75 millions de USD pour l’aide alimentaire à Gaza et 30 millions de dollars pour une assistance en liquide aux réfugiés palestiniens en Syrie, en Jordanie et au Liban.

L’UNRWA a également besoin de 12 millions de USD pour maintenir son assistance en fonds aux réfugiés palestiniens de Jordanie qui ont été déportés de Syrie.

L’agence cherche des montants plus modiques afin de répondre au tremblement de terre en Syrie et d’apporter « de l’aide en liquide et de pallier des urgences en soins, éducation et santé environnementale » en Cisjordanie, « qui connaît actuellement des taux de violence sans précédent ».

 

« Rien moins que catastrophique »

António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a fait remarquer au cours de la conférence d’engagement de vendredi que « certains des donateurs les plus importants et les plus fiables avaient récemment signalé à l’UNRWA qu’ils pourraient bien réduire leurs contributions ».

Insistant sur le fait que « l’UNRWA est au bord de l’effondrement financier », Guterres a ajouté que « de nouvelles coupures dans le budget ne seraient rien moins que catastrophiques », vu que les existences de millions de Palestiniens étaient en jeu.

L’UNRWA ne peut réduire la masse de ses services, semblables à des services gouvernementaux, afin de correspondre aux diminutions volontaires du financement, estimait Lazzarini.

« Quand nous parlons d’adapter les dépenses aux ressources, je ne suis pas en position de dire : Eh bien, du fait que nous disposons de 20 pour 100 de ressources en moins, demandons à 20 pour 100 de nos enfants de quitter l’école »,

a ajouté Lazzarini.

« Ce n’est pas de cette façon qu’opèrent des services calqués sur les services publics. »

Lazzarini a demandé que le renouvellement du mandat de l’UNRWA par l’Assemblée générale de l’ONU tous les trois ans soit « accompagné d’un engagement véritable et de ressources en proportion ».

Le personnel de l’UNRWA prépare des rations alimentaires pour les réfugiés à Gaza, en janvier 2022.

Le personnel de l’UNRWA prépare des rations alimentaires pour les réfugiés à Gaza, en janvier 2022. (Photo : Ashraf Amra / APA images)

 

« Nos ressources ont stagné alors qu’en même temps, la région était frappée par de multiples crises  qui ont accru les besoins ainsi que les coûts », a déclaré Lazzarini. « Ainsi donc, la tension entre les coûts et les ressources est devenue de plus en plus insupportable. »

Lazzarini a reconnu que l’UNRWA, mise sur pied sur base temporaire en 1949 pour répondre aux besoins des réfugiés palestiniens chassés de leur patrie, atteignait sa 75e année d’existence.

Au beau milieu d’un processus politique en plein stagnation, « toute diminution des services est perçue comme un affaiblissement des futurs droits des réfugiés palestiniens, ce qui rend toute transformation impossible », a déclaré Lazzarini.

Il a fait savoir que les donateurs tels les États-Unis et les États de l’Union européenne ont diminué partout leurs budgets et que, ce faisant, ils ne visaient pas nécessairement l’UNRWA.

Les contributions des États arabes avaient connu un pic puisque ces pays avaient financé environ 25 pour 100 du budget de l’UNRWA en 2018, mais leur financement n’avait plus été que de 3 pour 100 en 2021.

 

La Palestine perd sa priorité au profit de l’Ukraine

Lors de son discours à la conférence d’engagement, vendredi, Lazzarini a mis le doigt sur plusieurs facteurs qui ont impacté le financement de l’UNRWA.

« Le conflit israélo-palestinien n’est plus une priorité en raison de la dynamique géopolitique changeante dans la région et au niveau mondial, et de l’émergence de nouvelles crises humanitaires, comme en Ukraine aujourd’hui »,

a-t-il dit.

Washington, qui fournit un tapis de 3,8 milliards de USD à Israël chaque année, a ventilé plus de 75 millions de USD de soutien vers l’Ukraine depuis l’invasion russe en février 2022, c’est-à-dire plus de la moitié de son aide militaire.

La plupart des États membres de l’OTAN et de l’Union européenne ont également fourni de substantiels paquets d’aide à l’Ukraine.

Des diplomates occidentaux ont expliqué à Haaretz que la guerre en Ukraine était « la principale raison des difficultés de financement », puisque les pays européens réduisaient leurs donations « afin de soutenir le gouvernement de Kiev tout en accroissant les dépenses de leur propre défense ».

Les diplomates ont également fait allusion au long processus politique au point mort et un responsable resté anonyme a même déclaré :

« En Israël, il y a un gouvernement qui ne veut rien faire autour de la question palestinienne, mais dès le moment où il y a une crise humanitaire, il nous adresse des envoyés afin de nous demander d’accroître notre soutien financier. »

Alors que ce pourrait être un grief valable, il est infirmé par le fait que les principaux donateurs occidentaux de l’UNRWA se refusent à exercer des pressions sur Israël afin qu’il mette un terme à ses violations des lois internationales et des droits palestiniens. Laisser les Palestiniens les plus vulnérables s’enfoncer dans les privations et le désespoir tout en garantissant que l’impunité d’Israël demeure intacte ne fait qu’accroître encore la complicité de ces États.

Dans le grand ordre des choses, a déclaré Lazzarini jeudi, l’UNRWA ne demande rien :

« Quand vous pensez que l’absence de 200 millions de USD peut inverser des décennies de succès et pourrait contribuer à créer plus d’instabilité encore dans une région déjà passablement volatile, il me semble que ce petit bout en plus, collectivement, c’est vraiment très, très peu. »

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 3 juin 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

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