Pourquoi défendre une Cour suprême qui a officialisé la discrimination ?

« Pourquoi devrais-je, en tant que Palestinien, défendre la Cour suprême ? Ces protestations constituent une lutte entre les élites juives qui combattent pour une démocratie qui ne sert qu’elles. »

Pourquoi défendre une Cour suprême qui a officialisé la discrimination ? Photo : Haïfa, le 18 juillet 2014 - Des policiers israéliens arrêtent des manifestants palestiniens arabes/israéliens et des militants anti-fascistes protestant contre l'attaque israélienne contre Gaza - Photo : ActiveStills.org

Haïfa, le 18 juillet 2014 – Des policiers israéliens arrêtent des manifestants palestiniens arabes/israéliens et des militants anti-fascistes protestant contre l’attaque israélienne contre Gaza – Photo : ActiveStills.org

 

 

Deiaa Haj Yahia, 11 août 2023 

Fin juillet, Shikma Bressler, l’une des meneuses des protestations contre les réformes judiciaires du gouvernement israélien de coalition, s’exprimait contre l’annulation des pouvoirs prétendument « raisonnables » de la cour suprême.

Elle prenait la peine de citer d’autres pays où, disait-elle, la démocratie était menacée par des coups d’État, comme la Hongrie, la Turquie, l’Iran et le Venezuela.

Aucun de ces pays, selon elle, n’est engagé dans une occupation militaire. Par conséquent, concluait-elle,

« l’occupation n’est pas la raison de notre situation ».

En d’autres termes, suggérait-elle sous les applaudissements frénétiques de milliers de manifestants, Israël pourrait être une très belle démocratie, même avec l’occupation.

De tels propos illustrent parfaitement pourquoi les citoyens palestiniens d’Israël sentent qu’ils n’ont que très peu à gagner dans des protestations qui prétendent concerner la démocratie mais qui, en réalité, n’ont rien à voir avec une démocratie pour tous, et encore moins pour les Palestiniens sous occupation militaire israélienne.

« Ces protestations sont supposées présenter un caractère de gauche et avoir un but égalitaire », déclare Ghassan Minyar, un activiste venu de Lydd et qui opère au sein de l’Alliance nationale démocratique, plus connue sous l’appellation de parti Balad.

« Mais il semble que le sionisme soit plus fort. »

 

Les mots de Shikma Bressler – un rejet des droits politiques et nationaux palestiniens – ne constituent pas une exception.

Très tôt dans les manifestations, les drapeaux palestiniens ont été écartés par la police et par d’autres protestataires juifs.

Les discours faisant allusion à l’occupation israélienne se sont souvent vu imposer le silence. Reem Hazan, du Front démocratique à Haïfa, connu également sous l’appellation de parti Hadash, a décidé de ne pas délivrer de discours au début des protestations après que les organisateurs lui ont demandé de modifier son contenu.

Son discours traitait entre autres de l’occupation et de la discrimination, en associant les amendements judiciaires à l’occupation. Reem Hazan déclara plus tard dans le journal Al-Ittihad que

« la censure de l’opinion politique était inhérente au fascisme et ne faisait par contre pas partie du combat contre ce même fascisme ».

 

Une histoire de persécution

« Il existe une énorme contradiction, dans les protestations », déclare Abdul Abu Shehada, un membre de la municipalité de Tel-Aviv-Jaffa.

« D’une part, les protestataires tentent de les présenter comme ayant un caractère libéral, de gauche, alors que, en vérité, elles ne répondent même pas aux normes les plus élémentaires de la pensée libérale. »

L’activiste de la jeunesse et membre de Baladna, Marah Amara, 24 ans, originaire de Kafr Kanna, près de Nazareth, explique que les préjugés à l’égard des citoyens palestiniens sont implantés depuis très longtemps dans la société israélienne.

« Israël portait atteinte aux droits de la communauté palestinienne bien avant ces protestations. Je ne ressens pas de menace supplémentaire [de la part des réformes judiciaires] parce que le racisme et la discrimination sont déjà enracinés dans tous les partis. Je ne ressens pas que ces protestations s’adressent à moi ni ne concernent mes droits. »

Et de poursuivre :

« Pourquoi les Israéliens juifs s’attendraient-ils à ce que les citoyens palestiniens se joignent à leurs protestations ? »

« La société juive israélienne ne participe pas aux protestations concernant nos problèmes fondamentaux, comme les droits et les délits des prisonniers. Nous ne voyons pas d’Israéliens juifs protester contre l’adoption de la loi raciste sur la nationalité. Quand les Palestiniens souffrent, il est facile de nous ignorer et tous ceux qui ignorent les droits humains des minorités ignoreront en fin de compte les droits humains en général. »

Avec la participation des soldats, des hommes politiques et des « élites », déclare Amir Bwerat, 26 ans, originaire du village d’Arraba, dans le nord, les protestations ne s’adressent pas à nous ni n’accueillent favorablement les citoyens palestiniens.

« Quand ils viennent nous demander de nous joindre à eux, nous leur disons : ‘Vous vous souvenez de nous, maintenant ? Où étiez-vous quand ils ont adopté la loi sur la nationalité ?’ »

Amir Bwerat, qui travaille avec des jeunes dans des communautés défavorisées, met le doigt sur des décennies de sous-financement des communautés palestiniennes en Israël, un sous-financement qui en a amené bon nombre à opter pour une existence délictueuse.

Et cette situation ne fait qu’empirer. Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances, a annoncé mardi qu’il allait geler tous les fonds destinés aux communautés palestiniennes et à Jérusalem-Est.

« On ne peut parler de démocratie quand le sang coule dans les rues, que des armes sont librement disponibles, que l’on ne cesse de démolir des maisons et que l’on détruit les infrastructures des villes arabes. Nous n’en sommes pas arrivés à un stade où nous pouvons exiger la démocratie : nous ne disposons même pas de nos droits les plus élémentaires. »

 

Ce n’est pas notre révolution

Amir Bwerat explique que le retrait forcé des drapeaux palestiniens constituait le signal le plus clair que ces protestations n’étaient pas pour les Palestiniens et ne les concernaient d’aucune façon.

« Le fait de voir des protestataires tenter de faire disparaître le drapeau palestinien lors de diverses manifestations m’a automatiquement poussé à refuser d’y participer. Baisser le drapeau qui représente ma patrie et mon peuple équivaut à me refuser tous mes droits. »

La coalition d’ultradroite derrière le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahou n’a pas non plus incité les citoyens palestiniens à se présenter nombreux.

Selon Ghassan Minyar, c’est parce qu’aucune des préoccupations de la population palestinienne d’Israël ne figure dans aucune des protestations.

« On n’attache aucune importance, dans l’agenda, à la nécessité de mettre un terme à l’occupation. Il n’y a pas d’appels à abolir les lois racistes adoptées ces dernières années, comme la Loi Kaminitz, qui accélère les démolitions de maisons dans les villes arabes ou la loi de la Nation-État, alors qu’il reste interdit aux familles palestiniennes de se réunifier. »

« Dans tout cela, pourquoi devrais-je, en tant que Palestinien, défendre la Cour suprême ? N’est-ce pas elle qui a légalisé les calamités contre notre peuple à Khan al-Ahmar et al-Araqib ? Pour moi, ces protestations constituent une lutte entre les élites juives d’ethnicité blanche, qui combattent pour une démocratie qui ne sert qu’elles. »

La participation de ce qui se prétend la gauche israélienne n’influence pas l’opinion non plus. Haya Suleima, 40 ans, de Nazareth, dit qu’elle n’a jamais « cru dans les intentions de la gauche israélienne ». La prétendue coalition de l’unité qui a réuni Yair Lapid et Naftali Bennett, la coalition qui a précédé l’actuelle coalition de Netanyahou, n’a rien fait pour les Palestiniens, fait-elle remarquer.

Toutes les variantes de gouvernements israéliens, poursuit l’activiste communautaire, ont négligé les communautés palestiniennes en Israël et les amendements judiciaires proposés ne changeront rien pour les citoyens palestiniens.

Détail plus important, dit-elle, les protestations sont dirigées par des soldats d’élite, dans bien des cas, les prétendus « frères et sœurs en armes ».

« Comment pouvons-nous, en tant que Palestiniens, nous positionner épaule contre épaule avec des gens accusés de crimes de guerre ? Ceci n’est pas notre révolution ! »

 

*****

Deiaa Haj Yahia est un journaliste palestinien vivant à Taybeh.

*****

Publié le 11 août 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...