Les balles d’Israël laissent des blessures inguérissables

35 000 Palestiniens ont été blessées au cours de la Grande Marche du Retour à Gaza. Parmi les blessés, près de 8 000 l’avaient été avec des munitions réelles.

 

Les balles d’Israël laissent des blessures inguérissables : À cause d’une infection bactérienne tenace dans ce qui reste de la jambe de Muhammad Hussein, il est impossible de lui adapter la moindre prothèse.

À cause d’une infection bactérienne tenace dans ce qui reste de la jambe de Muhammad Hussein, il est impossible de lui adapter la moindre prothèse. (Photo : Abdallah al-Naami / The Electronic Intifada)

 

Abdallah al-Naami, 24 août 2023

Plus de cinq ans ont passé depuis qu’un sniper israélien a touché Muhammad Hussein au genou.

Le 11 mai 2018, Muhammad Hussein participait à la Grande Marche du Retour à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Chaque vendredi, depuis mars 2018, des milliers de Palestiniens se rassemblaient à la frontière avec Israël. Les protestataires cherchaient à revendiquer leur droit au retour sur leur terre, qui leur avait été ravie de force par l’occupation israélienne lors de la Nakba de 1948.

Muhammad Hussein filmait la marche dans le cadre d’un projet universitaire.

C’est à ce moment qu’un sniper israélien avait abattu un homme juste sous les yeux de Muhammad.

Il s’était retrouvé en état de choc, quelques secondes à peine avant d’être abattu à son tour.

Il s’était écroulé sous la douleur. La blessure s’était mise à saigner abondamment, et Muhammad avait perdu connaissance au moment même où les paramédicaux s’occupaient de lui. Il avait été emmené directement à la salle des urgences de l’Hôpital européen de Gaza, à Khan Younis, où il devait subir une opération qui allait durer huit heures.

Après l’opération, Muhammad avait gardé son optimisme et ce, malgré la douleur persistante.

« Je pensais que j’étais guéri de la blessure et que je serais bientôt capable de marcher à nouveau »

dit-il.

Après quinze jours à l’hôpital, les docteurs avaient découvert de l’inflammation et de la gangrène autour de la plaie et ils avaient donc décidé d’amputer la jambe de Muhammad au-dessus du genou.

Dans les premiers instants, Muhammad et sa famille avaient été si choqués qu’ils avaient refusé l’opération.

Mais c’était la seule option.

Le lendemain de l’amputation, Muhammad « fêtait » son 20e anniversaire.

« Je ne parviens pas à oublier ce que j’ai ressenti ce jour-là. J’étais censé passer une journée festive avec mes amis et ma famille »,

dit-il.

« Au lieu de cela, l’occupation israélienne l’avait transformée en une journée de douleur et de chagrin. »

 

Des infections incessantes

L’OCHA, l’organisation de contrôle de l’ONU, estime que plus de 35 000 personnes avaient été blessées au cours de ces manifestations, qui s’étaient déroulées de mars 2018 à novembre 2019. Parmi les blessés, près de 8 000 l’avaient été avec des munitions réelles.

Médecins Sans Frontières (MSF) a qualifié ces blessures par balle de « dévastatrices » et « d’une sévérité inhabituelle », tout en faisant remarquer que les médecins avaient noté

« un niveau extrême de destruction des os et des tissus mous ainsi que des sorties de projectile très larges pouvant atteindre la taille d’un poing ».

Deux semaines environ après l’amputation, Muhammad s’était mis à ressentir une intense douleur dans les parages de sa blessure. À l’hôpital, les médecins découvraient une infection bactérienne et effectuaient une opération d’urgence en vue de la contrôler.

Le Dr Fadel Naim, un orthopédiste consultant de Gaza, avait déclaré qu’en raison du blocus israélien, Gaza ne disposait pas de l’équipement nécessaire pour diagnostiquer les infections bactériennes.

Cet équipement de laboratoire permet de détecter et de déterminer les types de bactéries, si bien que les médecins peuvent prescrire les antibiotiques nécessaires. Sans cet équipement, les infections ne peuvent qu’empirer.

Plus d’un millier de Palestiniens de Gaza ont souffert d’infections bactériennes suite à leurs blessures par balle, estime MSF, et nombre de ces infections résistent aux antibiotiques ordinaires.

Selon le Dr Naim, de nombreuses infections ne réagissent à aucun des antibiotiques disponibles dans la bande de Gaza et, en dernier recours, il avait fallu recourir à l’amputation pour faire cesser la propagation des infections.

Mais, dans bien des cas, même l’amputation n’avait pas suffi.


Des blessures qui ne guériront pas

En cinq ans, Muhammad a subi trois amputations, mais aucune n’est parvenue à faire cesser l’infection. Aujourd’hui, il ne reste que quelques centimètres de sa jambe et l’infection continue toujours de s’étendre.

« Les médecins m’ont dit que si l’infection atteignait l’articulation pelvienne, elle pourrait constituer une menace vitale »,

a ajouté Muhammad.

En 2019, il avait demandé un permis de déplacement afin de pouvoir aller se faire soigner dans des hôpitaux, tant à Jérusalem qu’en Cisjordanie, mais les autorités israéliennes avaient rejeté sa requête.

« Après chaque opération que j’ai subie, j’avais l’espoir que ma plaie guérirait et que les souffrances de mes blessures seraient enfin terminées »,

dit-il.

« Chaque fois, j’ai été déçu et anéanti. »

 

Les balles d’Israël laissent des blessures inguérissables : Khamis Fojo a subi 18 opérations et huit amputations après qu’un sniper israélien l’a touché au-dessus du genou en juillet 2018.

Khamis Fojo a subi 18 opérations et huit amputations après qu’un sniper israélien l’a touché au-dessus du genou en juillet 2018. (Photo : Abdallah al-Naami / The Electronic Intifada)

 

Khamis Fojo, 33 ans, a éprouvé un même sentiment d’anéantissement depuis qu’un sniper israélien lui a tiré dessus le 27 juillet 2018, lors de la Grande Marche du Retour.

Il se trouvait à plus d’un kilomètre de la clôture frontalière quand il avait été touché au-dessus du genou. La balle avait provoqué une sévère hémorragie interne et Khamis Fojo s’était retrouvé dans le coma pendant deux semaines à l’Hôpital européen de Gaza.

« La dernière chose dont je me souvienne avant d’avoir perdu conscience est le son d’une balle »,

dit-il.

« On aurait dit une explosion. »

« J’ai cru que j’allais mourir. »

En raison de la gravité de sa blessure, les médecins avaient amputé la jambe de Khamis.

Six mois après l’amputation, il avait développé une fièvre et ressenti une douleur intense dans la jambe. Une infection bactérienne s’était développée.

Des antibiotiques n’avaient pas suffi pour faire cesser l’infection et la chirurgie était donc la seule option. Au cours des cinq dernières années, Khamis Fojo a subi 18 interventions chirurgicales, dont huit amputations.

« Malgré toutes ces opérations, ma blessure n’a cessé d’empirer et d’être plus douloureuse »,

dit Khamis, qui vit à Rafah avec sa femme et leurs quatre enfants.

« Je vis toujours dans la douleur chaque jour qui passe, particulièrement la nuit »,

poursuit-il.

Récemment, Khamis a cessé de prendre des antidouleurs : ils ne sont plus efficaces du tout.

Les autorités israéliennes ont refusé de lui accorder un permis de déplacement pour aller subir un traitement en Cisjordanie ou à Jérusalem. Une demande d’entrée en Égypte lui a été refusée plus de dix fois également jusqu’au moment où, en 2022 et 2023, il a enfin reçu l’autorisation de s’y rendre.

« Les médecins égyptiens ont été choqués de voir l’état déplorable de ma blessure »,

dit-il.

« Ils m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un cas comme le mien auparavant et que les armes qui avaient provoqué ma blessure devraient être interdites sur le plan international. »

 

Le tribut mental

Avant sa blessure, Khamis Fojo était un homme actif mais, aujourd’hui, il est soumis à des crises d’anxiété et il se met rapidement en colère. Il est rare qu’il quitte sa maison.

Muhammad Hussein a connu des accès dépressifs similaires.

« Il m’était difficile d’accepter mon handicap et ma blessure qui ne cessait d’empirer. Je n’arrivais pas à faire face à cette situation »,

dit-il.

Cela ne l’a pas empêché de décrocher un diplôme en multimédias à l’Université technique palestinienne de Deir al-Balah, en 2021. Et, finalement, il a repris l’haltérophilie et l’entraînement physique, mais ce sont des activités auxquelles il ne peut se livrer très régulièrement.

Du fait que son infection se répand partout dans ce qui reste de sa jambe, il doit prévoir des interruptions pour des interventions chirurgicales et des périodes de repos.

En 2021, Muhammad a entrepris les démarches nécessaires pour se faire adapter une jambe artificielle à l’hôpital Hamad de réhabilitation et de prothétique de Gaza. Mais les nerfs de la jambe blessée provoquent toujours des contractures involontaires, surtout pendant la nuit, un moment chaque fois effrayant, pour Muhammad.

En raison des bactéries s’étendant aux os et de la douleur constante, il n’a pas été possible de lui adapter une prothèse.

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Abdallah al-Naami est journaliste et photographe. Il vit à Gaza.

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Publié le 24 août 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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