Pourquoi les EU et Israël vendent-ils plus d’armes encore au négationniste Abbas ?

 

Ramallah, Cisjordanie occupée, 28 août 2023. Mahmoud Abbas préside une rencontre des chefs des forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne, alliées à Israël et entraînées et armées par l’Occident. (Photo : Thaer Ganaim / APA images)

Ramallah, Cisjordanie occupée, 28 août 2023. Mahmoud Abbas préside une rencontre des chefs des forces sécuritaires de l’Autorité palestinienne, alliées à Israël et entraînées et armées par l’Occident. (Photo : Thaer Ganaim / APA images)

 

Ali Abunimah, 12 septembre 2023

 

Cette dernière semaine, il y a eu toute une tempête de critiques instiguées par Israël et son lobby contre Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, à propos de remarques qu’il avait faites pour innocenter fallacieusement l’antisémitisme des régimes chrétiens européens qui avaient assassiné des millions de Juifs européens au cours de l’Holocauste.

« Ils disent qu’Hitler a tué les juifs parce qu’ils étaient juifs et que l’Europe haïssait les juifs parce qu’ils étaient juifs »,

avait déclaré Abbas dans un discours dont la vidéo avait été diffusée par l’organisation de propagande israélienne MEMRI.

« Non », avait affirmé Abbas, ajoutant que les juifs avaient été persécutés en raison de « leur rôle social qui avait trait à l’usure, à l’argent, etc. ».

C’était l’ambassadeur israélien aux Nations unies, Gilad Erdan, qui avait mené la charge contre Abbas.

« Voilà le vrai visage de la direction de l’Autorité palestinienne », avait fulminé Erdan.

« Le monde doit s’éveiller et demander des comptes à Abbas et son Autorité palestinienne pour la haine qu’ils crachent et pour le bain de sang que cette haine déclenche ensuite »,

avait exigé le diplomate israélien.

« Il faut qu’il y ait une tolérance zéro contre les incitations et le terrorisme des Palestiniens. »

Un déluge de condamnations allait suivre – trop volumineux pour en citer davantage qu’un échantillon – de la part de gens comme Ritchie Torres, un membre démocrate du Congrès américain, ou comme Jonathan Greenblatt, le chef du lobby pro-israélien qu’est la Ligue Anti-Diffamation.

Deborah Lipstadt, l’envoyée spéciale du gouvernement américain contre l’antisémitisme, a fustigé Abbas pour ses « remarques antisémites haineuses » et pour avoir tenu un discours qui « calomniait le peuple juif » et « déformait l’Holocauste ».

 

Un grand nombre de responsables du gouvernement américain se sont fait l’écho de Lipstadt, y compris son ambassadrice aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield et son « envoyé sur les questions de l’Holocauste », Ellen Germain.

Pour ne pas être en reste, l’Union européenne et sa coordinatrice contre l’antisémitisme, Katharina von Schnurbein, ont rejoint le chœur :

 

Et la maire de Paris, Anne Hidalgo, furieuse, a décoché une lettre à Abbas dans laquelle elle accusait le chef de l’AP

« de justifier l’extermination des juifs d’Europe au cours de la 2e GM par un désir manifeste de nier le génocide ».

En guise de punition, elle retirait à Abbas la médaille que la capitale française lui avait décernée en 2015.


Un remake

Les gens qui ne sont guère attentifs pourraient n’avoir pas remarqué que cette dernière tempête d’indignation n’est qu’un nouveau et énième remake d’un show de très longue haleine.

C’est une mascarade qui sert à promouvoir la fiction prétendant qu’Israël et Mahmoud Abbas sont des ennemis, alors qu’en réalité, ils sont les plus proches des alliés à tous égards.

En 2018, par exemple, Abbas avait fait des commentaires presque identiques à ceux qui ont déclenché la tempête de feu de cette semaine.

À l’époque, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait dénoncé le « fiel éhonté » du « discours antisémite » d’Abbas.

« Apparemment, le négationniste de l’Holocauste est toujours resté négationniste », a dit Netanyahou d’Abbas.

 

On pourrait penser, par conséquent, que si la moindre de ces critiques indignées était de bonne foi, les États-Unis, l’UE et en particulier le seul « État juif » autoproclamé du monde allaient refuser toutes transactions avec une personnalité aussi odieuse débitant des points de vue aussi dégoûtants.

Mais c’est loin d’être le cas.

Depuis des décennies et jusqu’à ce jour, Abbas ne cesse de bénéficier du soutien total des États-Unis, d’Israël et des gouvernements européens, bien qu’il soit massivement rejeté par les Palestiniens eux-mêmes.

 

Armer Abbas

Mardi, les médias israéliens et palestiniens rapportaient que les États-Unis, avec l’approbation d’Israël, avait une fois de plus transféré des armes vers l’Autorité palestinienne afin de lutter contre la résistance palestinienne – qu’Israël et ses sponsors qualifient de « terroriste ».

« L’Autorité palestinienne, dit-on, a reçu tout un envoi de véhicules blindés et d’armes des États-Unis, du fait que l’administration Biden et Israël cherchent à aider Ramallah à recouvrer le contrôle sur les zones de la Cisjordanie qui sont devenues des foyers de l’activité terroriste »,

a rapporté The Times of Israel.

« Citant des sources palestiniennes bien informées, le quotidien palestinien Al Quds, installé à Jérusalem, a déclaré lundi que l’envoi avait été facilité par la Jordanie et qu’il allait être utilisé par plusieurs branches des forces sécuritaires de l’AP »,

a ajouté The Times of Israel.

« Il convient de remarquer que l’envoi a été approuvé par le gouvernement intransigeant du Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui comprend des représentants ayant longtemps critiqué le transfert d’armes vers l’AP. »

Cette semaine également, le gouvernement hollandais, un autre allié fidèle d’Israël, a envoyé son ministre de la Défense à Ramallah dans un show de soutien aux « forces de sécurité » entraînées par les EU et contrôlées par Abbas.

 

Ce ne sont que les toutes dernières démarches entreprises par l’Occident et Israël pour remettre Abbas bien en selle, Abbas sur qui ils s’appuient complètement en tant qu’exécuteur autochtone à leur botte contre la lutte de libération du peuple palestinien.

 

« Elle se charge du boulot à notre place »

Pas plus tard qu’en juillet, Netanyahou affirmait :

« Nous avons besoin de l’Autorité palestinienne. Nous ne pouvons tolérer qu’elle s’effondre. »

« Là où elle rencontre le succès dans ses opérations, elle se charge du boulot à notre place »,

a ajouté le dirigeant israélien, promettant même une aide financière israélienne si c’était ce qu’il fallait pour maintenir à flot le régime collaborationniste d’Abbas.

En effet, Israël s’est tellement de maintenir Abbas et sa clique au pouvoir qu’en 2021, il a envoyé le chef de sa police secrète, le Shin Bet, à Ramallah pour ordonner à Abbas d’annuler les élections législatives prévues par l’Autorité palestinienne et dont Israël craignait que la faction du Fatah d’Abbas n’aille les perdre en faveur du Hamas.

Abbas, naturellement, avait obtempéré.

Voici la vérité : Netanyahou et les autres dirigeants israéliens et sionistes depuis l’aube du mouvement sioniste, n’ont jamais eu le moindre scrupule à travailler en collaboration étroite avec des gens qu’ils considéraient comme antisémites, voire avec des nazis, pour autant que cela s’inscrivait dans leur but de conquête de la Palestine et de vol de ses terres à son peuple autochtone.

En même temps qu’ils tolèrent les nazis et les antisémites, Israël et ses alliés transforment cyniquement en armes les accusations d’antisémitisme afin de réduire au silence et de calomnier les partisans des droits palestiniens dont la solidarité est pourtant profondément enracinée dans un antiracisme bien réel.

 

 

Dès sa création – sous l’égide des accords d’Oslo qui ont été signés il y a trente ans cette semaine – l’Autorité palestinienne a été pensée, armée et financée en vue d’opérer, non pas au nom du peuple palestinien, mais bien dans le but de protéger et de défendre l’occupant et ses hordes de colons.

Ce rôle collaborationniste, Abbas en personne l’a publiquement décrit comme « sacré » et il continue à l’assumer avec une énergie intacte.


La « lettre ouverte » palestinienne

C’est dans ce contexte qu’a été mise en circulation une « lettre ouverte », signée par près des 200 Palestiniens, dont certains sont des activistes et des universitaires bien connus qui se joignent au chœur du lobby pro-israélien pour condamner les commentaires offensants d’Abbas.

 

Dans cette lettre, les signataires

« condamnent sans équivoque les commentaires moralement et politiquement répréhensibles du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à propos de l’Holocauste ».

Ils accusent l’AP de

« gouvernance de plus en plus autoritaire et draconienne qui impacte hors de toutes proportions les gens vivant sous l’occupation »

– comme si l’AP n’avait pas été créée précisément pour cette tâche, dans laquelle elle excelle depuis que le prédécesseur d’Abbas, le chef de l’OLP Yasser Arafat, est entré à Gaza en 1994.

Cette année-là, ses forces de sécurité s’étaient mises à recourir à la torture léthale, à arrêter des membres de la résistance et, dès le début, au cours d’un incident horrible, elles avaient massacré 13 Palestiniens qui protestaient contre le pouvoir d’Arafat.

Pourtant, les signataires de la lettre ouverte décrivent avant tout les actes inacceptables de l’AP comme un échec assez récent de l’autogouvernance palestinienne.

C’est peut-être en raison de ce discours implicitement auto-accusateur que de nombreux partisans fidèles d’Israël, dont le gouvernement allemand – l’un des ennemis les plus implacables de la liberté et de l’autodétermination des Palestiniens – se sont sentis absolument à l’aise pour promouvoir la lettre ouverte palestinienne.

 

La lettre ouverte concède qu’Abbas est « soutenu par les forces occidentales et pro-israéliennes qui cherchent à perpétuer l’apartheid israélien »  et elle déclare que lui et son entourage « ont galvaudé leur droit à représenter le peuple palestinien ».

Le problème, toutefois, c’est qu’Abbas, même quand il a été élu pour un mandat de cinq ans qui, officiellement, a expiré en 2009, ne représentait pas le peuple palestinien, mais un petit nombre de personnes qui ont voté pour lui en Cisjordanie et à Gaza, avec une population combinée de compromission d’environ un tiers du peuple palestinien – sauf qu’il s’agit du seul tiers auquel Israël et ses sponsors occidentaux font allusion en tant que « peuple palestinien » tout entier.

Le fait que bon nombre de signataires sont des Palestiniens de la diaspora qu’Abbas ne prétend même pas représenter, rend d’autant plus étrange le fait que ces mêmes signataires considèrent que tout le monde s’imagine qu’Abbas les représente tous.

Le plus frappant, c’est que la lettre ouverte ne dit absolument pas que la première fonction de l’AP est et a toujours été de combattre par les armes, la prison, la torture et l’assassinat la résistance légitime du peuple palestinien.

Certains de ceux qui ont signé la lettre – et pour qui j’éprouve le plus grand respect – ont été constants au fil des années en condamnant la collaboration de l’AP avec l’occupant et en défendant le droit à la résistance du peuple palestinien.

Mais d’autres, il convient de le dire, sont restés extrêmement muets, sinon tout à fait silencieux, à propos des crimes et de la trahison d’Abbas et de l’AP envers le peuple palestinien et sa résistance.

D’autres ont par moments attaqué la résistance au beau milieu de combats existentiels profondément et largement soutenus par le peuple palestinien.

Ceci soulève la question de savoir pourquoi le moindre Palestinien devrait lancer ou soutenir une lettre contre Abbas parce que ce dernier vexe les sensibilités des libéraux occidentaux et des sionistes, mais pas en raison de ses crimes en cours contre le peuple palestinien et sa résistance, crimes qu’on ne peut décrire correctement que comme une trahison.

 

Qui devrait présenter ses excuses ?

De plus, si les Palestiniens présentent effectivement leurs excuses pour Abbas – même si la chose revient à une condamnation – cela implique qu’ils assument ses responsabilités à sa place.

L’écrivain palestinien Ramzy Baroud décrit Abbas comme un « collaborateur » et « une marionnette aux mains d’Israël » et des États-Unis.

 

« En condamnant Mahmoud Abbas sans proposer un contexte politique correct de la personne de Mahmoud Abbas, et sans dire qui sont les maîtres de la marionnette Abbas, vous agissez réellement en défaveur du peuple palestinien »,

dit Baroud dans une réponse à la lettre.

« Vous nous placez une fois de plus en position défensive, comme si, une fois encore, vous devions nous défendre contre des accusations d’antisémitisme. Mahmoud Abbas ne représente pas les Palestiniens. »

Baroud d’ajouter :

« Ce serait plutôt aux maîtres de la marionnette Abbas de devoir s’excuser, et non aux Palestiniens. »

 

En effet, parmi les nombreux sionistes fervents qui ont critiqué Abbas cette semaine, figurait l’ambassadeur d’Allemagne à Tel-Aviv, Steffen Seibert.

Seibert a éreinté les commentaires d’Abbas comme une « insulte à la mémoire » des millions de juifs assassinés par le gouvernement allemand et il a affirmé que

« les Palestiniens mérit[ai]ent d’entendre la vérité historique de la bouche même de leur chef ».

 

Mais l’insistance de Seibert quand il dit qu’Abbas est le chef des Palestiniens est aussi mensongère que tout ce qu’Abbas a pu dire.

Abbas n’est pas plus le « chef » des Palestiniens que les dirigeants fantoches installés par les nazis en Norvège, aux Pays-Bas, en France et dans d’autres pays occupés par l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale n’étaient les « chefs » légitimes de ces nations.

Abbas est largement perçu parmi les Palestiniens comme le quisling de l’Occident et d’Israël, et non comme le dirigeant des Palestiniens.

Et, en tant que tels, les Palestiniens n’ont absolument aucune responsabilité dans ses propos ou ses actes.

 

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 12 septembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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