L’Allemagne interdit l’expression de son deuil en public et la solidarité avec la Palestine

La criminalisation par l’Allemagne de la solidarité avec la Palestine revêt de toutes nouvelles dimensions, depuis le 7 octobre.

Allemagne : À Berlin, des manifestants descendent dans la rue en solidarité avec la Palestine

À Berlin, des manifestants descendent dans la rue en solidarité avec la Palestine. (Photo : Montecruz Foto)

C’est en Allemagne que vit la plus importante communauté palestinienne d’Europe, en gros, 80 000 Palestiniens. Depuis des années, les autorités allemandes tendent d’étouffer dans tout le pays l’activisme palestinien, qui est perçu comme une nuisance à l’encontre de leur politique explicite de « soutien inconditionnel à Israël ». Les manifestations, telle celle d’un peu plus tôt cette année, qui marquait le 75e anniversaire de la Nakba, ont été sporadiquement interdites ces dernières années et les organisations comme le Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, se retrouvent de plus en plus dans le collimateur.

Mais la criminalisation de la solidarité avec la Palestine à un niveau national revêt des dimensions toutes nouvelles, depuis le 7 octobre. Après une petite manifestation à la très animée Sonnenallee de Berlin, le soir du 7 octobre, les médias et le corps politique allemands se sont mis sur le pied de guerre contre les Palestiniens qui, prétend-on, célèbrent le terrorisme et l’antisémitisme dans les rues de l’Allemagne.

Des points de discussion qui, voici quinze jours à peine, n’étaient soulevés que par les politicards de l’AfD (d’extrême droite) sortent ouvertement, aujourd’hui, de la bouche d’hommes politiques de tous les partis représentés au parlement allemand. Jouant avec l’idée d’un « antisémitisme importé », le chancelier Olaf Scholz prétend aujourd’hui que « nous devons en fin de compte expulser à grande échelle » les résidents qui ne sont pas titulaires de la citoyenneté allemande et qui protestent ouvertement contre Israël. Les chrétiens démocrates de la CDU demandent même que la reconnaissance du droit d’Israël à l’existence soit une condition préalable à l’obtention de la citoyenneté allemande.

Samidoun est devenu l’ennemi public numéro un, du fait que les médias présentent l’organisation comme un bastion de « sympathisants du terrorisme », lequel constitue « un danger particulier parce que, en tant qu’organisation laïque, il bâtit des ponts entre les islamistes et les gauchistes radicaux ». Dans un discours prononcé devant le parlement le 12 octobre, le chancelier Scholz a annoncé personnellement une interdiction de Samidoun en même temps qu’une interdiction des activités du Hamas en Allemagne.

En particulier à Berlin, où vit l’une des plus importantes communautés de la diaspora palestinienne en dehors du monde arabe, les autorités se sont montrées particulièrement hostiles envers le moindre signe de solidarité avec la Palestine. Depuis le 7 octobre, toute manifestation faisant explicitement ou implicitement allusion à la Palestine est interdite, ce qui ne laisse aux quelque 30 000 Palestiniens vivant à Berlin aucune possibilité d’exprimer leur angoisse à propos du siège et des bombardements imposés à Gaza.

Les organisations de solidarité ont tenté de contourner cette censure en évitant les déclarations politiques et en se concentrant sur les campagnes humanitaires, mais même des manifestations et des slogans comme « les enfants de Gaza ont besoin d’aide » ou « solidarité avec la population civile de la bande de Gaza » ont été interdites. Le 13 octobre, la police est allée jusqu’à interdire une manifestation enregistrée par l’organisation « Voix juive pour une juste paix au Moyen-Orient » sous l’intitulé « Les Juifs berlinois contre la violence au Moyen-Orient ».

La Sonnenallee, une rue animée du district où vivent de nombreux migrants arabes, est devenue un point focal de dissension contre l’attaque de Gaza par Israël. La police organise des patrouilles dans la Sonnenallee chaque soir et procède à des contrôles sévères sur les places publiques. Le profilage racial et les arrestations musclées sont monnaie courante et sont souvent enregistrées et diffusées par les médias sociaux. Une vidéo en particulier montre des policiers en train de piétiner une veillée aux chandelles à coups de bottes.

Dans une lettre adressée à toutes les écoles de Berlin, le département de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Famille de la ville a défini des directives strictes sur la façon de discuter de la situation en Palestine avec les étudiants et les écoliers.

« Toute action démonstrative ou expression d’opinion qui pourrait être perçue comme promouvant ou approuvant les attaques contre Israël ou comme un soutien à des organisations terroristes se livrant à ces dernières, tels le Hamas ou le Hezbollah, constitue une menace à la paix scolaire, dans la situation actuelle, et est de ce fait interdite. »

Selon la lettre, cela peut inclure ce qui suit :

« le port visible de vêtements en rapport (par exemple, le keffieh ou écharpe palestinienne), le fait d’exhiber des autocollants et des écussons portant des inscriptions comme ‘Free Palestine !’, ou une carte d’Israël aux couleurs de la Palestine (rouge, noir, blanc, vert), le fait de crier ‘Free Palestine !’ et de manifester un soutien verbal au Hamas et à son terrorisme. »

Dans une école supérieure de la Sonnenallee, un professeur de 61 ans a tenté de confisquer un drapeau palestinien à un écolier de 14 ans et cela s’est terminé par une altercation physique avec un second écolier de 15 ans. L’association des parents de l’école a tenté d’organiser une manifestation sous le slogan « Pas de place pour le racisme, pas de place pour la violence » en réaction à l’incident, mais elle a promptement été interdite par la police, manifestement en guise de « mesure de précaution ». Depuis, le Conseil central des Palestiniens en Allemagne a adressé une lettre de réponse au département berlinois de l’Éducation, dans laquelle il exprimait « sa profonde inquiétude à propos du développement psychologique et éducationnel [de leurs enfants] » dans les écoles berlinoises.

Alors que d’autres États européens assistent à des protestations massives en solidarité avec la Palestine, l’État allemand, lui, n’a été capable que de recourir à la force et à la violence pour empêcher de telles scènes dans les rues allemandes. Pourtant, il est peu probable que le gouvernement soit à même d’interdire indéfiniment ces sentiments de solidarité, surtout quand les images de l’attaque brutale d’Israël contre Gaza continuent à faire le tour du monde.

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Publié le 23 octobre 2023 sur Peoples Dispatch
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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