Le procès du génocide contre Israël s’ouvre à la Cour internationale de justice
Les yeux du monde entier seront braqués sur La Haye, ce jeudi matin, quand débuteront les audiences de la Cour internationale de justice dans le procès pour génocide intenté contre Israël par l’Afrique du Sud.
Ali Abunimah, 11 janvier 2024
Les deux jours de l’audience historique devront décider si la cour va imposer des « mesures provisoires » – comme « ordonner un cessez-le-feu » – tout en considérant l’affaire entière, ce qui pourrait prendre des années.
Mercredi, Michael Lynk a pris la parole dans l’émission en direct de The Electronic Intifada afin de fournir un contexte et une analyse de ce à quoi on doit s’attendre à ce stade initial du procès. Vous pouvez voir son interview dans la vidéo ci-dessous.
Lynk, professeur de droit à la Western University de London, dans l’Ontario, a été rapporteur spécial de l’ONU pour les droits humains dans les territoires palestiniens occupés entre 2016 et 2022.
Comment regarder
Débutant à 9 h GMT, l’audience sera diffusée en direct et, à la demande, en anglais et en français, sur le site de la CIJ et sur UN Web TV.
Jeudi, les avocats de l’Afrique du Sud présenteront leur dossier pendant trois heures. Vendredi, les représentants d’Israël disposeront du même laps de temps pour leurs réfutations.
L’audience sera également diffusée en direct sur YouTube et vous pouvez regarder l’enregistrement à tout moment.
Vidéo : L’Afrique du Sud présente son dossier contre Israël à la Cour Internationale de Justice. (SABC News sur YouTube)
Qu’est-ce que la Cour internationale de justice ?
La Cour internationale de justice est le principal corps judiciaire des Nations unies et ses racines remontent à plus d’un siècle. La CIJ tranche généralement dans des disputes entre États et elle peut également émettre des avis consultatifs à la requête de l’Assemblée générale de l’ONU.
Il ne faut pas confondre la CIJ et la Cour pénale internationale (CPI), qui siège également à La Haye. Créée en 2002, la CPI traite des affaires criminelles contre des individus, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
La CPI a subi des critiques croissantes pour son inaction au sujet de la Palestine et c’est la raison pour laquelle bien des gens espèrent que la CIJ s’avérera un forum plus solide et plus impartial en faveur de la justice.
L’Afrique du Sud invoque la Convention sur le génocide
Invoquant la Convention de 1948 sur le génocide, l’Afrique du Sud a introduit sa demande à la CIJ en décembre, concernant l’agression israélienne contre Gaza qui a suivi l’offensive du 7 octobre des organisations de résistance palestiniennes contre les bases militaires et colonies israéliennes.
La plainte de l’Afrique du Sud dit que les actions d’Israël
« sont de caractère génocidaire parce qu’elles sont destinées à provoquer la destruction d’une partie substantielle du groupe national, racial et ethnique palestinien »
dans la bande de Gaza.
La politique d’Israël comprend :
« Tuer des Palestiniens à Gaza, leur causer de graves préjudices physiques et mentaux, leur infliger des conditions de vie calculées en vue de provoquer leur destruction physique »,
comme le dit la plainte sud-africaine.
« Les actes sont tous attribuables à Israël, qui n’a rien fait pour empêcher le génocide et qui commet un génocide en violation manifeste de la Convention sur le génocide »,
ajoute la plainte.
Elle prétend qu’Israël viole également la convention en
« ne faisant rien pour empêcher ou punir l’incitation directe et publique au génocide par d’importants dirigeants israéliens et autres ».
De même qu’elle décrit en détail l’horrible tribut israélien en tués et actes de destruction délibérés à Gaza, la plainte de l’Afrique du Sud comprend de nombreuses pages de déclarations par des dirigeants israéliens et officiers de l’armée manifestement clairement leurs intentions génocidaires.
« Ces déclarations d’intention – lorsqu’elles sont combinées avec le niveau de tuerie, de mutilation, de déportation et de destruction sur le terrain, ainsi qu’avec le siège – sont la preuve d’un génocide en cours et qui se poursuit »,
affirme l’Afrique du Sud.
Les questions clés
Voici un résumé de certaines des questions clés que nous avons discutées avec Michael Lynk.
Quelles sont les « mesures provisoires » demandées par l’Afrique du Sud ?
Les mesures provisoires consistent en une ordonnance d’urgence en vue de geler la situation, en attendant l’issue de l’affaire, ce qui pourrait prendre des années. C’est similaire à une ordonnance ou injonction de la cour dans un tribunal national.
L’Afrique du Sud demande à la cour de
« ordonner à Israël de cesser de tuer et de causer de graves préjudices mentaux et physiques aux Palestiniens à Gaza, de cesser d’infliger délibérément des conditions de vie calculées pour provoquer leur destruction physique en tant que groupe »
et autres mesures, ainsi que d’empêcher et punir toute incitation au génocide.
En novembre 2019, par exemple, la Gambie a introduit un dossier de génocide contre le Myanmar à propos de ses crimes contre le peuple rohingya. En janvier 2020, la CIJ a ordonné des mesures provisoires semblables à celles que demande l’Afrique du Sud contre Israël.
Qui sont les juges ?
La cour est constituée de 15 juges de pays différents élus pour des mandats de neuf ans par la Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU. En outre, l’Afrique du Sud et Israël peuvent désigner chacun un juge supplémentaire.
La cour agira-t-elle honnêtement ou en s’appuyant sur des considérations politiques ?
Alors que les considérations d’ordre politique ne peuvent jamais être exclues, Michael Lynk explique qu’il y a tout lieu d’être
« optimiste et de s’attendre que la cour tranche tels des juges impartiaux, en s’appuyant sur la loi et sur les faits qui lui sont confrontés ».
Il fait remarquer que la CIJ – bien qu’avec un autre panel de juges – avait sorti un avis consultatif historique, en 2004, en décidant que le Mur d’Israël et autres pratiques en Cisjordanie occupée étaient illégales.
Il fait également remarquer que, pour l’instant, la cour étudie un autre avis consultatif sur la question de savoir si l’occupation militaire prolongée de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza, est illégale.
En 2019, la cour a sorti un avis consultatif disant que le Royaume-Uni occupait illégalement l’archipel des Chagos, dans l’océan Indien, dont les Britanniques ont expulsé les habitants autochtones afin que les EU puissent utiliser leur terre comme base militaire. La cour a estimé que le Royaume-Uni
« a l’obligation de mettre un terme le plus rapidement possible à son administration de l’archipel des Chagos »
et de le restituer à [l’île] Maurice.
Ces décisions, affirme Lynk, constituent de bonnes raisons de croire que la cour peut prendre son mandat au sérieux.
La décision de la cour peut-elle être appliquée ?
Il n’existe pas de force indépendance de police internationale qui pourrait faire appliquer les décisions de la CIJ, même si elles sont juridiquement contraignantes. Mais une décision contre Israël peut avoir des répercussions internationales sérieuses, pour Israël.
« Les lois internationales ne libéreront pas la Palestine »,
fait remarquer Lynk.
« Finalement, ce devra être une tâche politique de la société civile internationale qui poussera la communauté internationale à œuvrer avec les Palestiniens qui combattent l’occupation et le déni de leurs droits ».
Il ajoute toutefois que les lois internationales,
« combinées avec la détermination internationale »,
peuvent être un outil très important, parce que,
« pour un pays chargé d’une présomption de génocide, même admise provisoirement par une cour importante comme la CIJ, cela pourrait provoquer de grands dégâts politiques ».
Le dossier de l’Afrique du Sud est-il solide ?
« C’est un dossier extraordinaire de défense juridique que celui qu’ont constitué les juristes opérant pour l’Afrique du Sud »,
affirme Lynk à propos des 84 pages de la plainte de l’Afrique du Sud.
« C’est le meilleur document isolé qui soit disponible à propos de ce qu’a fait Israël ces trois derniers mois et il est accessible aux personnes qui ne sont pas des juristes »,
ajoute Lynk.
« C’est un document extraordinaire. Et la cour va devoir le prendre au sérieux. »
C’est une opinion partagée par d’autres observateurs. Le spécialiste en sciences politiques de l’Université de Chicago, John Mearsheimer, par exemple, écrit que la plainte constitue
« une superbe description de ce que fait Israël à Gaza. Elle est complète, rédigée avec savoir-faire, bien argumentée et très documentée ».
Comment Israël va-t-il se défendre ?
Israël affiche souvent dédain et mépris à l’égard des décisions internationales, avec son habitude de violer les résolutions de l’ONU.
Mais il s’avère qu’il prend le dossier à la CIJ très au sérieux, comme le prouve sa décision de désigner Aharon Barak, l’ancien président de sa cour suprême, pour le représenter à La Haye.
Lynk s’attend qu’Israël essaie de prétendre que l’offensive du 7 octobre par la résistance palestinienne était
« une catastrophe pour les droits humains »
et qu’il montre des photos et des vidéos à la CIJ pour tenter de faire passer le fait que sa réponse à de telles prétendues atrocités était l’autodéfense et qu’elle était justifiée par les lois internationales.
Il dit que ce sera un « défi de taille » pour Israël de prouver que ses actions ne sont pas génocidaires et que ce ne sont même pas des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.
La CIJ peut-elle imposer des obligations à d’autres pays, par exemple, en leur commandant de ne pas fournir d’armes à Israël ?
Qu’il s’agisse ou pas de quelque chose de la compétence de la cour, la demande de l’Afrique du Sud n’a pas introduit cette requête.
Mais Lynk fait remarquer que si la CIJ décrète des mesures provisoires fortes et décide qu’Israël a contre lui un dossier plausible auquel répondre de génocide,
« cela exercera des pressions accrues sur ces pays qui soutiennent Israël, que ce soit diplomatique ou, de façon plus importante, militairement, pour être à même d’examiner la chose et d’y repenser ».
Une décision favorable pourrait également encourager le procès juridique intenté aux États-Unis par les Palestino-Américains et les organisations palestiniennes des droits humains contre le président Joe Biden et d’autres membres de son administration pour leur rôle dans le génocide perpétré par Israël.
Que pourrait faire la cour après ces audiences ?
La cour pourrait refuser complètement d‘imposer des mesures provisoires. Ou elle pourrait aussi abonder dans le sens des demandes de l’Afrique du Sud.
La troisième option, déclare Lynk, c’est que la cour pourrait essayer de jouer dans les deux camps en
« acceptant une partie ou la totalité de ce qu’a dit l’Afrique du Sud, mais en adressant aussi une ordonnance contre le Hamas et d’autres organisations armées palestiniennes, leur disant qu’elles ne devraient pas commettre de génocide ».
« Ce sera soit la deux soit la trois, je présume »,
dit Lynk.
« Et je dis cela en tant que juriste qui tente de lire et de comprendre comment cette cour s’y prend pour concrétiser sa pensée. »
Vidéo : Que doit-on attendre de l’audience de la Cour internationale de Justice contre le génocide israélien ? (EI sur YouTube)
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
Publié le 11 janvier 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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