À La Haye, l’Allemagne sera le prochain pays à affronter les accusations de génocide à Gaza

Les 8 et 9 avril, la Cour internationale de justice (CIJ) va de nouveau organiser des audiences à propos du génocide israélien à Gaza. Cette fois, les juges de La Haye prêteront l’oreille aux arguments du procès intenté par le Nicaragua à l’Allemagne.

 

Le chancelier Olaf Scholz, à droite, croit que le soutien inconditionnel à Israël, au moment même où ce dernier perpètre un génocide à Gaza, constitue une expiation pour l'extermination des Juifs européens perpétrée par Adolf Hitler, son prédécesseur à la direction de l'Allemagne nazie à l'époque de la Seconde guerre mondiale.

Le chancelier Olaf Scholz, à droite, croit que le soutien inconditionnel à Israël, au moment même où ce dernier perpètre un génocide à Gaza, constitue une expiation pour l’extermination des Juifs européens perpétrée par Adolf Hitler, son prédécesseur à la direction de l’Allemagne nazie à l’époque de la Seconde guerre mondiale. (Photo : Kay Nietfeld / Picture-Alliance/DPA)

 

Ali Abunimah, 25 mars 2024

Le pays d’Amérique centrale accuse Berlin de violer ses obligations dans le cadre de la Convention de 1948 sur le génocide et d’autres « principes intransgressibles du droit international humanitaire », dont la Quatrième Convention de Genève.

Le Nicaragua affirme que chaque partie de la Convention sur le Génocide a le devoir de « mettre tout en oeuvre pour empêcher la perpétration de génocide » et que, depuis octobre 2023, il existe

« un risque reconnu de génocide contre le peuple palestinien, et, avant tout, contre la population de la bande de Gaza ».

En envoyant de grandes quantités d’équipement militaire en Israël et en cessant de financer l’UNRWA, l’agence de l’ONU qui fournit le soutien humanitaire essentiel à la population de Gaza, l’Allemagne, accuse le Nicaragua,

« facilite la perpétration d’un génocide et, quoi qu’il en soit, a failli à son obligation de mettre tout en œuvre pour empêcher cette perpétration ».

Selon les médias financés par le gouvernement allemand, Berlin « est l’un des principaux exportateurs d’armes vers Israël », en compagnie des États-Unis.

L’Allemagne est le deuxième principal donateur de l’UNRWA, derrière les États-Unis.

Le Nicaragua demande à la cour de décréter des mesures provisoires immédiates ordonnant à l’Allemagne de mettre un terme à sa « participation au génocide plausible en cours et à ses infractions graves envers les lois internationales humanitaires » dans la bande de Gaza.

Ceci comprendrait la suspension de l’aide militaire à Israël et la garantie que les armes allemandes déjà livrées ne seront pas utilisées pour commettre un génocide. Le Nicaragua a également demandé à la cour de requérir que l’Allemagne respecte les lois internationales humanitaires et qu’elle se remette à financer l’UNRWA.

Les auditions viendront après que la CIJ, en janvier, a ordonné à Israël de mettre un terme à tous ses actes potentiellement génocidaires – y compris tout homicide à l’encontre des Palestiniens – en attendant qu’elle examine le dossier de génocide présenté par l’Afrique du Sud contre Israël.

Jusqu’à présent, il n’y a eu que peu de réaction de la part du gouvernement allemand, si ce n’est qu’une agence financée par le gouvernement allemand et qui se propose de promouvoir la « liberté » et les « droits humains » dans le monde, a publié un article diffamant le Nicaragua et l’accusant d’essayer de détourner l’attention de ses propres violations supposées des droits humains.

Cela ressemble très fort à la tactique israélienne bien connue consistant à calomnier l’Afrique du Sud et toutes les autres sources de critique, plutôt que d’aborder la substance de ces critiques.


Pourquoi l’Allemagne ?

Comme le fait remarquer le Nicaragua dans ce qu’il a soumis à la cour, les dirigeants allemands affirment régulièrement que la « sécurité » d’Israël est l’une de leurs principales préoccupations.

Le 12 octobre, Olaf Scholz, le chancelier allemand, déclarait au Bundestag, au moment où les bombardements sauvages et indiscriminés et le siège total contre Gaza battaient déjà leur plein :

« En ce moment, il n’y a qu’une place pour l’Allemagne : aux côtés d’Israël. C’est ce que nous voulons dire quand nous déclarons que la sécurité d’Israël est une sécurité d’État allemande. »

C’est un sentiment que Scholz, à l’instar des dirigeants allemands qui l’ont précédé, répète en permanence.

De façon hypocrite et perverse, les élites allemandes justifient ce soutien inconditionnel à une colonie de peuplement d’apartheid génocidaire comme une expiation de l’holocauste contre les juifs perpétré par Adolf Hitler, le prédécesseur de Scholz à la tête de l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale.

En même temps, les autorités allemandes répriment brutalement toute dissension ou presque à l’égard de leur politique de soutien inconditionnel à Israël.

Une telle répression est nécessaire, dans l’optique des dirigeants allemands, parce que la campagne vengeresse d’Israël, soutenue par Berlin, d’extermination et de destruction de Gaza, est rejetée par une écrasante majorité du public allemand.

 

L’incapacité totale de l’Allemagne à cesser de perpétrer ou d’aider des génocides indique clairement pourquoi le Nicaragua chercherait à lui demander des comptes devant la cour internationale.

Mais l’Allemagne n’est pas le seul pays qui contribue à l’effort d’Israël en vue d’assassiner les Palestiniens via des bombardements et une famine délibérément provoquée.

Quid des États-Unis ? Malheureusement, aucun pays ne peut construire un dossier semblable contre les États-Unis. Bien que Washington ait ratifié la Convention sur le Génocide, il s’est retiré de la disposition établissant la Cour internationale de justice comme forum destiné à résoudre les différents concernant les accusations de génocide.

 

Pourquoi le Nicaragua ?

Le Nicaragua insiste sur l’obligation pour tous les États de soutenir la Convention sur le Génocide et les lois internationales comme motivations afin de porter plainte contre l’Allemagne.

Le mouvement de libération sandiniste au pouvoir entretient depuis longtemps des liens de solidarité et de lutte avec les Palestiniens, puisque ces liens remontent aux années 1960.

En même temps, Israël a armé et soutenu la dictature sauvage de Somoza, soutenue par Washington, que les sandinistes ont renversée en 1979, précisément au moment où Tel- Aviv armait et entraînait d’autres régimes clients des États-Unis en Amérique centrale, les aidant ainsi à commettre des atrocités, dont un génocide au Guatemala.

Le Nicaragua a lui aussi sa propre histoire avec la CIJ. Dans les années 1980, le Nicaragua a entraîné les États-Unis devant la CIJ, à propos du soutien militaire de Washington aux contre-révolutionnaires de droite, les Contras. Le tribunal avait soutenu les allégations du Nicaragua
.

Le Nicaragua a-t-il effrayé le Canada au point que celui-ci a gelé ses nouvelles ventes d’armes ?

En février, suite à la décision de la CIJ d’imposer des mesures provisoires dans le dossier de l’Afrique du Sud contre Israël, le Nicaragua a adressé des notes diplomatiques à quatre pays – l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Canada

« afin de mettre immédiatement un terme à la livraison d’armes, de munitions, de technologie et/ou de pièces détachées à Israël, puisqu’il est concevable qu’elles aient pu être utilisées pour faciliter ou commettre des violations de la Convention sur le Génocide ».

Il s’agissait en effet de mises en garde juridiques : Par la suite, le Nicaragua cita sa note diplomatique adressée à l’Allemagne dans sa plainte à la CIJ en établissant qu’un litige existait entre les deux pays et que, de ce fait, le cas était admissible conformément aux réglementations de la cour internationale.

Ainsi donc, le Nicaragua pourrait toujours présenter des dossiers contre les trois autres pays. Il peut également considérer que la valeur symbolique de l’accusation contre Berlin d’aider le génocide est suffisante.

Toutefois, il est possible que l’action du Nicaragua contre l’Allemagne ait l’effet souhaité sur l’un des autres pays au moins, à savoir le Canada.

Plus tôt ce mois-ci – exactement une semaine après que le Nicaragua avait introduit sa plainte contre l’Allemagne –, le Canada annonçait qu’il reprenait le financement de l’UNRWA, qu’il avait suspendu dans le sillage des allégations non fondées d’Israël contre le personnel de l’agence.

Le Canada, la Suède, l’Australie, l’Islande et la Finlande sont jusqu’à présent les seuls pays à avoir restauré leur financement de l’UNRWA, parmi les dix-huit pays, États-Unis en tête, qui avaient suspendu leurs contributions.

Et, la semaine dernière, le Canada annonçait qu’il n’avait pas sorti de nouvelles licences d’exportation d’armes pour Israël depuis le 8 janvier et qu’un gel resterait d’application tant que le Canada ne serait pas certain qu’Israël utilise ces armes en conformité avec les lois canadiennes.

Ceci s’est passé après que le parlement canadien a adopté à une grande majorité une résolution non contraignante demandant au gouvernement de « mettre un terme à l’autorisation et au transfert d’exportations d’armes vers Israël ».

L’annonce d’Ottawa vient en même temps qu’une mise en garde disant que les licences accordées avant le 8 janvier ne seront pas annulées – une mesure que les activistes dénoncent avec véhémence comme un effort en vue de limiter l’effet de la décision.

Ils continuent à insister en faveur d’un embargo total sur tous les transferts d’armes vers Israël.

 

Canadian foreign minister says country will stop arms sales to Israel

 

En dépit de ces réserves importantes, l’annonce d’Ottawa avait quelque chose de capital, surtout pour un membre de l’OTAN et un proche allié d’Israël et des États-Unis.

La réaction furieuse de Tel-Aviv suggère qu’Israël est embarrassé de ce qu’Ottawa a créé un précédent et que d’autres pays vont suivre son exemple, ou que le Canada lui-même pourrait imposer des restrictions plus sévères encore.

Alors que le gouvernement libéral du Premier ministre Justin Trudeau pourrait avoir réagi à une indignation intérieure prolongée en raison de son soutien au génocide commis par Israël, il ne peut être exclu que la plainte introduite par le Nicaragua contre l’Allemagne a également fait réfléchir du côté d’Ottawa.

Bien que se faisant passer pour un havre multiculturel et un champion des droits humains, le Canada a bien dû reconnaître – quoique à contrecœur et tardivement – d’avoir commis un génocide contre son peuple autochtone.

Les dirigeants canadiens peuvent espérer qu’un léger retour en arrière dans leur soutien à Israël leur épargnera l’embarras de se retrouver au banc des accusés de la cour internationale aux côtés d’Israël et de l’Allemagne.

 

Le dossier du Nicaragua a-t-il de solides bases juridiques ?

Certains experts mettent en garde : Le dossier du Nicaragua pourrait être confronté à un obstacle majeur – un principe juridique appelé la règle indispensable de la tierce partie.

En termes simples, cette règle interdit à la cour d’auditionner des cas où les juges auraient à trancher dans une question affectant les droits d’un État qui ne serait pas une partie dans cette affaire. Dans l’affaire du Nicaragua contre l’Allemagne, la tierce partie absente serait Israël.

« La question décisive est celle-ci : ‘La cour peut-elle statuer sur les allégations contre l’Allemagne sans devoir d’abord statuer sur les violations supposées des lois internationales par Israël ?’,

se demande Stefan Talmon, professeur de droit international et directeur de l’Institut de législation publique internationale à l’Université de Bonn, en Allemagne.

« Selon moi, c’est impossible, parce qu’un État ne peut être tenu responsable d’avoir manqué à ses obligations d’empêcher un génocide ou de ne pas être complice d’un génocide, que si un génocide était en fait commis par un autre État. »

Selon Stefan Talmon, vu que la cour doit encore examiner si Israël a bel et bien commis un génocide dans l’affaire opposant l’Afrique du Sud et Israël – un procès qui pourrait prendre des années – le dossier du Nicaragua contre l’Allemagne n’a que peu de chance de succès.

Mais cette estimation est contestée par d’autres experts. Marco Longobardo, un professeur de droit international à l’Université de Westminster au Royaume-Uni, fait remarquer que le Nicaragua a introduit son dossier contre l’Allemagne non seulement dans le cadre de la Convention sur le génocide, mais aussi selon d’autres dispositions des lois internationales humanitaires, dont la Quatrième Convention de Genève.

Attirant l’attention sur l’ordre récent d’un tribunal de La Haye enjoignant au gouvernement allemand de cesser de livrer à Israël des pièces détachées pour ses avions de combat F-35, Marco Longobardo fait remarquer que

« le devoir de garantir le respect [des lois internationales humanitaires] apparaît quand un État est conscient qu’un autre État commet de graves violations des [lois internationales humanitaires] (…) ou quand il existe un risque manifeste que ce pourrait être le cas ».

Marco Longobardo prétend qu’afin d’estimer que l’Allemagne est coupable de ne pas respecter ses obligations envers les lois internationales humanitaires, il suffit de montrer que l’Allemagne était consciente qu’il existait un risque manifeste de violation par Israël sans que les juges aient besoin de déterminer définitivement si Israël avait en fait commis de telles violations.

D’autres experts juridiques ont pesé sur le débat et il y a des arguments disant que même si l’indispensable règle de la tierce partie s’appliquait, elle n’entrerait pas nécessairement en jeu au premier stade, quand la cour ne prend ses décisions que concernant la demande du Nicaragua de mesures provisoires ordonnant à l’Allemagne de cesser de contribuer aux crimes de guerre d’Israël.

 

Selon Susan Akram, directrice de l’International Human Rights Clinic (Clinique internationale des droits humains) à la faculté de droit de l’Université de Boston, « la jurisprudence n’a pas été établie » quant à savoir si, et à quel point, la règle indispensable de la tierce partie pourrait entrer en jeu.

Susan Akram a expliqué à The Electronic Intifada qu’à son avis,

« puisque ceci constitue la phase des mesures provisoires, la CIJ peut estimer qu’en matière de recevabilité, elle peut aller de l’avant et déterminer si l’Allemagne est provisoirement complice d’actes génocidaires, commis ou non, sans qu’il soit nécessaire d’inclure Israël comme tierce partie ».

« La cour n’a pas à estimer qu’un génocide est commis mais, que si l’Allemagne livre des armes à un État qui pourrait s’engager dans des actes génocidaires, elle est au moins provisoirement complice et viole ses propres obligations d’empêcher des actes génocidaires »,

a expliqué Susan Akram.

Les différents avis font ressortir que la loi dans ce domaine n’a pas été établie et, de ce fait, il est malaisé de prédire ce que la cour pourrait faire. L’Allemagne est susceptible de prétendre que la règle indispensable de la tierce partie s’applique et que l’affaire devrait être rejetée.

La soumission écrite du Nicaragua n’aborde pas directement le problème, de sorte qu’il reste à voir si son équipe juridique va le soulever de façon préemptive lors des prochaines plaidoiries.

L’essentiel, c’est que les juges ont beaucoup de marge. Mais s’ils ne sont pas à l’aise quant à devoir décider si l’Allemagne est responsable – du moins en partie – d’un autre génocide encore, ils pourrait invoquer cette règle en guise de solution de facilité.

 

La conférence de Berlin sur la Palestine va-t-elle être interdite ?

Même si les juristes du gouvernement allemand se préparent à défendre leur position à La Haye, la répression de Berlin contre les partisans des droits palestiniens continue à s’intensifier.

La semaine dernière, la presse proberlinoise a eu un accès de panique à propos d’une conférence prévue en avril et organisée par une coalition d’associations citoyennes dont des organisations palestiniennes et juives allemandes.

 

Au nombre des orateurs invités figurent la juriste palestino-allemande Nadija Samour qui, récemment, a introduit auprès des procureurs nationaux une plainte pour génocide contre les dirigeants allemands ; Ghassan Abu Sitta, le chirurgien palestino-britannique récemment rentré de Gaza ; les activistes antisionistes israéliens et juifs Dror Dayan, Yuval Gal et Shir Hever ; et plusieurs journalistes palestiniens, dont Hebh Jamal ; l’ancien ministre grec des finances et politicien de gauche Yanis Varoufakis ; et, pour finir, l’auteur du présent article.

Les médias allemands calomnient tout ce rassemblement d’antisémite, d’extrémiste et de « sommet de la haine ».

Cela a suscité des appels à l’interdiction de la conférence, ce que, paraît-il, les autorités allemandes envisagent. Les médias allemands ont également spéculé que les autorités pourraient émettre des interdictions d’entrée aux orateurs internationaux, y compris, une fois encore, l’auteur du présent article.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

Publié le 25 mars 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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