Charleroi : hommage à Walid Daqqah

Samedi 13 avril, des membres de la Plateforme Charleroi-Palestine, affiliée à Samidoun, réseau international de soutien au prisonniers palestiniens, organisaient un hommage à Walid Daqqah, tout en popularisant le combat pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, et en mobilisant pour l’arrêt du génocide à Gaza.

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

Walid Daqqah est un révolutionnaire palestinien, écrivain renommé, détenu depuis 1986 dans les prisons sionistes et assassiné en détention le 7 avril 2024 par l’état colonial après une vie de résistance.

Georges Ibrahim Abdallah est un communiste libanais qui a rejoint la résistance palestinienne, et qui est toujours enfermé injustement en France et ce depuis 1984, alors qu’il est libérable depuis 1999. Il est plus que jamais nécessaire de continuer le combat pour sa libération.

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

En hommage à Walid Daqqah, plusieurs personnes ont lu au micro une de ses nouvelles de, “Mon oncle, donne-moi une cigarette”,  dont le texte a été distribué au stand.

 

 

« Mon oncle, donne-moi une cigarette »

 

C’est le matin et j’entends le tintement de deux jeux de menottes au moment où le gardien de la prison s’approche de nous. Il les jette par terre, les faisant tinter sur le sol en béton, et une impression de calme s’installe dans la pièce. Il y a là un paquet de menottes pour entraver les mains, et un autre, avec des chaînes plus longues, pour entraver les jambes. Huit paires de menottes de chaque sorte, pour sept prisonniers.

Je me tiens avec les autres au milieu d’une petite cour, entourée de cellules de détention, et j’essaie de m’appuyer contre le mur. Je suis las d’être transféré d’une prison à l’autre depuis que nous avons entamé cette grève de la faim ouverte. Je rassemble mon énergie et j’essaie d’inspirer le plus d’air possible en préparation d’un trajet qui va durer des heures à l’intérieur d’une boîte en fer qui, par cette chaleur, va rapidement se transformer en une fournaise insupportable.

Une fois qu’il a fini de nous entraver, le garde prend la direction du véhicule censé transporter les prisonniers. Puis j’entends une voix émanant de la cellule derrière moi…

« Mon oncle, donne-moi une cigarette. » Je jette un coup d’œil dans l’obscurité de la cellule mais ne puis voir personne et, pendant un instant, je pense que je délire. Puis la voix sort de nouveau de la cellule, cette fois plus forte, plus désespérée. « Mon oncle, mon oncle, donne-moi une cigarette ! » Je regarde à nouveau dans la cellule et j’appelle la voix.

« Où es-tu ? »

« Je suis ici, tout en bas ! »

En me baissant, je regarde par la fente dans le bas de la porte, par où les prisonniers reçoivent leur nourriture et ont les mains entravées avant d’être sortis de la cellule, et je vois un enfant, qui n’a pas plus de douze ans. Un gosse qui demande une cigarette.

Je ne savais comment lui répondre. Devais-je lui donner une cigarette, me demandais-je, où devais-lui lui apprendre les dangers de la cigarette de la façon dont les adultes le font avec les enfants en dehors de la prison ? Adultes, adultes…puis je suis frappé par le fait que je m’inclus dans cette catégorie. Par le fait qu’il m’a appelé « mon oncle ». Suis-je déjà si vieux ?

J’étais soudain effrayé d’être interpellé de cette façon. C’était la première fois, au cours de mes 26 années d’emprisonnement, que quelqu’un s’adressait à moi avec un tel écart dans les âges. En prison, nous n’avons pas l’habitude de nous adresser les uns aux autres de cette façon, en recourant à des titres honorifiques sociaux qui délimitent nos âges. Sans égard pour les différences d’âge qui peuvent exister entre nous, nous nous adressons mutuellement en disant « mon frère » ou « camarade » ou encore, plus récemment, « combattant ».

J’ai regardé l’enfant avec empathie pour sa forte envie d’une cigarette. Cette envie ne concerne pas le flux de nicotine, mais plutôt la connotation qui accompagne la cigarette. Effrayé, n’étant qu’un simple enfant dans l’univers très dur de la prison, il voulait devenir un homme très rapidement. En même temps, il y a maintenant mon désir de remonter le temps de façon à pouvoir redevenir moi-même un enfant, ou du moins un jeune homme, comme je l’étais quand je suis entré en prison voici plus d’un quart de siècle.

Tous deux nous avions peur. J’avais peur du temps qui s’était écoulé et il avait peur de celui qui ne s’était pas encore écoulé. J’avais peur du passé et il avait peur du futur. J’avais peur d’avoir vécu une vie qui s’était consumée en prison et il avait peur que la cigarette maintenant fixée entre ses lèvres ne puisse pas se consumer. La cigarette était devenue quelque chose d’autre après qu’il l’avait exhalée et c’est ainsi que, debout, dressé sur ses orteils, il apparaissait maintenant plus vieux que son âge. La lueur de la braise devenait une lanterne, dans sa main, repoussant la noirceur de la cellule et dissipant sa crainte et sa solitude.

Il ne fumait pas mais essayait de dissiper cette image d’un enfant qui restait si irrésistiblement accrochée à lui. Dans l’univers de la prison, face à la cruauté des gardiens, l’enfance est un fardeau. Sachant qu’il lui faudrait faire face à des années d’emprisonnement, il cherchait à se débarrasser de sa vulnérabilité et de son innocence, dont il n’avait manifestement plus que faire, puisque cela n’avait fait aucune différence aux yeux du juge qui l’avait condamné à quatre ans.

Le gardien revint pour nous, ramassa la huitième paire de menottes sur le sol en béton et hurla à l’adresse de l’enfant afin qu’il pousse ses mains dans la fente de la porte. Et l’enfant avança ses mains, en tenant toujours la cigarette entre ses doigts. Le gardien lui cria dessus pour qu’il lâche la cigarette puis marmonna en lui-même quelque chose en hébreu, en déplorant la vision d’un enfant en train de fumer. Du fait que les poignets de l’enfant étaient trop fins, toutefois, il dut s’y prendre à plusieurs reprises pour bien assurer les menottes et, finalement, décida de les utiliser pour entraver les jambes du garçon.

Quand on le sortit de la cellule, en attendant le transport, je le regardai et j’imaginai qu’il était mon propre fils, tel que le sort n’avait pas encore voulu le mettre au monde. Je voulais de toutes les fibres de mon être l’étreindre dans mes bras et, comme ces sentiments paternels me submergeaient tout entier, je ressentis un désir envahissant de pleurer. Mais je dissimulai mes sentiments. Je ne voulais pas briser l’image de l’homme qu’il voulait à présent devenir. Je marchai vers lui afin de lui serrer la main comme à un camarade, et à un rival, en lui demandant :

« Comment vas-tu, combattant ? »

 

 

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

Charleroi : hommage à Walid Daqqah

 

Au stand, des passants ont exprimé leur respect pour Walid Daqqah et Georges Abdallah, qui ont tous deux consacré leur vie à la résistance contre le sionisme.

 

 

 

 

 

 

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