Les invasions ne parviennent pas à briser l’esprit de résistance à Jabaliya
La résilience de Jabaliya hante l’armée israélienne. Elle peut se percevoir à la force de la culture de la lutte armée dans le camp. Elle peut se voir, aussi, dans le fait que la communauté retourne au camp, le reconstruit et reprend son existence en dépit des dévastations répétées infligées par l’armée israélienne.
Tamara Nassar, 3 juin 2024
Fin décembre 2023, soit environ deux mois après son invasion terrestre de la bande de Gaza, Israël déclarait qu’il s’était assuré un « contrôle opérationnel » quasi complet du nord de l’enclave côtière.
Les efforts en vue de conquérir le nord comprenaient une invasion du camp de réfugiés de Jabaliya. C’était la première de deux invasions de ce genre ; la seconde n’allait se terminer que fin mai.
La semaine dernière, les forces militaires israéliennes se retiraient de Jabaliya, une ville du nord de Gaza, après une opération de 20 jours qui laissait la zone et son camp de réfugiés, le plus grand des huit camps de la bande de Gaza, pratiquement méconnaissables.
Un peu plus tôt en mai, l’armée israélienne avait ordonné aux habitants de Jabaliya d’évacuer la zone.
Israël a prétendu que l’évacuation était nécessaire, de façon à pouvoir affronter les combattants des Brigades Qassam – l’aile armée du Hamas. Ces combattants étaient censés tenter de se rassembler de nouveau dans la zone quelques mois après l’invasion initiale.
La dernière invasion terrestre a été combinée à des bombardements aériens. Israël a exécuté 200 frappes aériennes dans la zone durant une période de moins de trois semaines.
« Il n’y a plus de camp de Jabaliya, il n’y a plus ni écoles ni hôpitaux, l’ampleur de la dévastation est si grande que nul ne peut l’imaginer et on ne compte plus les destructions »,
a dit une Palestinienne, Asma al-Masri à Al Jazeera. Elle était retournée au camp dans l’espoir de retrouver des vivres pour sa famille à Beit Hanoun, une autre zone du nord.
Le nord de Gaza a été la première cible de l’invasion terrestre d’Israël et est devenu l’épicentre d’une famine créée par Israël et les EU et qui a forcé les habitants à se rabattre sur des aliments pour animaux et sur la recherche de plantes sauvages pour subsister.
La directrice du Programme alimentaire mondiale a déclaré que « la famine battait son plein » dans le nord de Gaza.
La camp de réfugiés de Jabaliya avait déjà été dévasté par des bombardements israéliens dès les premiers moments du génocide israélien à Gaza, quand l’aviation israélienne avait effectué de multiples frappes massives contre le marché du camp, considéré comme l’une des zones les plus animées de l’enclave, ainsi que contre un bloc résidentiel, tuant ainsi des centaines de personnes.
Les dévastations provoquées par la seconde invasion de la zone par l’armée israélienne se sont multipliées. Quand les Palestiniens se sont mis à revenir, des témoins ont décrit des scènes de destruction : des tas de décombres d’immeubles démolis s’alignaient dans les rues, avec des corps en décomposition que l’on découvrait parmi les débris.
Les images par satellite prises durant la période du 17 avril au 24 mai montrent une très forte augmentation dans la destruction des immeubles résidentiels et de la végétation dans la zone.
Dans un rapport télévisé, Anas al-Sharif, un correspondant d’Al Jazeera à Jabaliya, décrit la dévastation par Israël du marché central du camp de réfugiés et relate en détail l’incendie et la destruction totale des magasins commerciaux.
« Ce marché constituait la ligne vitale des citoyens »,
dit-il, en déplorant l’absence de toute point de vente commercial restant.
La résistance
En janvier dernier, l’armée israélienne affirmait :
« Nous avons terminé le démantèlement du cadre militaire du Hamas dans le nord de la bande de Gaza. »
« En raison de l’élimination des commandants, il a été difficile pour les terroristes de combattre de façon organisée et cela a fait qu’un grand nombre d’entre eux se sont rendus »,
avait ajouté l’armée.
Mais la façon dont les combattants de la résistance palestinienne ont affronté les envahisseurs israéliens ne suggère en aucun cas une reddition.
Vidéo EI : Une résistance acharnée affronte la ré-invasion israélienne de Jabaliya. (en anglais)
Malgré les dévastations provoquées par l’armée israélienne, la résistance palestinienne a infligé des pertes aux soldats et aux véhicules militaires israéliens.
Les Brigades Qassam ont publié des vidéos montrant leurs combattants en train de recourir à toute une série de tactiques en vue de contrer l’empiétement de l’armée israélienne, en ciblant ses véhicules blindés et des soldats grâce à des tireurs embusqués, à des embuscades dans les tunnels, à des obus de mortier et autres. Les roquettes Yassin (105 antichar) – des clones d’engins soviétiques, mais fabriqués à Gaza – ont été abondamment utilisées par les combattants contre les véhicules militaires israéliens.
Quand les envahisseurs sont arrivés dans le camp, les Brigades Qassam ont lancé une attaque contre les transporteurs de troupes israéliens en utilisant des munitions lancées à partir d’un drone sans équipage.
Dans une vidéo diffusée par les Brigades Qassam, on voit un de ces engins se positionner juste au-dessus d’un transporteur de troupes israélien, révéler une zone hachurée sur son flanc avant gauche, là où doit frapper la munition de Qassam.
« Adnan al-Ghoul a lancé le programme des armes avec des grenades à main, parce que c’était la chose la plus simple à mettre dans la main de chaque combattant »,
a déclaré Jon Elmer, rédacteur contributeur de The Electronic Intifada, dans l’émission en direct de la 222e journée. Al-Ghoul était le fondateur de l’industrie de l’armement de Qassam et il a été assassiné en 2004.
« Si vous fabriquez vos propres grenades à main et que vous les donnez à vos combattants, c’est plus facile que d’avoir des fusils, à certains moments, et c’est ainsi que les grenades à main ont été les premières munitions de l’industrie de l’armement de Qassam »,
a ajouté Elmer.
Le paysage urbain très dense de Jabaliya et de son camp de réfugiés se reflète dans les opérations menées par les combattants de Qassam, comme on peut le voir dans les vidéos publiées par ses équipes médiatiques. Ces vidéos mettent en scène des combattants en train de manœuvrer dans des ruelles et des buildings, se positionnant pour tirer sur les chars à très courte distance.
Vidéo EI : Jabaliya se distingue comme centre de la résistance palestinienne aux envahisseurs.
Même quand l’armée israélienne occupait le terrain à Jabaliya, la résistance palestinienne parvenait à tirer ses roquettes en direction d’Israël.
« Ici, il s’agit de lancements à partir de Jabaliya, où opère toute une division de l’armée israélienne, et ils tirent quand même des roquettes »,
a expliqué Elmer.
« Les chars sont partout et ils voient les roquettes passer au-dessus de leurs têtes. Et c’est une opération psychologique. »
L’un des rapports les plus frappants émanant des Brigades Qassam sur la bataille de Jabaliya a été l’annonce par leur porte-parole Abu Obeida d’une opération qui avait impliqué la mort, les blessures et la capture de soldats israéliens.
Abu Obeida a déclaré que les combattants de Qassam avaient attiré une unité des envahisseurs dans un des tunnels du camp de réfugiés de Jabaliya.
Vidéo EI : La résistance annonce une opération de capture dans le tunnel du camp de Jabaliya.
« Ensuite, les combattants ont attaqué les renforts qui se sont précipités vers la scène à l’aide d’engins explosifs et ils les ont touchés directement »,
a déclaré Abu Obeida.
« Après quoi les combattants se sont retirés, non sans avoir fait sauter le tunnel utilisé dans cette opération »,
a-t-il ajouté.
Apparemment, les combattants de Qassam s’étaient également emparés de l’équipement militaire de l’unité.
Les Brigades Qassam ont diffusé une autre vidéo montrant une photo d’un soldat capturé. Le commentaire de la vidéo se demande si l’unité impliquée n’est pas une unité de mercenaires dont les autorités israéliennes n’ont pas révélé qu’elle opérait à Gaza.
« C’était la première fois depuis le 7 octobre qu’un soldat était capturé »,
a déclaré Elmer dans l’émission en direct de la 236e journée.
« Israël s’est battu durant toute cette guerre pour éviter que ses soldats soient capturés. C’est pourquoi ils ne sortent pas de leurs chars avant le tout dernier moment. Et c’est pourquoi vous ne voyez jamais des soldats à pied marcher à côté des chars qui couvrent le territoire. »
Entre-temps, durant la bataille de Jabaliya, des prises de vue diffusées par l’armée israélienne montrent trois combattants palestiniens positionnés sur le toit d’un immeuble à Jabaliya et qui se mettent à tirer à l’approche des forces israéliennes.
À un certain moment, dans la vidéo, l’un des combattants est touché et il tombe au sol en encourageant son camarade à reprendre son arme et à continuer de tirer. On rapporte que les travailleurs de la défense civile palestinienne ont dégagé les corps des trois combattants du toit après le retrait des forces israéliennes de la zone.
Des prises de vue d’Al Jazeera montrent les restes des véhicules de l’occupation israélienne qui ont été détruits par la résistance :
Jabaliya a une longue réputation en tant que centre de la résistance palestinienne, et cela remonte à la Première Intifada qui a débuté dans le camp en 1987 et s’est étendue au reste de la Palestine historique. Depuis lors, la ville et son camp sont restés un bastion de la résistance armée.
La résilience
Aujourd’hui, parmi les décombres de leurs maisons détruites, les Palestiniens reviennent au camp qu’ils ont évacué voici quelques semaines.
Ils dressent des tentes artisanales parmi les débris et font preuve de résilience en s’occupant des chats errants, ce qui illustre bien leur détermination à faire revivre leur communauté en dépit de toute cette dévastation.
Les prises de vue d’Al Jazeera montrent des Palestiniens qui retournent dans leurs maisons, qui s’efforcent de les nettoyer et de les réparer quelle que soit l’ampleur des dégâts occasionnés par l’invasion israélienne :
En évaluant les destruction, un Palestinien a exprimé toute sa détermination en s’adressant à Al Jazeera.
« Nous sommes bien décidés, ici »,
a-t-il expliqué à la chaîne dans tout ce contexte de destruction,
« et nous ne changerons pas d’intention. Nous ne quitterons pas cette terre. »
La résilience de Jabaliya hante l’armée israélienne.
La résilience peut se percevoir à la force de la culture de la lutte armée dans le camp.
Elle peut se voir, aussi, dans le fait que la communauté retourne au camp, le reconstruit et reprend son existence en dépit des dévastations répétées infligées par l’armée israélienne.
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Publié le 3 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine