Bruxelles Dévie : Où s’arrêtera la répression du mouvement Palestine à Bruxelles ?

Depuis quelques jours, la répression s’abat férocement sur le mouvement de solidarité avec la Palestine à Bruxelles. Nous avons recensé de nombreux cas de violences policières et de gestion illégale du maintien de l’ordre.

Vera Jager, étudiante à la VUB et victime de la répression, a eu l’orbite fracturée suite à une charge policière le 28 mai

Vera Jager, étudiante à la VUB et victime de la répression, a eu l’orbite fracturée suite à une charge policière le 28 mai (voir vidéo en bas de l’article)

 

Bruxelles Dévie, 2 juin 2024

A l’aide de témoignages, de vidéos et de notre présence sur le terrain, nous avons effectué une enquête sur les techniques utilisées par les forces de l’ordre depuis ce mardi 28 mai, date de la première manifestation devant l’ambassade d’Israël. Dans cet article, nous revenons sur le déroulé chronologique des faits qui témoigne de l’évolution rapide de la stratégie policière.

 

Mardi 28 mai : canon à eau, matraques et gaz sur une foule pacifique, une blessure grave

Ce mardi 28 mai, après plus de deux heures de rassemblement, la police a décidé de charger les manifestant·es à l’aide de canon à eau, de coups de matraque et de gaz lacrymogène. L’ordre de charger la manifestation a été donné par le bourgmestre d’Uccle, Boris Dillès (MR), alors que la foule était totalement pacifique.

A la suite des charges policières, deux personnes ont fini aux urgences, toutes deux touchées à l’œil. L’une d’entre elles, une étudiante de la VUB, a l’orbite fracturée. Elle souffre également de lésions internes au nez et aux deux yeux. Une opération d’urgence a eu lieu ce mercredi ; une suivante pourrait suivre la semaine prochaine. La seconde personne touchée à l’œil s’en est remise; elle reste néanmoins sous observation médicale. Toutes deux ont été touchées par le jet du canon à eau. Un manifestant a également été victime d’une brûlure au deuxième degré au visage, à cause du gaz lacrymogène.

Pour le reste, plusieurs personnes ont subi de larges hématomes, parfois de plusieurs dizaines de cm2 à cause du canon à eau. D’autres, se sont fait diagnostiquer des commotions cérébrales à la suite du choc et de l’intensité du canon à eau dans la tête. Soulignons que les forces de l’ordre peuvent choisir la puissance du jet d’eau ; elle semblait cette fois-ci poussée au maximum dès les premières charges, au vu des images que nous avons récoltées. Rappelons aussi que l’usage du mode « haute pression » est illégal en l’absence de violences manifestes et isolées. Le jet des canons à eau ne peut pas non plus viser la tête. L’intensité de la pression, la très faible distance entre les canons et les manifestant·es, ainsi que les visages touchés, sont autant d’éléments qui démontrent l’usage illégal et dangereux des canons à eau par les forces de l’ordre.

Enfin, concernant le 28 mai, la charge a été ordonnée illégalement. Le bourgmestre d’Uccle a avancé que la manifestation n’avait pas été autorisée. La Ligue des droits humains (LDH) et Amnesty International rappellent que malgré l’absence d’autorisation de la manifestation, les raisons ne sont pas suffisantes pour mettre fin à une manifestation, et encore moins par un dispositif aussi violent. Une plainte a été déposée contre le bourgmestre.

 

Mercredi 29 mai : une longue manifestation spontanée à travers Bruxelles, un traumatisme crânien, des manifestant⸱es giflé⸱es dans des fourgons

Lors de la deuxième manifestation, la police a empêché les manifestant·es de s’approcher de l’ambassade israélienne en bloquant les rues adjacentes. Un groupe de manifestant·es a tenté de forcer une ligne de police ; le groupe s’est fait asperger par le canon à eau à bout portant. Un œil a à nouveau été touché ; la manifestante a perdu la vue d’un œil durant trois jours, elle souffre d’un trouble oculaire qui lui a déformé la pupille. Elle a également subi une commotion cérébrale, un traumatisme crânien.

Quelques dizaines de minutes après ces heurts, un cortège spontané s’est formé et a traversé la ville jusqu’au quartier européen. A partir de l’avenue Louise, la police a chargé la manifestation par l’arrière à plusieurs reprises, en utilisant canon à eau et matraques. Le cortège s’est alors dispersé en plusieurs groupes. Dans la soirée, la police a traqué des manifestant·es aux alentours de la place du Luxembourg, notamment en arrêtant les bus de la STIB pour y vérifier la présence de militant·es. Un manifestant filmant une arrestation s’est fait casser son téléphone. Il a ensuite été traîné à l’intérieur du fourgon, où il a été violemment giflé à plusieurs reprises, et menacé de mort par un policier « s’il le voyait dans la manifestation du lendemain ». Plusieurs autres témoignages font état de violences similaires : des manifestant·es matraqué·es au sol, menacé⸱es, et frappé⸱es dans des fourgons après leur arrestation. La plupart ont été relaché·es directement après les coups. A nouveau, de larges hématomes ont été observés après ces nombreuses violences policières.

 

Jeudi 30 mai : contrôles en amont, du matériel confisqué

Le 30 mai, les forces de l’ordre semblaient mieux préparées. Une stratégie d’anticipation était mise en place avant même le début du rassemblement. Cette stratégie a continué les jours suivants. Plusieurs zones de contrôles étaient établies dans les alentours de l’ambassade. La police y fouillait principalement les sacs. Des masques, du sérum physiologique, des lunettes de piscine, des autocollants et des sprays de peinture ont été confisqués avant même le début du rassemblement.

 

Vendredi 31 mai : La police nasse et pourchasse les manifestant·es ; arrestations arbitraires et violences policières

Ce vendredi 31 mai, le rassemblement était déplacé à l’ambassade américaine, près du Parc Royal. Les forces de l’ordre y avaient préparé le dispositif policier le plus conséquent depuis le début du mouvement. De nombreux points de contrôle entouraient le lieu de rassemblement ; à nouveau, la police fouillait principalement les sacs. Des objets ont été confisqués, dont du sérum physiologique, qui est pourtant nécessaire pour soulager les douleurs du gaz lacrymogène, dispersé parfois aléatoirement sur la foule. Les forces de l’ordre avaient également déployé un drone muni de haut-parleurs pour s’adresser à la foule, la brigade canine et des autopompes. Le rassemblement s’est pourtant déroulé relativement sans heurts. Au bout de plusieurs heures, la police a cependant décidé de mettre en place une « nasse » (technique policière qui consiste à encercler un groupe de personnes ou une manifestation). La police a laissé partir des manifestant·es par petits groupes, tandis qu’au fur et à mesure, la nasse se resserrait sur les manifestant·es restant·es.

Les arrestations violentes ont alors commencé, provoquant de dangereux mouvements de foule dans les escaliers du métro. Comme nous l’avons documenté dans une vidéo précédente, des policiers ont d’ailleurs matraqué des manifestant·es inoffensif·ves en haut des escaliers descendant dans la station de métro Arts-Loi, alors même que cet escalier était bondé parce que les policiers avaient forcé les manifestant·es à s’y rendre. Plusieurs personnes sont tombées en arrière dans ces escaliers. Les forces de l’ordre ont également poussé des manifestant·es sur les quais pour les forcer à prendre le métro. A nouveau, cette situation, dans un moment de panique générale, aurait pu mener à ce que des militant·es tombent sur les voies.

Par la suite, les forces de l’ordre ont pourchassé des manifestant·es qui avaient déjà quitté le rassemblement dans le quartier de l’ambassade. Selon les témoignages, des policier·ères à vélo ont donné des coups à des manifestant·es qui rentraient simplement chez elleux. Nous avons aussi recensé plusieurs clés d’étranglement, dont au moins une qui a mené la personne arrêtée à avoir le visage qui virait au bleu. Des personnes qui filmaient se sont fait gazer et menacer. Au moins un manifestant s’est fait contrôler son identité dans un fourgon avant de se faire frapper et menacer. Au minimum 40 militant·es ont été arrêté·es ce jour-là, « pûrement à des fins d’identification », selon la police. Un fichage des manifestant·es semble donc être mis en œuvre par la police​​​​​​, alors même que ces personnes n’ont rien fait d’illégal. Des militant·es arrêté·es ont perdu la sensibilité dans leur poignet pendant plus de 24 h à cause des colsons d’arrestations serrés excessivement par la police.

 

Samedi 1er juin : filtrage et fouilles devant l’ambassade allemande

Ce samedi premier juin, un rendez-vous était donné devant l’ambassade allemande. La police bloquait complètement les accès au rassemblement pour procéder à un filtrage et à des fouilles presque systématiques. Au moins deux personnes se sont fait interpeller par la police, mais nous n’avons assisté à aucune arrestation.

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Sources : 

https://www.amnesty.nl/content/uploads/2024/03/Les-canons-a-eau.pdf?x90465

https://www.amnesty.be/infos/actualites/manif-ambassade-israel-bruxelles

https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/2024/05/31/guerre-israel-hamas-des-interpellations-lors-dune-manifestation-pro-palestinienne-a-bruxelles-4L6CKXS7LVE5NN7IJRQRNKMH6M/

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Publié le 2 juin 2024 sur Bruxelles Dévie

 

Témoignage recueilli par De Wereld Morgen.

 

Lisez également : Le retrait du statut de réfugié en raison de l’appartenance politique met en danger nos libertés civiles

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