« Partout, je les imagine avec moi »

La semaine dernière, je marchais à proximité du cimetière de Beit Lahiya quand j’ai vu une femme qui pleurait près d’une tombe. Je suis allée à elle et elle s’est présentée comme étant Nujoud al-Shish. La tombe était celle de ses deux filles, Jana, 10 ans, et Rana, 6 ans, a-t-elle ajouté.

 

Asil Almanssi, 19 juin 2024

 

Les fillettes ont été tuées le 17 novembre 2023, au moment où des chars israéliens ont tiré des obus sur l’école de Tal al-Rabia’, où la famille avait été déplacée.

L’école de Tal al-Rabia’ est l’une des écoles qui font partie du complexe de Tel al-Zaatar, à Beit Lahiya, et plus de 50 Palestiniens ont été tués, lors de cette attaque.

Nujoud m’a expliqué qu’un soir, ils dormaient dans une classe du 3e étage de l’école. Vers 10 heures, les chars de l’occupation s’étaient mis à tirer sur l’école. Au-dessus, il y avait également des avions qui larguaient des bombes.

Un obus a été tiré à l’intérieur de la classe et a blessé Nujoud et ses deux filles.

L’attaque israélienne en cours signifiait qu’elles ne pouvaient se rendre à l’hôpital avant l’aube. Elles ont perdu du sang toute la nuit et leurs corps étaient couverts de blessures et de brûlures provoquées par les éclats d’obus. La peau des bras et des mains de Nujoud avait fondu à la chaleur de ces éclats.

Jana et Rana avaient toutes deux de graves blessures à la tête. Au moment où elles sont arrivées à l’hôpital Kamal Adwan, à Beit Lahiya, toutes deux étaient inconscientes. En raison du surpeuplement de l’hôpital, il a fallu les transférer à l’hôpital indonésien.

À la fin de la journée, les cœurs de Jana et de Rana ont cessé de battre, et elles sont mortes en tant que martyres. Quant à Nujoud, toujours traitée pour ses blessures, personne n’a pu se décider à lui dire que ses deux filles étaient décédées.

On lui a dit qu’elles étaient toujours en traitement.

 

En état de siège à l’hôpital indonésien

Le lendemain, son beau-fils lui a dit que ses filles étaient mortes. Elle n’a pas voulu le croire et l’a accusé de mensonge.

« Pourquoi dis-tu ça d’elles ? »,

lui a-t-elle demandé ?

« Elles t’aimaient tant. Ne dis pas cela d’elles ! Elles sont vivantes et reçoivent les traitements nécessaires. »

Ils ont enterré les fillettes enveloppées de linceuls blancs dans la cour de l’hôpital, puisqu’il n’était absolument pas possible d’atteindre un cimetière, à cause des attaques de l’armée israélienne dans le secteur.

Nujoud se trouvait toujours à l’hôpital indonésien quand il a été assiégé et attaqué par les forces d’occupation israéliennes.

Elle a été coincée dans l’hôpital pendant six jours, se cachant dans un corridor, avec très peu de nourriture et d’eau.

 

Nujoud al-Shish visite la tombe que ses filles Lana et Rana partagent à Beit Lahiya. Les filles avaient d'abord été enterrées à l'hôpital indonésien, mais on les a transférées ensuite au cimetière.

Nujoud al-Shish visite la tombe que ses filles partagent à Beit Lahiya. Les filles avaient d’abord été enterrées à l’hôpital indonésien, mais on les a transférées ensuite au cimetière. (Photo : Asil Almanssi / The Electronic Intifada)

 

Quand il a été possible de quitter l’hôpital sans être ciblé directement et tué par les forces israéliennes, les médecins ont tenté de transférer Nujoud vers un hôpital dans le sud.

Son état physique s’était détérioré, et elle avait toujours des éclats d’obus dans le corps.

Mais Nujoud a refusé d’aller dans le sud.

« J’y serais allée »,

dit-elle,

« mais après que mes filles m’ont précédée auprès de leur Seigneur miséricordieux, je ne veux pas quitter le nord avant de mourir. »

 

L’occupation n’a-t-elle pas ouvert la tombe de mes filles ?

Finalement, Nujoud s’est retrouvée à l’hôpital al-Shifa, où elle a reçu un traitement pour ses blessures qui avaient empiré. Les médecins d’al-Shifa lui ont dit que, si les brûlures à ses mains n’étaient pas traitées immédiatement, la gangrène pourrait se développer et il faudrait lui amputer les mains.

La famille a fini par installer une tente sur le terrain du complexe médical al-Shifa, où elle est restée jusqu’en mars 2024, quand les forces d’occupation israéliennes ont entamé le siège de l’hôpital pour la deuxième fois.

La famille est alors retournée à Beit Lahiya et Nujoud n’a plus eu qu’une seule idée en tête : L’occupation israélienne n’a-t-elle pas ouvert la tombe de mes filles ?

Le personnel de l’hôpital l’a rassurée en lui disant que la tombe était intacte et que les corps des deux fillettes seraient transférés au cimetière de Beit Lahiya.

Nujoud est retournée à la classe où le sang de ses filles avait été versé. Leur sang était toujours sur le sol et elle a pris un bout de tissu pour ramasser ce qui en restait, afin de garder ses filles auprès d’elle.

« Partout, je les imagine avec moi »,

m’a-t-elle dit.

« Je me réveille et j’entends leurs voix qui me disent : « Allez, viens, prépare-nous à déjeunerait ! »

Elle visite leur tombe chaque jeudi, parce que c’était le jour où elles allaient au marché acheter du chocolat et de nouveaux vêtements.

« Rana espérait aller à l’école et porter l’uniforme de l’école »,

a-t-elle dit.

« Grâce à Dieu, elle a pu le porter et faire ce qu’elle avait souhaité. »

 

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Asil Almanssi est une écrivaine qui vit à Gaza.

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Publié le 19 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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