Ghassan Kanafani et les combattants de la liberté : Affronter la torture et le génocide à Gaza

Gaza n’a jamais cessé d’être visible dans la pensée, la littérature et les œuvres artistiques du martyr Ghassan Kanafani.

 

 

Khaled Barakat, 13 juillet 2024

Cet article a d’abord été publié dans Al Akhbar au Liban.

 

Il est resté omniprésent et immortel dans ses mots et ses phrases, tel un pont vers l’éternité et qui ne disparaît que pour mieux réapparaître.

Il n’est guère de forme d’écriture et d’expression artistique et littéraire que notre auteur révolutionnaire n’ait utilisée au service de la résistance palestinienne.

Peut-être Kanafani a-t-il été le premier à dessiner des affiches révolutionnaires sur les combattants de la résistance et sur le siège dans la bande de Gaza, en mettant en exergue la bataille de Maghazi, en invitant à soutenir la détermination de Gaza et en adressant un appel aux forces révolutionnaires du monde entier afin qu’elles soutiennent la résistance croissante et son peuple bien décidé dans l’enclave rebelle.

 

Les affiches révolutionnaires de Ghassan Kanafani

 

À l’époque, le Front populaire pour la libération de la Palestine, à la création duquel Kanafani avait participé et dont il était devenu le porte-parole officiel, était le parti le plus visible et le plus efficace dans la confrontation avec l’ennemi sioniste dans la bande de Gaza, entre 1967 et 1973.

Plus d’une fois, Kanafani a parlé du siège total imposé à Gaza et, dans une longue interview pour le magazine anglais New Left Review, en 1971, il avait fait savoir que Gaza n’était pas seulement assiégé sur le plan terrestre, maritime et aérien, mais qu’il était également « assiégé sur le plan psychologique ».

Kanafani avait expliqué les conditions spécifiques de la résistance palestinienne dans l’enclave ainsi que son expérience, et le tout se lit comme s’il vous parlait aujourd’hui même.

Quand un journaliste lui avait demandé d’établir une comparaison entre la résistance croissante à Gaza et les difficultés de la lutte de guérilla en Cisjordanie occupée, Kanafani avait révélé la situation exceptionnelle de Gaza, en mettant le doigt sur la densité de population du territoire exigu (360 000 réfugiés, à l’époque) et sur la disponibilité des opportunités d’entraînement avec des armes pour les jeunes gens, en raison de la présence des forces de l’Armée de libération de la Palestine et de la proximité de l’Égypte.

Il avait également révélé les tentatives avortées de l’occupation et du régime jordanien en vue de « corrompre les masses de la Cisjordanie » ainsi que les diverses formes de répression directe auxquelles ils étaient confrontés. Quand nous lisons les écrits de Ghassan aujourd’hui, nous découvrons un fait important : Gaza subit un siège depuis un demi-siècle, en fait, et non pas depuis deux décennies.

En 1966, alors qu’il participait à la conférence de l’Union des écrivains qui se tenait dans la bande de Gaza, Kanafani rédigea une lettre personnelle tout en regardant au dehors « le littoral de la mer triste » et en se disant :

« Je suis bien connu, ici – je puis même dire que je suis ‘aimé’, plus que je ne l’ai jamais imaginé, et c’est quelque chose qui m’humilie, parce que je sais que je n’aurai pas assez de temps de vie pour combler les attentes des gens de ma part et que, dans tous les scénarios, je ne parviendrai pas à devenir tel qu’ils espèrent que je serai. Nuit et jour, je reçois des gens et, dans les boutiques, les commerçants me donnent presque tout ce que je veux gratuitement. Partout où je vais, je suis reçu avec une chaleur qui accroît mon sentiment de froideur et les carences de ma démarche vers ces gens et vers moi-même. Je sens, plus qu’en tout autre temps, que la valeur de mes mots est comme une stupide compensation de l’absence d’armes de résistance et qu’elle s’incline maintenant face à la gloire des hommes vrais qui meurent chaque jour pour quelque chose que je respecte. Tout cela me fait ressentir un sentiment de nostalgie semblable à la mort, et le bonheur d’une personne mourant après un long voyage de foi et de torture, mais aussi un sentiment frappant d’humiliation. »

Une fois encore, aujourd’hui, Ghassan Kanafani est revenu parler en faveur de la révolution, en pleine bataille du Déluge d’Al-Aqsa. En même temps est revenue sa nouvelle, Lettre de Gaza, traduite en de nombreuses langues. Cette pièce littéraire immortelle est peut-être la plus largement diffusée et la plus lue à propos de ce qu’endurent les enfants de la bande de Gaza ; elle est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 70 ans, lorsqu’elle a été mise sur papier pour la première fois.

Le narrateur dit à son ami :

« Les enfants malades ont une sorte de sainteté, et bien plus encore quand l’enfant est malade à la suite de blessures cruelles et douloureuses. »

La « lettre » finit avec tous ses détails, personnages et événements par parvenir à la petite fille, Nadia, qui s’est élancée au-dessus de ses frères et sœurs pour les protéger des bombes, des flammes et des balles qu’on leur lance et tire dessus. Elle a perdu une jambe, on l’a amputée jusqu’à la cuisse et elle n’a plus autant besoin du « cadeau » (un pantalon rouge que son oncle lui a acheté au Koweït), mais plutôt d’autre chose : la décision de son oncle (le narrateur) de rester et de combattre, plutôt que de partir pour Sacramento et l’École d’Ingénierie de l’Université de Californie où sa candidature a été acceptée. Les scènes de l’histoire sont si actuelles qu’elles en sont douloureuses, quand elles parlent de Shuja’iyya, des bombardements et des rues de Gaza. Il semble, à la lecture, que Kanafani vient de finir de les rédiger ce matin même.

De même, son roman épique, « All that’s Left to You » (Ce qui vous reste), revient également à notre conscience. Le deuxième roman de Kanafani condense la signification et les sentiments de perte et de trahison, et l’expérience de la déception et du siège par les gens de Gaza. C’est l’histoire d’une famille palestinienne déracinée de Yafa et qui se retrouve en état de siège dans la bande de Gaza, sans mère ni père. La fille, Maryam, est devenue la proie du traître Zakaria, qui a vendu sa conscience à l’ennemi et qui a violé et mis Maryam enceinte. Maryam a été assaillie et abandonnée, elle est triste, elle a été violée, c’est une mariée sans dot, tous ses « droits ont été reportés ». En tant que telle, elle n’avait d’autre choix que la révolution, que la désobéissance, que de prendre les armes.

Si le premier roman de Ghassan Kanafani, « Men in the Sun » (Des hommes dans le soleil), parlait de la mort de Palestiniens dans le désert, fuyant la mort et le siège en quête du salut individuel, le roman, « All That’s Left to You » (Ce qui vous reste), en dépit de sa dureté, annonçait la révolution et une quête de salut collectif.

Il était clair qu’il y avait ceux qui étaient nés pour frapper sur les parois du réservoir à Gaza. Il était naturel pour Myriam de se dresser et de poignarder Zakaria, qui lui avait dit : « Ta dot tout entière a été reportée. » Soit son frère Hamed, le feda’i potentiel, le combattant de la liberté, l’espoir et l’avenir, allait vivre, soit le traître Zakaria allait continuer de la menacer et de lui imposer ses conditions. Dans la vision et la pensée de Ghassan Kanafani, il est et il était impossible de procéder à une réconciliation ou à un accord entre les deux voies.

L’ennemi sioniste a lui aussi compris l’importance de la présence et de l’héritage de Ghassan Kanafani à Gaza, si bien qu’il a tenté, avec l’aide de certains agents, d’attiser les conflits dans la bande de Gaza fin août 2015, et de répandre une rumeur malveillante et fausse disant que

« le gouvernement du Hamas avait l’intention de modifier le nom de l’École élémentaire Ghassan Kanafani à Rafah »,

dans une tentative de créer ainsi une division politique et sociale. Toutefois, la vigilance des masses à Gaza et la résistance dans l’enclave ont empêché l’ennemi, ses renseignements et les agents du chaos et de la destruction d’avoir l’occasion de détruire ce front uni. Comme nous l’écrivons aujourd’hui, nous notons que, finalement, l’ennemi a détruit en grande partie cette école ainsi que d’autres écoles portant le nom de Kanafani lors de son offensive génocidaire contre Gaza en 2023-24.

Ghassan Kanafani a dit ceci, lors du Symposium de Beyrouth, en mars 1968 ;

« Quelque chose de grand est né dans les décombres de la défaite, exactement comme un volcan est né des fragments froids d’une montagne abandonnée. Si une blessure s’ouvre dans un corps mort, elle ne provoque aucune secousse, mais si elle s’ouvre dans un corps vivant, elle augmente sa capacité à résister, elle active le pouvoir profondément latent en lui et multiplie sa capacité à riposter. »

 

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Publié le 16 juillet 2024 sur Masar Badil
Traduction :Jean-Marie Flémal,  Charleroi pour la Palestine

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Trouvez ICI des textes de Ghassan Kanafani ou faisant référence à lui

 

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