Une décision historique de la CIJ dit que le monde doit agir pour mettre un terme à l’occupation illégale d’Israël

Dans une décision historique annoncée vendredi, le Cour internationale de Justice (CIJ) a déclaré illégale la présence permanente d’Israël en Cisjordanie et à Gaza, occupées par son armée et lourdement colonisées par ses colons depuis 1967.

 

Dans une décision historique rendu publique vendredi 19 juillet, la CIJ a déclaré illégale la présence permanente d'Israël en Cisjordanie et à Gaza. Photo : Le 19 juillet, Nawaf Salam, président de la Cour internationale de Justice, a rendu un avis consultatif historique.

Le 19 juillet, Nawaf Salam, président de la Cour internationale de Justice, a rendu un avis consultatif historique. (Photo : CIJ)

 

Maureen Claire Murphy, 19 juillet 2024

Le tribunal, qui est constitué de 15 juges et que l’on appelle également la Cour mondiale, a déclaré qu’Israël était tenu

« de mettre un terme le plus rapidement possible à sa présence illégale sur le territoire palestinien occupé »,

de faire cesser toute nouvelle activité de peuplement et d’évacuer tous les colons.

Israël est également obligé de procéder à des réparations, a déclaré la cour, et d’autres États et organisations internationales ne doivent pas « reconnaître comme légale » la présence d’Israël dans le territoire occupé ni lui prêter assistance pour maintenir l’occupation.

La cour a confirmé que l’obligation d’agir de façon affirmative en vue de faire cesser l’occupation illégale ne concerne pas uniquement Israël, mais tous les États.

Tous les pays du monde entier sont

« sous l’obligation de ne prêter ni leur aide ni leur assistance afin de maintenir la situation créée par la présence illégale d’Israël »

dans les territoires palestiniens occupés, ont déclaré les juges dans leur décision.

Les États doivent faire en sorte que

« soit mis un terme à toute entrave, résultant de la présence illégale d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination »,

ont ajouté les juges, dans ce qui peut être considéré comme une approbation des sanctions internationales contre Israël.

De même, ont déclaré les juges, tous les pays qui ont signé la Quatrième Convention de Genève, laquelle protège les droits des populations civiles sous occupation militaire,

« ont l’obligation (…) de garantir le respect par Israël des lois internationales humanitaires telles qu’elles sont reprises dans cette convention ».

La cour a ajouté que les Nations unies, et tout particulièrement son Assemblée générale et son Conseil de sécurité,

« devraient considérer les modalités précises et autres mesures requises pour mettre un terme aussi rapidement que possible à la présence illégale de l’État d’Israël dans les territoires palestiniens occupés ».

 

Un long chemin vers la justice

L’avis consultatif de la cour a été rendu à la suite d’une requête de l’Assemblée générale fin 2022 en vue de déterminer les conséquences juridiques de la présence continuelle d’Israël dans la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées.

Principal organe juridique des Nations unies, la cour traite les litiges juridiques entre États et examine les requêtes d’avis consultatifs sur les questions juridiques qui lui sont soumises au sein du système des Nations unies.

Le tribunal considère séparément une plainte initiée par l’Afrique du Sud et prétendant qu’Israël perpètre un génocide contre les Palestiniens à Gaza. Dans une décision provisoire qu’elle a rendue fin janvier, la cour est estimé qu’il existait un risque plausible de génocide.

La Cour internationale de Justice est indépendante et distincte de la Cour pénale internationale, qui siège également à La Haye et qui, en mars 2021, a ouvert une enquête sur les supposés crimes de guerre commis en Cisjordanie et à Gaza.

Fatou Bensouda, la procureure principale de la Cour pénale internationale à l’époque, avait désigné l’entreprise coloniale d’Israël en Cisjordanie comme objet prioritaire de son enquête.

Mais il s’avère que l’actuel procureur de la cour, Karim Khan, a largement ignoré le travail de Bensouda et a requis des mandats pour l’arrestation de dirigeants d’Israël et du Hamas pour des crimes supposés perpétrés le 7 octobre 2023 et par la suite.

Les Palestiniens ont longuement plaidé auprès d’institutions internationales telles les Nations unies afin d’examiner le système de répression d’Israël dans son ensemble, plutôt que de traiter ses violations des droits palestiniens de façon fragmentée tout en ignorant le contexte du colonialisme de peuplement dans lequel ces violations ont lieu.

 

L’impunité

L’avis consultatif de vendredi rendu par la Cour internationale de Justice n’est pas une première. Précédemment, le tribunal avait déjà examiné l’occupation et l’annexion par Israël de terres palestiniennes.

En juillet 2004, la cour avait rendu un avis consultatif déterminant que la construction par Israël d’un mur en Cisjordanie occupée ainsi que le régime colonial de peuplement qui y était associé violaient les lois internationales.

Dans l’affaire de 2004, de même que dans le nouvel avis consultatif, la cour a décidé qu’Israël était obligé de

« mettre un terme à ses infractions envers les lois internationales et de procéder à des réparations pour tous les dommages occasionnés »,

comme le résume l’organisation palestinienne des droits humains Al-Haq dans un document de briefing publié la veille de la décision de ce vendredi. La cour avait également prétendu il y a vingt ans que les États étaient tenus

« de ne pas reconnaître la situation illégale »

résultant de ces violations.

Toutefois, comme le fait remarquer Al-Haq, l’application de l’avis consultatif rendu par la cour en 2004,

« a été d’une faiblesse inacceptable et c’est une situation qui a grandement contribué à l’environnement d’impunité dans lequel Israël a accéléré et intensifié la perpétration de ses abus en tous genres à l’égard des Palestiniens ».

En avance sur l’avis consultatif de vendredi, près de 60 pays avaient examiné la question des conséquences juridiques émanant de la présence continuelle d’Israël dans le territoire palestinien occupé.

« La majorité écrasante » de ces interventions lors des audiences

« ont exprimé l’avis selon lequel l’occupation par Israël de la Palestine est caractérisée par des mesures et des pratiques illégales »,

dit encore Al-Haq.

La majorité des opinions présentées devant la cour ont exprimé les positions suivantes : l’occupation israélienne viole le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; Israël pratique l’apartheid ou la discrimination raciale systématique en Cisjordanie et à Gaza ; et

« l’occupation en soi est illégale dans son ensemble »

et doit cesser immédiatement, toujours selon Al-Haq.

Il est significatif qu’une poignée d’États, dont les Pays-Bas et la Chine, ont reconnu

« la légitimité de la lutte armée et le recours à la force pour concrétiser le droit inaliénable à l’autodétermination »

dans le contexte de la libération vis-à-vis de pouvoir colonial.

La Libye a exprimé la position suivante :

« C’est une obligation morale et juridique pour les États tiers d’aider et de soutenir les Palestiniens dans leur combat légitime pour leur libération et leur indépendance »,

résume Al-Haq.

 

« Il n’y a plus d’excuses »

À la suite de l’annonce de l’avis de la cour ce vendredi, le ministre israélien des Affaires étrangères a de façon prévisible rejeté l’avis comme étant « fondamentalement erroné » et partial, alors que Benjamin Netanyahou, le Premier ministre, a déclaré que

« la nation juive ne pouvait être une occupante dans son propre pays ».

Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances, d’extrême droite, a lancé un appel à annexer officiellement la Cisjordanie, en réponse à la cour.

Au contraire, la mission palestinienne à l’ONU ainsi que nombre d’organisations des droits humains et de défense ont célébré la décision.

Al Mezan, une organisation des droits humains qui opère à Gaza, a déclaré qu’elle

« fixe des obligations juridiques claires pour les États tiers et les organisations internationales et nous réclamons une obéissance complète ».

L’organisation faisait remarquer que la cour insistait sur sa position disant que

« le contrôle effectif d’Israël sur Gaza correspond à la définition d’occupation belligérante, ce qui impose des obligations à Israël (…) à l’égard des plus de deux millions de Palestiniens qui vivent là ».

Al-Haq, dont le siège est en Cisjordanie, a déclaré que le nouvel avis consultatif constituait

« un premier pas vers la rectification du préjudice générationnel infligé par l’occupation illégale israélienne, la Nakba en cours, le colonialisme de peuplement et l’apartheid au peuple palestinien, préjudice auquel il convient de mettre fin, de même que d’abroger toutes les mesures et lois discriminatoires d’Israël ».

Le Comité national palestinien de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BNCX) a déclaré que la décision

« demandait d’imposer des sanctions ciblées immédiates à Israël, à commencer par un embargo militaire total ».

B’Tselem, une organisation israélienne des droits humains, a réagi à la décision de la cour en déclarant : « Il n’y a plus d’excuses. La communauté internationale doit forcer Israël à mettre un terme à l’occupation. »

Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, a dit de même que c’était

« une journée historique pour la justice internationale et la décolonisation de la Palestine ».

 

La CIJ rejette la couverture d’Oslo

L’avis consultatif établit clairement l’illégalité de l’occupation par Israël des territoires occupés depuis 1967 et réaffirme l’illégalité de l’acquisition de territoire par la force.

Il affirme aussi que les accords d’Oslo signés par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine au milieu des années 1990 ne déchargent pas Israël de ses obligations juridiques.

Les négociations bilatérales initiées avec les accords d’Oslo « sont inexistantes depuis plus de 10 ans », a fait remarquer le juge Nawaf Salam, le président libanais de la Cour internationale de Justice dans sa déclaration accompagnant l’avis consultatif.

Pourtant, le cadre des négociations bilatérales, quoique mort depuis longtemps, a été utilisé par les alliés d’Israël, principalement les EU et les États européens, comme prétexte pour préserver la situation d’impunité et traiter les droits palestiniens comme un sujet de négociations – une situation que l’écrivain Ghassan Kanafani avait précisément décrite en 1970 comme « une conversation entre l’épée et le cou ».

En effet, dans son intervention devant la Cour internationale de Justice, Israël a déclaré qu’un avis consultatif porterait « préjudice » au processus de paix, alors que les EU pressaient le tribunal d’éviter de rendre une décision qui pourrait saper les négociations vers une solution à deux États.

Diana Buttu, une avocate et ancienne négociatrice avec l’Organisation de libération de la Palestine, a déclaré qu’un des plus gros enjeux de la décision de la cour était

« qu’elle mettait de côté l’idée que les Palestiniens doivent négocier la fin de la domination militaire d’Israël ».

« Pas d’échanges de terre ; pas de colons accommodants ; pas d’‘offres généreuses’ parce qu’il ne s’agit pas d’une terre à propos de laquelle Israël peut se montrer généreux »,

a ajouté Diana Buttu.

Cette conclusion est particulièrement importante puisque Washington et Tel-Aviv tentent d’imposer un cadre similaire dans le contexte de Gaza, forçant les Palestiniens à « négocier » une fin au génocide d’Israël soutenu par les EU.

 

Une « rare » victoire

Pourtant, la décision peut être perçue comme légitimant l’usurpation par la violence de la terre palestinienne au profit de l’établissement de l’État d’Israël en 1948 – l’injustice en cours d’où provient l’occupation de 1967.

En limitant la portée de l’avis consultatif à la question de l’occupation depuis 1967, l’Assemblée générale semblerait normaliser le vol et la colonisation de la terre palestinienne en 1948, dont l’ONU avait préparé la voie au moyen de son injuste plan de partition de 1947.

Dans sa déclaration, le président Salam fait remarquer que le non-respect par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination « remonte à 1948 et non en 1967 », comme l’a reconnu l’Assemblée générale dans sa Résolution 32/20, adoptée en 1977.

Mais l’avis consultatif historique de vendredi – un « tremblement de terre », estime le juriste international Michael Sfard – fournit davantage de leviers juridiques à ceux qui défendent les droits palestiniens aujourd’hui, déclare Alonso Gurmendi, un professeur de droit international au King’s College de Londres.

« Ne négligez pas le pouvoir des déclarations qui font autorité dans la formation de l’ordre mondial »,

a ajouté Gurmendi.

« Surtout quand l’ordre mondial est déjà occupé à changer si fondamentalement. »

« Célébrez les victoires, elles sont si rares »,

a-t-il encore dit.

Et, alors que rien ne pourrait sembler avoir changé demain, attendez-vous à ce que les États tiers

« reconsidèrent la nature de leurs relations – commerciales, militaires, économiques et diplomatiques avec Israël – au cours des prochains mois et semaines »,

a conclu Michael Sfard.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 19 juillet 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

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