Hassan Nasrallah est mort sur la route vers la libération de la Palestine

L’assassinat par Israël de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, lors d’un bombardement apocalyptique sur un faubourg sud de Beyrouth, est susceptible, du moins à court terme, de provoquer un choc énorme et de semer le désespoir et la démoralisation parmi les partisans de la résistance au sionisme du Liban et de toute la région.

 

Un portrait du dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à Beyrouth, le 21 septembre. Le chef de l'organisation de résistance libanaise a été assassiné par Israël ce vendredi 27 septembre lors d'une frappe aérienne massive sur un quartier sud de la capitale libanaise.

Un portrait du dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à Beyrouth, le 21 septembre. Le chef de l’organisation de résistance libanaise a été assassiné par Israël ce vendredi 27 septembre lors d’une frappe aérienne massive sur un quartier sud de la capitale libanaise. (Photo : OLA NEWS/SIPA/Newscom)

 

Ali Abunimah, 28 septembre 202

 

C’était exactement ce que voulait Israël.

Confirmé par le Hezbollah ce samedi, l’assassinat de Nasrallah vient après une série de succès tactiques au cours des premiers stades de l’attaque à grande échelle d’Israël contre le Liban, une offensive sans fin qui pourrait bien égaler en barbarie l’actuel génocide commis par Tel-Aviv à Gaza.

Ce sont des réflexions terribles et difficiles à digérer après près d’un an de génocide.

D’abord, il y a eu les attaques contre les bipeurs et les talkies-walkies, suivies par une série d’assassinats de dirigeants importants du Hezbollah, et maintenant, le chef de l’organisation en personne.

Comme l’admettait Nasrallah lui-même dans son ultime discours, l’organisation avait subi un coup dur, avec cette attaque contre les bipeurs. Le pire était encore à venir. Manifestement, il y avait de graves lacunes, dans la sécurité.

La stature de Nasrallah en tant que penseur tactique et stratégique, que dirigeant éminent et fiable de l’Axe de la résistance et que personnalité capable d’inspirer et de rassurer ses partisans même aux pires des moments, ne peut être surestimée.

L’euphorie en Israël, à Washington et dans certaines capitales arabes ne sera dépassée que par le chagrin des partisans de Nasrallah, qui sont bien plus nombreux.

Et il ne fait aucun doute que la perte est réelle et grande sous l’angle d’une résistance confrontée non seulement à l’arsenal formidable d’Israël, mais aussi à toutes les ressources des États-Unis et de l’Occident collectif.

La capacité d’Israël à mener ces séries d’attaques en une succession rapide va ébranler la confiance de bien des gens dans les prouesses légendaires, l’aplomb et la sécurité opérationnelle du Hezbollah.

Les attaques contribueront dans une certaine mesure à restaurer le prestige perdu par Tel-Aviv parmi ses partisans occidentaux et arabes après une année d’échecs militaires à Gaza et son incapacité à empêcher l’offensive militaire du Hamas qui a balayé la Division Gaza de l’armée israélienne le 7 octobre 2023.

Et, bien que le Hezbollah ait pilonné les ressources militaires et colonies israéliennes dans le nord de la Palestine à coups de roquettes, bien des gens dans la région se demandent pourquoi la réponse de l’organisation de résistance à l’agression de plus en plus intense d’Israël n’a pas été plus dure et plus hargneuse – même si Israël intensifie ses bombardements de civils un peu partout au Liban et dans sa capitale.

Une autre question court sur toutes les lèvres : Pourquoi l’Iran, qui avait promis des représailles après l’assassinat par Israël du dirigeant du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran en juillet, a-t-il agi avec une telle retenue ? Il y a une perception croissante de ce que l’absence de réponse n’a fait qu’encourager Israël à une violence encore plus effrontée.

 

« Choc et effroi » n’est pas victoire

Au milieu de la situation qui change rapidement et le torrent d’émotions après une année de génocide en direct à Gaza et aujourd’hui étendu au Liban par Israël, il est malaisé de maintenir une vision à long terme. Mais c’est pourtant essentiel pour une analyse saine.

Il est utile de se rappeler ceci : Dans quasiment toute guerre asymétrique, quand le camp le plus fort – l’envahisseur ou le colonisateur – passe à l’offensive, il s’avère souvent qu’il engrange un succès rapide et époustouflant.

En effet, « choc et effroi » (shock and awe en anglais) est le nom d’une doctrine militaire occidentale, spécifiquement américaine, développée dans les années 1990 et explicitement testée quand les EU ont envahi l’Irak en 2003.

Également appelée « domination rapide », son but est de démoraliser et paralyser l’adversaire en recourant à des déploiements écrasants et spectaculaires de violence.

Le but, selon les auteurs de la doctrine, est de

« surcharger chez un adversaire les perceptions et la compréhension des événements au point qu’il sera incapable de résistance aux niveaux tactiques et stratégiques ».

Nous avons vu cela à diverses reprises ces dernières décennies et nous le voyons encore aujourd’hui.

Quelques semaines à peine après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont attaqué l’Afghanistan, déboulonnant rapidement le gouvernement taliban sous le prétexte qu’il avait donné refuge à Osama bin Laden.

La confiance américaine qui avait suivi ce succès rapide manifeste avait sans aucun doute incité Washington à se lancer dans son projet suivant : l’invasion de l’Irak en mars 2003.

Après le renversement rapide du gouvernement de Saddam Hussein et la prise de contrôle de Bagdad par les chars américains, le président George W. Bush avait délivré son infâme discours, « Mission accomplie », le 1er mai de cette année – des mots qui allaient finir par le hanter alors que les États-Unis s’enlisaient de plus en plus dans une guerre d’usure contre la résistance aussi bien en Afghanistan qu’en Irak.

Ces victoires rapides, ou du moins qui en avaient l’air, déclenchèrent des craintes réelles au moment où les forces américaines allaient rouler de l’avant vers Damas et Téhéran ou peut-être vers d’autres « États voyous » figurant sur la liste noire de l’Amérique.

Nous savons aujourd’hui, grâce aux fameux « Afghanistan Papers », que les fauteurs de guerre de Washington avaient reconnu d’un bout à l’autre qu’ils avaient perdu la guerre mais qu’ils avaient menti pendant près de deux décennies au public américain en lui disant qu’ils étaient en train de gagner la guerre.

Et, quand le retrait de l’Afghanistan avait eu lieu en août 2021, le départ humiliant depuis l’aéroport de Kaboul avait été largement comparé aux scènes chaotiques des Américains vaincus évacuant en hélicoptère depuis le toit de l’ambassade des EU à Saïgon, au Vietnam.

En ce qui concerne Israël aussi, ce modèle a été évident. Quand Israël a envahi le Liban en 1982 – une offensive qu’il avait surnommée « Opération paix en Galilée » – ses forces avaient rapidement pris la direction du nord, assiégeant et occupant une capitale pour la première fois dans l’histoire de l’État colonial sioniste.

Israël avait massacré des dizaines de milliers de civils libanais et palestiniens et il avait chassé l’Organisation de libération de la Palestine. Mais le succès, selon la perspective de Tel-Aviv, s’était rapidement transformé en échec.

Au cours d’une longue occupation, la résistance à Israël s’était accrue, particulièrement de la part du Hezbollah, qui n’existait même pas au moment de l’invasion israélienne.

Le Hezbollah et d’autres organisations de résistance allaient saigner les forces d’occupation israéliennes pendant deux décennies au cours d’une guerre d’usure épuisante, jusqu’au moment où, dans sa défaite, Israël se retira du Sud-Liban en mai 2000.

Même dans le contexte du génocide israélien soutenu par les Américains à Gaza, les déclarations incessantes d’Israël disant qu’il a placé telle ou telle partie de Gaza sous son contrôle total s’effondrent rapidement. Le fait est que la résistance continue à se battre dans chaque coin de Gaza.

Jusqu’à présent, tout plan israélo-américaine concernant « le lendemain », plan selon lequel un Hamas vaincu serait remplacé par une force collaboratrice palestinienne soutenue par les Arabes, s’est écroulé.

Se détourner d’un Israël épuisé par son échec permanent à Gaza est peut-être l’un des facteurs qui ont incité Israël à chercher un « succès » spectaculaire au Liban.

 

Un tournant

Ce moment qui donne à réfléchir est un tournant dans la longue guerre régionale de libération vis-à-vis du sionisme colonial de peuplement raciste et soutenu par l’Occident. Mais, après un siècle de déprédations et d’horreurs dues au sionisme, ni le peuple du Liban ni celui de la Palestine ne se sont rendus, et il n’y a aucune raison de croire qu’ils vont le faire maintenant.

Au contraire, après le choc initial, la détermination de la résistance ne fera que croître et son cercle s’étendra comme cela a été le cas dans chaque phase de la lutte de libération.

L’assassinat de Nasrallah à l’aide de bombes et d’avions de combat américains et peut-être une autre assistance encore de Washington, ne changeront pas non plus la trajectoire du déclin continuel de la puissance mondiale américaine – la puissance sur laquelle Israël s’appuie pour assurer sa survie.

Rappelons aussi que les sionistes ont toujours recouru à l’assassinat comme principale tactique. Toutefois, leur guerre ne vise pas des dirigeants à titre individuel, mais des peuples entiers dont la détermination ne peut pas être si facilement étouffée.

Nasrallah lui-même a assumé la direction du Hezbollah après qu’Israël avait assassiné son prédécesseur Abbas al-Musawi en 1992. Nasrallah avait développé l’organisation au point de lui faire acquérir une force sans précédent.

Cette force ne repose par sur la volonté d’un seul individu, mais sur une base de soutien profondément engagée dans la cause et qui entend – comme Nasrallah lui-même n’a jamais manqué de le faire remarquer – faire d’énormes sacrifices sur la voie de la libération.

Si l’armée israélienne a admis que le Hamas ne pouvait être détruit parce que « le Hamas est une idée, le Hamas est un parti », dans ce cas, que dire du Hezbollah ?

Ce qui donne le plus à réfléchir, c’est que la guerre pour libérer la Palestine et la région du sionisme ne sera pas moins brutale pour le peuple de la région que la guerre de libération de l’Algérie, du Vietnam, de l’Afrique du Sud et de tant d’autres endroits ciblés par l’Empire euro-américain.

Après tout, les occupants et les colonisateurs sont les mêmes pays et la haine génocidaire que leurs classes dirigeantes vouent envers le peuple du pays dont ils tentent d’usurper la terre et les droits, ne s’est jamais atténuée.

Comme d’autres avant lui, Nasrallah a donné sa vie sur la route vers la libération de la Palestine, et cette lutte ne s’est pas terminée aujourd’hui.

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Publié le 28 septembre 2024 sur  The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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