Demander une intervention chirurgicale en temps de génocide

 

Demander une opération chirurgicale en temps de génocide. Photo : On estime que le ciblage par Israël du secteur médical de Gaza s'est traduit par la perte de quelque 70 pour 100 des lits d'hôpital du territoire. Ici, l'hôpital Nasser à Khan Younis le 14 décembre 2023.

On estime que le ciblage par Israël du secteur médical de Gaza s’est traduit par la perte de quelque 70 pour 100 des lits d’hôpital du territoire. Ici, l’hôpital Nasser à Khan Younis le 14 décembre 2023. (Photo : Haitham Imad / APA images)

 

Rasha Abou Jalal, 6 octobre 2024

Mon beau-frère Yazan Younis, 28 ans, sa femme et ses deux filles ont été déplacés de force à six reprises depuis le 13 octobre. La famille a d’abord dû fuir sa maison juste avant l’offensive génocidaire d’Israël. C’est à ce moment que Yazan a développé un problème urinaire qui l’a incité à chercher de l’aide.

Toutefois, le premier problème de Yazan consistait à mettre la main sur le bon médecin.

L’agression forcenée et les bombardements sans discrimination perpétrés par Israël ont décimé le secteur de la santé de Gaza. En septembre, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rapportait qu’il y avait eu plus de 500 attaques contre les soins de santé en moins d’un an, soit une moyenne d’environ trois attaques tous les deux jours.

Ces attaques ont tué plus d’un millier de travailleurs médicaux, selon le ministère de la santé à Gaza.

Israël a également empêché l’entrée de médicaments et de fournitures médicales sur le territoire, pendant ce temps, ce qui a réduit de 70 pour 100 les stocks des premiers et de 83 pour 100 les stocks des derniers, toujours selon le ministre de la santé à Gaza.

Yazan s’est rendu dans plusieurs hôpitaux publics du sud de la bande de Gaza mais les a tous trouvés trop débordés et en manque d’effectifs pour traiter le nombre de blessés dus aux incessants bombardements israéliens. En tant que cas non urgent, il a rapidement renoncé à se faire examiner.

L’histoire s’est répétée au Complexe médical Nasser de Khan Younis où on lui a dit qu’il allait devoir attendre 28 jours avant de voir un urologue.

Yazan a alors tenté sa chance du côté des cliniques privées. Il s’est rendu à l’Hôpital médical Yaffa, dans le centre de Deir al-Balah, où il a trouvé un urologue mais pas de laboratoire pour effectuer les tests nécessaires.

Ainsi donc, Yazan s’est mis en quête de laboratoires médicaux privés, mais uniquement pour s’entendre dire que la plupart d’entre eux avaient été détruits par les bombardements israéliens ou avaient été forcés de fermer leurs portes en raison des pannes de courant – Israël avait coupé les fournitures d’électricité (et celles de vivres, de carburant et d’essence) au moment où il avait imposé « un siège complet à Gaza », pour reprendre les propres mots du ministre israélien de la défense Yoav Gallant en octobre dernier.

Après deux semaines de recherche, toutefois, Yazan a enfin découvert le Laboratoire médical Balsam, qui produisait son électricité à l’aide d’un générateur.

 

Aucun soulagement de la douleur

Pendant tout ce temps, ses symptômes ne cessaient de s’aggraver, de même que la douleur chaque fois qu’il se rendait aux toilettes. Les choses ont empiré à tel point qu’il s’est abstenu le plus possible de boire de l’eau, malgré la chaleur estivale intense du moment.

Si bien que lorsque les résultats des tests ont été connus et que Yazan a eu besoin d’une intervention chirurgicale afin d’enlever un polype qui émanait de sa vessie et qui bloquait une partie de l’ouverture urétrale, cela n’a guère été une surprise.

Toutefois, le coût de l’intervention chirurgicale au Centre médical Jaffa tournait autour de 800 dollars, un montant équivalent à un salaire mensuel de cadre supérieur avant le 7 octobre et manifestement exorbitant dans les conditions du moment à Gaza.

Yazan a rejeté les propositions d’aide de proches et d’amis, dont aucun n’avait les fonds nécessaires de toute façon, et a décidé de retourner à l’hôpital public Nasser pour s’y faire opérer.

Il lui a fallu faire preuve de patience.

« Un demi-million d’interventions ont été reportées et figurent sur une liste d’attente dans les hôpitaux de Gaza »,

a expliqué le Dr Abdul Latif al-Hajj, du ministère de la santé, à The Electronic Intifada.

Du fait que seulement 17 hôpitaux sur 36 étaient restés opérationnels, et encore, très partiellement, tous les autres ayant été mis hors service par les bombardements israéliens, le Dr al-Hajj estimait que Gaza avait perdu 70 pour 100 de sa capacité en lits d’hôpital, ce qui compliquait encore les problèmes des personnes ayant besoin d’être opérées.

Néanmoins, Yazan a été convoqué pour une opération au bout de 14 jours. Il lui a fallu se frayer un chemin pour trouver de la place parmi les nombreux blessés, dont certains étaient contraints de rester couchés à même le sol vu le manque d’espace.

L’opération de Yazan a duré exactement une demi-heure. Mais il n’y a pas eu de convalescence. Dès qu’il s’est réveillé de son anesthésie, il a été renvoyé.

Et, en raison du manque de médicaments, on ne lui a donné ni prescrit le moindre antidouleur.

Yazan se sent mieux, aujourd’hui. Il est retourné dans sa tente à Deir al-Balah où, en compagnie de sa famille, il avait cherché refuge. Mais la semaine qui a suivi son opération a été très dure. Tout au long de sa guérison, il a connu des douleurs intenses.

Yazan peut se dire qu’il fait partie des gens qui ont eu de la chance, à Gaza. Comparé à d’autres, son problème était relativement mineur.

Mais jamais, à l’instar de tous ceux qui ont subi l’indignité d’assister à la destruction par Israël du secteur de la santé de Gaza, il n’oubliera la douleur qu’il a dû subir pour en arriver à ce résultat.

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Rasha Abou Jalal est journaliste. Elle travaille et vit à Gaza.

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Publié le 6 octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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