« La résistance est l’essentiel » : Ghassan Kanafani (présentation de livre)
Quand on lui demandait pourquoi le Front refusait de s’engager dans des pourparlers de paix, Kanafani répondait que ce genre de pourparlers se soldaient par une « capitulation », une sorte de « conversation entre l’épée et le cou » qui se terminait par une « reddition ».
Benay Blend, 1er décembre 2024
Publié par Louis Brehony et Tahrir Hamdi, le « Choix d’écrits politiques » (Selected Political Writings – 2024) de Ghassan Kanafani réunit les points de vue de ce dernier sur l’histoire. C’est la première fois qu’ils sont traduits en anglais. (Ils ne l’ont jamais été en français – NdT). Pour Kanafani, la résistance constituait l’essentiel de tout ce qu’il écrivait ainsi que de la vie qu’il menait en tant que penseur révolutionnaire qui combattait avec sa plume pour la libération de la Palestine.
La famille de Kanafani ne fut pas épargnée par la déportation et elle dut fuir la Palestine lors de la Nakba, en 1948, pour connaître ensuite le sort des réfugiés dans divers camps établis de bric et de broc, ressemblant fortement à ce que vivent aujourd’hui les personnes déplacées de Gaza (p. 1) Inspiré par ces expériences, Kanafani allait passer sa vie à écrire des récits, des articles politiques, des analyses et des manifestes, dont un grand nombre étaient liés à des publications éditées par les organisations auxquelles il appartenait, dont le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et son précurseur, le Mouvement nationaliste arabe (MNA) (p. 2).
L’ouvrage est organisé en fonction des thèmes les plus récurrents dans l’œuvre de l’écrivain – Kanafani et les médias, la mise en place du front marxiste-léniniste, le nationalisme arabe et le socialisme, pour n’en citer que quelques-uns. Chaque chapitre propose des commentaires d’éminents écrivains, selon un arrangement qui s’intègre parfaitement au style de Kanafani, puisque son travail tirait parti d’un apport collectif généré par d’autres membres d’al-Hadaf, le journal du FPLP qu’il contribua à développer.
Kanafani fut assassiné le 8 juillet 1972 par le Mossad « israélien », à cause de ses écrits révolutionnaires et de son rôle au sein du FPLP. Son œuvre continue de vivre dans l’actuel combat de la Palestine et parmi les gens qui sont solidaires du mouvement.
« Kanafani fut un visionnaire hors du commun et parfois prophétique »,
écrivent les éditeurs,
« dont les écrits sont aussi pertinents aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été (p. 4). »
La journée de l’Action de Grâce (Thanksgiving) en 2024, un jour férié, explique Nick Estes, cofondateur de l’organisation autochtone de résistance La Nation rouge et citoyen de la tribu sioux Lower Brûlé, commémore le massacre des Pequots (à Fort Mystic, en 1637 – NdT). Il importe de faire remarquer que Kanafani était un internationaliste qui percevait la Palestine comme un « symbole humain intégré » (p. 27) reflétant la misère des peuples colonisés du monde entier.
Comme le fait remarquer Khaled Barakat, la « Stratégie du FPLP pour la libération de la Palestine » (1969) révèle la connexion entre le Front et les mouvements anticoloniaux et révolutionnaires du monde entier et cette relation s’est poursuivie à ce jour. À l’instar de son travail avec al-Hadaf, Kanafani a participé au développement du document, mais en fait, il s’agissait d’un ouvrage collectif (pp. 94 et 95).
« Le mouvement de libération palestinien et arabe ne se meut pas dans le vide »,
écrivait Kanafani.
« Il vit et se bat au milieu de circonstances mondiales spécifiques qui l’affectent et réagissent avec lui et c’est tout cela qui va déterminer notre sort. Le terrain international sur lequel les mouvements de libération nationale évoluent a toujours été et restera toujours un facteur fondamental pour déterminer les destinées des peuples (p. 111). »
À l’époque, Kanafani se penchait sur la lutte de libération au Vietnam, sur la « situation nouvelle » (p. 111) à Cuba et sur les mouvements de libération nationale en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Il percevait ces luttes comme
« la seule façon de créer un camp qui soit capable de faire face au camp impérialiste et d’en venir à bout (p. 112) ».
Si Kanafani écrivait aujourd’hui, il inclurait dans cette liste les peuples autochtones des Amériques, car il existe une reconnaissance réciproque de leurs luttes communes entre les autochtones d’ici et ceux de la Palestine.
À Standing Rock, en 2016 et 2017, on notait la présence de drapeaux palestiniens en solidarité avec cette lutte. Selon Estes, ce signe de réciprocité
« remontait à la solidarité internationale avec les mouvements du Sud mondial et, plus spécifiquement, avec nos cousins palestiniens ». Quant au « colonialisme de peuplement en Israël – ou, plutôt, en Palestine », conclut-il, il s’agit « réellement d’une extension du colonialisme de peuplement en Amérique du Nord ».
« Cette histoire (…) est une histoire sans fin de génocide, de colonialisme de peuplement et, au fond, c’est celle des mythes fondateurs de ce pays », déclare Estes, et cela ressemble très fortement aux histoires des origines concernant l’État d’« Israël ».
En outre, il explique que l’actuel génocide perpétré contre la vie palestinienne tire ses racines dans la croyance que la société coloniale agissait en « autodéfense » préventive, lorsqu’elle anéantissait le peuple autochtone.
Sinon, poursuit l’histoire, les autochtones auraient attaqué les colons, une excuse que les médias répètent en ressassant à tout bout de champ le droit d’Israël à l’autodéfense.
« Mais on n’accorde jamais aux colonisés le droit à l’autodéfense ou le droit de ne pas être anéantis »,
ajoute Estes dans une déclaration qui reflète les affirmations de Kanafani.
La section intitulée « Kanafani et les médias », introduite avec à-propos par Romana Rubeo, la rédactrice en chef de The Palestine Chronicle, propose un entretien entre l’écrivain martyr et Richard Carleton, de l’Australian Broadcasting Company (ABC).
Comme l’explique Romana Rubeo, Kanafani
« se montrait conscient de la guerre des récits qui sévissait à l’époque » (p. 194) et, de ce fait, il choisissait très soigneusement les mots pour définir la lutte palestinienne pour la liberté, et cela ressemble fortement à la façon de procéder d’Estes actuellement.
Les réponses de Kanafani sont toujours applicables de nos jours, prétend Romana Rubeo. En réponse à l’allégation de Carleton prétendant que la guerre jordanienne avait été « stérile », Kanafani avait répondu :
« Nous en sommes arrivés à ce que notre peuple ne puisse jamais être vaincu » (p. 194),
et cette allégation reste vraie à ce jour.
Quand on lui demandait pourquoi le Front refusait de s’engager dans des pourparlers de paix, Kanafani répondait que ce genre de pourparlers se soldaient par une « capitulation », une sorte de « conversation entre l’épée et le cou » qui se terminait par une « reddition » (p. 197)
Kanafani s’étendait ensuite sur ce qu’il considérait comme l’essence de la résistance :
« Pour nous », concluait-il, « libérer notre pays, jouir de la dignité, jouir du respect, disposer de véritables droits humains est quelque chose d’aussi essentiel que la vie même » (p. 198).
Dans cette seule phrase, il expliquait ce qui allait devenir la justification du 7 octobre.
À ce jour, écrit Ramzy Baroud, le fondateur de The Palestine Chronicle, les puissances occidentales et leurs partisans libéraux continuent de parler d’apporter la paix au Moyen-Orient, mais ils oublient habituellement de mentionner la justice.
« En ce qui concerne les Palestiniens », affirme Baroud, « il ne peut y avoir qu’un seul ‘arrangement’ acceptable, un arrangement qui repose sur l’application totale des lois internationales, y compris le droit des Palestiniens au retour et leur droit à l’autodétermination ».
De même, la section suivante, présentée par Ibrahim Aoude, apporte des leçons en vue de développer une contre-narration au projet colonial sioniste. La controverse tournait autour d’un ouvrage intitulé « Enfants d’Israël », un texte destiné au départ à être utilisé dans les écoles publiques danoises. Rédigé par un écrivain « israélien », le livre incluait ce qu’Edward Saïd définissait comme « orientalisme », une combinaison « de racisme, de colonialisme de peuplement et d’arrogance » (p. 202) utilisée afin de justifier la supériorité du colonisateur sur l’autre.
Des allers et retours épistolaires entre le FPLP et l’éditeur ont mis ce dernier sur la défensive et l’échange se traduisit finalement par le retrait des livres. Les enjeux pour le FPLP étaient élevés, explique Aoude, du fait que les forces sionistes contrôlaient déjà les médias comme elles le font toujours aujourd’hui (p. 203).
Ce recueil d’écrits de Kanafani fournit tout un matériel précieux à des fins d’éducation politique. Comme la répression s’accroît contre les Palestiniens de la diaspora et leurs sympathisants, il est important de connaître cette histoire. Ce n’est qu’alors qu’on pourra mettre sur pied une défense solide contre ceux qui ont l’intention de réduire à jamais au silence toute l’organisation autour de la Palestine.
Bassem Tamimi, le père d’Ahed Tamimi, originaire du village de Nabi Salih en Cisjordanie occupée par « Israël », avait pris la parole ici, à Albuquerque, voici plusieurs années. Quand un membre du public lui avait demandé ce qu’il faisait pour prendre soin de lui-même, Tamimi avait répondu : « Je continue de résister. » La résistance est l’essence de son existence, comme elle l’était pour Kanafani et ses compagnons palestiniens voici bien des années déjà.
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Publié le 1er décembre 2024 sur The Palestine Chronicle.
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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