Israël établit des faits sur le terrain en Cisjordanie

L’offensive meurtrière d’Israël qui se déroule actuellement en Cisjordanie a pour ainsi dire vidé plusieurs camps de réfugiés.

Israël établit des faits sur le terrain en Cisjordanie. Photo :10 février 2025. Des soldats de l'occupation israélienne sont déployés dans le camp de réfugiés d'al-Faraa, sur les contreforts de la vallée du Jourdain.

10 février 2025. Des soldats de l’occupation israélienne sont déployés dans le camp de réfugiés d’al-Faraa, sur les contreforts de la vallée du Jourdain. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)



Tamara Nassar
, 12 février 2025

 

Environ 40 000 Palestiniens ont ainsi été déplacés de force depuis le 21 janvier, date à laquelle Israël a lancé son opération militaire, baptisée « Muraille de fer », contre le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord. Depuis, Israël a prolongé son offensive vers le camp de réfugiés de Tulkarem et celui tout proche (3 km) de Nur Shams, dans le nord également. Le camp de réfugiés d’ Al-Faraa, sur les contreforts de la vallée du Jourdain, au sud de Tubas, a lui aussi été ciblé.

L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a dit que l’offensive meurtrière et destructrice « est aujourd’hui la plus longue de toutes en Cisjordanie depuis la Seconde Intifada ».

L’opération israélienne est consécutive à une série d’attaques contre les camps de réfugiés de la Cisjordanie occupée, lesquelles les ont rendus « inhabitables », selon l’UNRWA, en imposant à leurs habitants une situation de « déplacement cyclique ».

Il s’agit d’un « débordement de la guerre à Gaza » a ajouté l’agence.

En effet, l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas s’est heurté à une forte opposition de la part de l’aile extrême-droitière de la coalition. Cela a forcé le gouvernement israélien à orchestrer l’opération à grande échelle en Cisjordanie occupée comme une extension de la guerre à Gaza.

Elle était « destinée à procurer aux partis d’extrême droite une couverture pour rester au sein de la coalition au pouvoir », écrit Amos Harel, un analyste du journal israélien Haaretz.

« Ils peuvent prétendre que la guerre contre le terrorisme se poursuit sans faiblir, particulièrement dans les zones qui préoccupent grandement leurs électeurs. »

L’approche génocidaire de l’armée israélienne à Gaza ne semble pas avoir disparu avec le commencement du cessez-le-feu.

L’approche de style « tout est dangereux, donc tout est permis », telle que la présente Harel, « a débordé en Cisjordanie », à tel point que

« certains commandants essaient de calmer l’atmosphère au moment où les conscrits se redéploient de Gaza vers la Cisjordanie ».

Il reste un grand appétit de revanche parmi les soldats israéliens.

« Des conversations entre des officiers de réserve et la jeune génération révèlent une ambiance sauvage, un extrémisme qui considère le fait de nuire aux Palestiniens comme un règlement de compte suite au massacre »,

poursuit Harel.

Cela comprend des tactiques qui se chevauchent, telles que le siège des hôpitaux, la destruction des routes avoisinantes, le meurtre délibéré de Palestiniens – enfants y compris –, les dynamitages et les bombardements aériens, des actions dont la plupart sont « devenues monnaie courante », estime l’UNRWA.

Cet appétit peut être également attisé par les ordres militaires israéliens en vue d’étendre la politique de déclenchement des tirs. Des commandants et des soldats ont dit à Haaretz que deux commandants avaient émis des directives permettant aux forces militaires d’abattre et de tuer toute personne « se déplaçant sur le terrain », selon Avi Bluth, chef du commandement central de l’armée.

Des sources de l’armée israélienne ont également révélé au journal qu’un autre commandant avait donné l’ordre à ses forces de recourir à des munitions réelles contre tout véhicule s’approchant d’un check-point depuis les zones considérées comme zones de combat.

L’armée israélienne a déclaré qu’il n’y avait « pas de changement » dans les ordres de déclenchement des tirs et qu’il s’agissait d’une initiative d’officiers supérieurs du commandement central de l’armée. Quoi qu’il en soit, les forces d’occupation israéliennes ont toujours poursuivi une politique de la gâchette facile accompagnée d’un mépris extrême envers les vies palestiniennes et encouragée par l’impunité dont jouissent ses soldats.

 

Le meurtre d’une femme enceinte

Depuis le 21 janvier, l’armée a envahi plusieurs zones et camps de réfugiés, effectué des frappes aériennes, détruit des infrastructures importantes telles que lignes électriques, réseaux d’égouts et de distribution d’eau, perquisitionné des maisons, arrêté des jeunes gens et déployé des snipers dans les zones résidentielles.

Près de 50 Palestiniens ont été tués dans ces zones et plus d’une centaine ont été blessés.

Israël agit de la sorte sous le prétexte d’écraser la résistance armée qui est apparue dans ces zones afin d’affronter la colonisation et le vol de terres palestiniennes par Israël.

À Tulkarem et dans son camp de réfugiés, ainsi que dans la zone de Jénine, des écoles pour enfants palestiniens ont été obligées de fermer leurs portes suite à l’offensive israélienne en cours.

Les forces israéliennes ont imposé un siège à deux hôpitaux de Tulkarem, perturbant grandement les soins médicaux, et plus particulièrement les dialyses rénales de certains patients.

Le 9 février, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur un jeune couple en voiture au moment où il sortait de chez lui, dans le camp de réfugiés de Nur Shams.

L’attaque a tué Sundus Jamal Shalabi, 23 ans, qui était enceinte dans son troisième trimestre, et a laissé son mari dans un état critique, selon une enquête sur le terrain réalisée par le Centre palestinien des droits humains (CPDH).

Les forces israéliennes ont alors entravé le mouvement des travailleurs médicaux et des ambulances pendant une heure environ, retardant ainsi l’assistance médicale. Les médecins ont été dans l’impossibilité de sauver l’enfant à naître de Sundus.

« La camp de Jénine est vide aujourd’hui, ce qui ravive des souvenirs de la Seconde Intifada »,

a déclaré l’UNRWA.

« Cette scène risque de se répéter dans d’autres camps. »

Le raid meurtrier de l’Autorité palestinienne, qui a duré plus d’un mois entre décembre et janvier dernier, a continué d’« exacerber » le déplacement forcé des Palestiniens, a déclaré l’UNRWA.

Rien que cette année, Israël a mené quelque 40 frappes aériennes en Cisjordanie.

 

Les yeux braqués sur la Cisjordanie

Tout au long du génocide perpétré par Israël à Gaza, les colons et certains ministres israéliens ont publiquement parlé de repeupler la bande de Gaza. Le président américain Donald Trump peut avoir ravivé cette ambition avec sa déclaration disant que Gaza devrait être vidé de ses habitants et qu’on devrait y développer un projet immobilier de luxe.

Mais, selon des réponses nettement moins sonores émanant de médias et d’hommes politiques traditionnels, y compris des chefs d’État arabes, Israël accélère régulièrement sa colonisation et le nettoyage ethnique des Palestiniens en Cisjordanie occupée, et il en va ainsi depuis des décennies.

Le tout premier centre d’intérêt israélien a toujours été le territoire plus vaste et stratégiquement plus important qui constitue un cinquième de la Palestine historique : la Cisjordanie occupée.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est fait l’écho de ce sentiment lors du Forum économique mondial de Davos, le mois dernier.

« Il est clair à mes yeux qu’Israël n’est pas fondamentalement intéressé par Gaza. Il est par contre fondamentalement intéressé par la Cisjordanie »,

a-t-il dit.

La réalité sur le terrain est indéniable.

Tout au long de l’année 2024, Israël a franchi des étapes importantes en vue d’étendre sa présence en Cisjordanie, il a sévèrement restreint les mouvements des Palestiniens et a alloué des dizaines de millions de dollars à des projets liés à des colonies de peuplement.

« Ç’a été l’année au cours de laquelle le plan d’annexion du gouvernement a commencé à être mis en pratique »,

a déclaré Peace Now, l’organe de surveillance de la colonisation israélienne.

L’organisation cite un accord de 2022 entre le parti au pouvoir, le Likoud, et l’aile d’extrême droite du sionisme religieux qui s’articule en formant une coalition sur un plan qui inclut l’annexion de la Cisjordanie occupée et la légalisation des colonies.

 

Créer les faits sur le terrain

Au moins 59 « avant-postes » israéliens ont été créés en Cisjordanie l’an dernier.

C’est un nombre sans précédent.

À titre de comparaison, moins de sept avant-postes ont été établis en moyenne en Cisjordanie chaque année depuis 1996.

Alors que toutes les colonies israéliennes de Cisjordanie occupée sont illégales en vertu du droit international et qu’en installer constitue un crime de guerre, ce que désigne Israël comme « avant-poste » est souvent installé sans même la permission d’Israël et est considéré comme illégal en vertu des lois israéliennes aussi.

À leurs débuts, les avant-postes comprennent souvent un petit nombre de colons parmi les plus extrémistes qui se rassemblent dans une certaine zone, avec quelques caravanes ou structures qui, souvent, ne sont même pas raccordées à l’eau ou à l’électricité.

Bezalel Smotrich, le ministre des finances israélien, un ultra de l’extrême droite, a tenté de rationaliser le processus de légalisation et de reconnaissance des avants-postes dans le cadre des lois israéliennes en leur procurant des services de base et en créant les faits sur le terrain.

Pour la première fois depuis que l’Organisation de libération de la Palestine et Israël ont signé les accords d’Oslo dans les années 1990, certains de ces avant-postes ont été établis en Zone B.

Tour au long de cette année, Israël a également construit des centaines de routes illégales traversant la Cisjordanie occupée et facilitant ainsi l’accès israélien aux colonies tout en gênant considérablement le mouvement des Palestiniens.

Près de 6 000 acres (2 400 hectares, soit 24 km² – NdT) de terres palestiniennes ont été déclarées « terres d’État » par Israël. Cela constitue la moitié de toutes les terres d’État déclarées depuis la signature des accords d’Oslo.

Déclarer de la terre palestinienne « terre d’État » constitue une manœuvre juridique visant à confisquer de la terre appartenant à des Palestiniens en interprétant une loi ottomane qui était utilisée il y a environ deux siècles, mais dans un contexte totalement différent.

« Dans le cadre de l’annexion de la Cisjordanie, Israël investit des milliards de shekels dans la consolidation des colonies, la modification du système juridique et l’affaiblissement de l’Administration civile »,

a déclaré Peace Now.

« Fait plus important, il modifie intégralement le paysage physique. »

 

*****

Publié le 12 février 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Vous aimerez aussi...