Une invasion de Gaza par les EU pourrait sonner la fin d’Israël

Alors que même le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a commencé à faire marche arrière au nom de son homologue américain Donald Trump, en le corrigeant lui et ses menaces d’invasion de Gaza, certains éléments de la rhétorique du président américain dominent toujours le discours concernant les retombées de l’après-guerre pour les Palestiniens.

 

Une invasion de Gaza par les EU pourrait sonner la fin d'Israël. Affiche : Le président des États-Unis Donald Trump. (Design : The Palestine Chronicle)

Design : The Palestine Chronicle

 

Présentée dans le cadre du précédent article d’analyse de The Palestine Chronicle sur le sujet, la probabilité du plan de Donald Trump en vue de s’assurer la « propriété » de la bande de Gaza est faible. Il est plus probable, en fait, que ses propos aient été une tactique verbale « de choc et de crainte » calculée afin de garder unie la coalition d’extrême droite de Benjamin Netanyahou, de masquer son incapacité à venir à bout du Hamas et de créer un levier en vue du futur expansionnisme israélien.

 

Ce à quoi ressemblerait Gaza en tant que « propriété » de Trump

Donald Trump a présenté son plan pour Gaza comme une idée « sortant des sentiers battus », cherchant en fin de compte à créer la prospérité des « gens de la région ». Les termes utilisés ici sont plutôt bien choisis. D’une part, cela ressemble à un geste humanitaire très réfléchi aux yeux de sa base de partisans, dont un très grand nombre n’ont pas la moindre idée des réalités sur le terrain, tout en exauçant par ailleurs les rêves les plus fous des extrémistes sionistes les plus enragés.

Il est clair, en voyant les réponses du public, que les remarques de Trump ont été perçues de deux façons : une majorité ont vu en elles une déclaration de guerre visant à nettoyer ethniquement des millions de Palestiniens, alors qu’au moins une partie de sa base y a vu un arrangement immobilier humanitaire.

La vérité, en présument que ses propos aient réellement voulu traduire sa politique, c’est que cela constituerait une invasion à grande échelle et des expulsions par la violence de réfugiés déjà déplacés.

La douzaine d’organisations de la Résistance palestinienne qui opèrent à l’intérieur de la bande de Gaza ont violemment résisté pendant 15 mois à une agression israélienne à grande échelle soutenue par les États-Unis et les nations européennes. Bien que le Premier ministre israélien ait insisté à maintes reprises en disant que ses buts de guerre étaient de « détruire le Hamas » et de récupérer les captifs israéliens détenus de force à Gaza, ses forces armées ne sont pas parvenues à mener leurs missions à bien.

Même si cela peut paraître contre-intuitif, une invasion de Gaza par les EU se traduirait par des pertes en hommes bien plus lourdes que celles que les organisations armées palestiniennes sont parvenues à infliger aux forces israéliennes. Pourquoi donc, diriez-vous ? Parce que, en fait, Israël n’a jamais élaboré de plan en vue de vaincre les organisations armées palestiniennes. En lieu et place, il a infligé un génocide, pulvérisé la quasi-totalité des infrastructures du territoire et, en maintes occasions, commis des assassinats ciblés.

Les idées émises au début de la guerre, selon lesquelles les soldats israéliens allaient opérer de porte à porte, d’une rue à l’autre avec leurs forces terrestres, pour dégager des zones en s’engageant dans des combats acharnés et en pénétrant dans le système de tunnels souterrains de Gazas, ne se sont tout simplement pas matérialisées. Même dans les cas occasionnels où les équipes des forces spéciales ont été utilisées pour tenter de reprendre des captifs, de pénétrer dans un tunnel ou de tendre une embuscade à une unité armée palestinienne, elles n’ont que très rarement été en mesure de produire le moindre résultat tangible. Ces opérations ont été l’exception et non la règle.

Ce qui s’est passé sur le terrain au cours des quinze mois de guerre, a consisté en ce que les combattants palestiniens ont défini une stratégie reposant sur des embuscades et sur des tirs d’artillerie. Leurs opérations peuvent être divisées en trois catégories principales : des embuscades contre des positions stationnaires israéliennes, des embuscades contre des convois en déplacement et des attaques d’artillerie à courte et moyenne portée.

L’approche adoptée par les combattants palestiniens était une stratégie bien préparée. Elle cherchait à économiser les munitions, vu l’absence de lignes de livraison vers Gaza, tout en recourant également à des tactiques efficaces visant à infliger le maximum de pertes et à mettre hors d’état les véhicules ennemis. Contrairement au Hezbollah libanais, qui cherchait à garder son territoire et à repousser les avancées ennemies, les combattants de Gaza permettaient aux forces israéliennes d’avancer et les coinçaient ensuite dans des embuscades meurtrières.

Il y a eu quelques cas isolés où les organisations armées palestiniennes ont essayé de conserver temporairement du territoire et d’empêcher la progression de Israéliens, comme au moment de la deuxième invasion majeure du camp de réfugiés de Jabaliya, en mai 2024.

Dans l’intervalle, disons-le carrément, les soldats israéliens ne combattaient pas vraiment. Ils avaient abandonné la logique militaire acceptée. Au lieu de cela, ils avaient décidé d’envoyer leurs forces entassées dans des véhicules militaires lourdement blindés afin de pénétrer dans une zone, avant d’y créer des positions fortifiées. Les Israéliens ne plaçaient même pas des soldats de l’infanterie devant ou derrière leurs chars, quand ils avançaient ; ils s’appuyaient sur l’efficacité de leurs procédures d’évacuation médicale et sur leurs systèmes de protection active et de blindage, afin de minimiser leurs pertes d’effectifs.

Bien que les chiffres de ses pertes ne soient pas fiables, Israël a officiellement annoncé que 15 000 soldats avaient été blessés durant les 15 mois de guerre, et qu’environ 800 avaient perdu la vie. Ce qui indique un rapport blessés-tués plus élevé, comparé à d’autres théâtres modernes de guerre urbaine.

Le fait qu’il n’existe guère de prises de vue de soldats israéliens les montrant engagés dans des combats directs, alors que les organisations armées palestiniennes ont diffusé un flux quasi quotidien de vidéos montrant leurs étonnantes embuscades, est suffisamment éloquent.

Un grand nombre de vidéos illustrent toutefois la majeure partie du travail de l’armée israélienne, qui arrêtait des civils en grands nombres, dynamitait des maisons, détruisait des quartiers entiers au bulldozer et tuait arbitrairement des gens désarmés. Le tout était associé à des centaines de vidéos fièrement téléchargées par des soldats à titre individuel et les montrant en train de porter des sous-vêtements féminins, de déféquer à même le sol dans des maisons, de saccager des magasins, etc.

Il suffit de dire que, si l’armée américaine envahit Gaza – ce qui serait le cas avec le nettoyage ethnique proposé par Donald –, ses soldats devraient réellement faire la guerre, au contraire des Israéliens qui avaient bien trop peur de perdre des hommes pour s’en prendre réellement à la résistance palestinienne d’une manière significative.

Une force de résistance palestinienne expérimentée, équipée d’armes prélevées sur les innombrables munitions israéliennes non explosées, affronterait une force d’invasion américaine qui serait forcée de se frayer un chemin à pied de zone en zone et de pénétrer dans les systèmes des tunnels souterrains.

Les soldats américains subiraient des embuscades en permanence, seraient victimes de tirs de snipers, d’engins explosifs improvisés, de RPG et de tirs d’artillerie 24 heures sur 24. S’ils installent des check-points, ils seront susceptibles d’être attaqués aussi et si leur but est d’occuper Gaza, cela signifiera probablement un flux constant de soldats américains morts sur une période de quelques années. Alors que le nombre de victimes serait incroyablement malaisé à prédire, on peut dire avec certitude que des milliers de militaires américains pourraient être tués.

Planifier une telle invasion, qui signifierait probablement le déploiement de quelque 150 000 dans la zone, requerrait environ 8 mois de préparatifs. Le coût pourrait attendre des centaines de milliards, alors qu’il n’y a aucune garantie que le plan fonctionne, ce qui signifierait une défaite américaine possible des mains du Hamas ; tout cela repose essentiellement sur la capacité du parti palestinien de survivre et de la population de Gaza de rester en place.

 

Les régimes arabes et l’effondrement de la normalisation

En présumant désormais que Donald Trump parvienne à nettoyer ethniquement une partie importante de la population de Gaza en l’envoyant en Égypte et en Jordanie, ces deux pays seraient déstabilisés, surtout la Jordanie.

Selon des informations divulguées, Le Caire a fait savoir en privé que le déplacement massif de Palestiniens vers l’Égypte pourrait amener celle-ci à reconsidérer son traité de normalisation avec Israël. Certains ont déjà calculé que l’armée égyptienne pourrait être forcée d’agir contre les Israéliens. Dans l’intervalle, Middle East Eye a rapporté qu’Amman pourrait menacer de recourir à une action militaire, dans le cadre de cette question.

Alors que l’idée de voir les armées jordanienne et égyptienne se lancer dans l’une ou l’autre action offensive contre Israël est plutôt tirée par les cheveux, l’effondrement de leurs accords de normalisation ne l’est pas. Les deux nations se débattent financièrement et la perspective de troubles civils installe la crainte dans les cœurs de leurs dirigeants.

En Jordanie, un afflux de centaines de milliers de Palestiniens de Gaza serait une source certaine de déstabilisation. Pour commencer, la capacité d’absorber un tel volume de population est pour ainsi dire inexistante. Le point le plus important à retenir, toutefois, c’est que le seul endroit où installer cette population serait dans des zones proches de la frontière avec la Palestine occupée.

Sur ces problèmes rencontrés par les infrastructures d’État pour absorber un tel afflux de population (dont de nombreuses personnes qui auront besoin d’être soignées pour diverses blessures ou maladies), vient se greffer un autre facteur : la réaction de la population jordanienne. Une grande partie des Jordaniens sont des Palestiniens chassés de leurs terres au cours de la Nakba (1947-1949), de la Naksa (1967) et en 1970-1971.

D’énormes sections des citoyens de Jordanie, qui en ont déjà jusque-là émotionnellement de l’inaction au cours du génocide de Gaza, vont être furieux contre leur souverain hachémite du fait qu’il aura participé au nettoyage ethnique.

Actuellement, vous avez là un public souffrant économiquement et vivant sous des tensions politiques qui va se retrouver uni à une population de réfugiés dont beaucoup auront des combattants de la résistance ou des personnalités politiques dans leurs familles. Il faut s’attendre à ce que se produise un soulèvement contre Israël et ce, à l’intérieur du pays qui partage la plus grande frontière terrestre avec Israël. Au cas où émergerait un mouvement révolutionnaire qui chercherait à combattre les Israéliens, l’État de Jordanie serait fracturé et, le mouvement se trouvant à proximité de l’Irak et de la Syrie, le passage d’armes en fraude serait très simple.

En Égypte, les perspectives d’un tel scénario sont nettement plus réduites mais, même si un petit nombre d’Égyptiens et/ou de Palestiniens décidaient de lancer une offensive contre une position frontalière d’Israël, cela pourrait provoquer une incursion israélienne dans le Sinaï.

Tous ces scénarios ne sont en aucun cas garantis mais, dans le cas particulier de la Jordanie, le nettoyage ethnique serait la source d’un chaos qui n’attend que d’être déclenché. Personne dans la région n’oubliera ce qui s’est passé dans la bande de Gaza, malgré l’inaction relative dont nous avons été témoins récemment.

Enfin, le génocide à Gaza va inspirer plus de monde à résister et c’est quelque chose que les dirigeants arabes comprennent tous très bien. La Nakba a déjà laissé une cicatrice indélébile dans la psyché du monde arabe, mais ce qui s’est passé à Gaza en a provoqué une autre qui éclipse la première.

Amman et Le Caire craignent les répercussions des plans de Donald Trump, parce qu’ils s’en trouveront impactés directement. En outre, Israël sera le pays le plus menacé, dans le cas d’un tel scénario. Quant aux EU et à leur capacité de se constituer des relations dans la région, on se retrouvera plus loin encore d’une normalisation entre les Saoudiens et les Israéliens qu’on ne l’a jamais été.

Pour les États-Unis, Trump n’a pas de mandat populaire, et surtout pas de mandat légal. Les coûts de sa proposition seraient financièrement énormes, alors que les pertes en vies humaines parmi ses soldats porteraient un coup particulièrement rude à sa crédibilité. Les nations arabes des alentours seraient sans aucun doute déstabilisées, sinon renversées. Et les Israéliens eux-mêmes pourraient même se retrouver face à la plus grande menace stratégique de leur histoire.

L’ancien secrétaire d’État américain, Antony Blinken, dans l’un de ses tout dernier discours de politique étrangère prononcé lors d’un événement organisé par le comité d’experts du Conseil atlantique, a même mis en garde contre les répercussions possibles au cas où les EU et Israël ne voudraient pas envisager la mise en place d’un État palestinien.

Alors que la première partie du discours de Blinken tournait autour du soutien des points importants de la propagande de Washington, il émettait dans la seconde partie des mises en garde prudentes et crédibles qui contredisaient la première partie. Il mettait en garde contre l’effondrement des traités de normalisation de Tel-Aviv avec l’Égypte et la Jordanie, en affirmant que, en l’absence d’une « solution à deux États », cela pourrait devenir une réalité dans un futur prévisible.

Étant donné tous les points susmentionnés, une invasion et une occupation de Gaza par les États-Unis, associées à un nettoyage ethnique, constituent une absurdité à tous les niveaux. Il s’agit d’une entreprise assassine et génocidaire qui n’a de sens pour personne.

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Publié le 7 février 2025 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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