Des Palestiniens de Cisjordanie forcés de fuir l’armée israélienne
Pour l’instant, Israël mène sa plus grande campagne de déplacement forcé de Palestiniens en Cisjordanie occupée depuis 1967.

10 février 2025. Dans le cadre de son offensive « Muraille de fer » contre la Cisjordanie occupée, l’armée israélienne déplace de force des Palestiniens le long d’un chemin de terre du camp de réfugiés de Nur Shams. (Photo : Wahaj Bani Moufleh / :ActiveStills)
Tamara Nassar, 20 février 2025
C’est l’année où Israël a occupé la Cisjordanie, la bande de Gaza, la péninsule égyptienne du Sinaï et les hauteurs syriennes du Golan et a chassé dans la foulée des centaines de milliers de Palestiniens de leurs foyers.
Cette fois, près de 40 000 Palestiniens ont été forcés de fuir leurs maisons des camps de réfugiés de Cisjordanie depuis qu’Israël a lancé une attaque massive concentrée sur les camps de Jénine, de Tulkarem et de Nur Shams, près de Tulkarem, ainsi que de Tubas, dans la partie nord de la Cisjordanie occupée.
Ces camps hébergeaient des Palestiniens déplacés de force de leurs villes et villages en Palestine historique dans le sillage de la campagne de nettoyage ethnique menée par les milices sionistes et l’armée israélienne, qui avaient chassé des centaines de milliers de Palestiniens en 1948.
Le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) a déclaré qu’il s’agissait de « niveaux de déplacement massif sans précédent en Palestine occupée depuis des décennies ».
Alors qu’Israël a insisté sur le fait que l’objectif de son offensive militaire était d’écraser la résistance dans les camps, les Palestiniens craignent que leur déplacement forcé ne soit le but réel de l’opération.
Des témoignages rassemblés par l’agence des droits humains incluent des récits de résidents auxquels les forces israéliennes ont dit qu’il ne leur serait plus permis de retourner au camp de réfugiés ou qu’ils devraient l’« oublier ».
L’agence a même dit avoir reçu des photos du camp de Jénine montrant des rues
« venant d’être nivelées au bulldozer et nanties de nouveaux panneaux avec le nom de plusieurs rues en hébreu ».
Il convient de comprendre cela dans un contexte élargi, avec des déclarations et des actions de responsables du gouvernement israélien signalant une poussée vers l’annexion de la Cisjordanie occupée.
« À ce propos, nous répétons que tout transfert forcé à l’intérieur d’un territoire occupé ainsi que toute déportation hors d’un territoire occupé sont strictement interdits et sont considérés comme des crimes par le droit international »,
a ajouté l’agence des droits humains.
Ces Palestiniens déplacés se réfugient avec leurs familles ou amis dans des écoles, des mosquées, des salles de mariage et autres endroits.
Alors qu’une infime fraction – 3 000 sur 40 000 – a regagné ses foyers, la plupart sont restés déplacés depuis plus de trois semaines. Ce déplacement surpasse celui d’une autre offensive israélienne lors de la Seconde Intifada en 2002, rapporte The New York Times, citant quatre experts restés anonymes.
Les destructions
Même si les Palestiniens pouvaient rentrer chez eux, ils découvriraient les destructions extensives provoquées par Israël dans leurs communautés et camps de réfugiés.
Les dégâts étaient déjà passablement importants avant le début de ce qu’Israël appelle son opération « Muraille de fer », le 21 janvier.
Entre octobre 2023 et octobre 2024, il y a eu pour 16 millions de USD de dégâts et de destruction dans le secteur du logement en Cisjordanie occupée, selon un rapport d’évaluation commun des Nations unies, de l’Union européenne et de l’Organisation de la Banque mondiale.
À peine 61 pour 100 des centres de santé des gouvernorats ayant fait l’objet d’une évaluation étaient pleinement opérationnels.
Les systèmes d’eau et d’assainissement ont été détruits dans quatre camps de réfugiés, selon l’OCHA, l’organisation de contrôle de l’ONU, et certaines infrastructures hydrauliques ont même été contaminées par des eaux usées.
Des routes et des infrastructures vitales, dont l’électricité, l’eau et les systèmes d’égouttage, avaient déjà été sévèrement endommagées en raison des raids israéliens successifs et prolongés contre les camps de réfugiés après le 7 octobre 2023.
Les bulldozers israéliens ont défoncé des tronçons de routes sous le prétexte de dégager des engins explosifs improvisés plantés par les combattants armés afin de faire sauter les véhicules de l’armée israélienne. Alors que cette façon de faire a infligé une punition aux résidents des camps impliqués dans les combats, des analystes ont fait remarquer qu’elle ne pouvait empêcher efficacement les combattants de planter leurs engins mais que, au contraire, cela pouvait même leur faciliter la tâche.
Le camp de réfugiés de Jénine – aujourd’hui quasiment vidé de ses résidents – subit toujours les destructions d’Israël. Le maire Mohammed Jarrar a déclaré aux médias qu’Israël « avait adopté un modèle de destruction aléatoire » en vue de rendre le camp « inhabitable ».
L’expansion du peuplement
Pendant ce temps, au beau milieu de cette campagne de déplacement massif, l’expansion du peuplement par Israël s’intensifie. L’Administration civile israélienne – le bras bureaucratique de l’occupation militaire israélienne – a publié une nouvelle proposition de construction de près d’un millier d’unités d’habitation dans la colonie d’Efrat, à proximité de la ville palestinienne de Bethléem.
Cela augmenterait la population exclusivement juive de la colonie de 40 pour 100, selon Peace Now, une organisation de contrôle de l’expansion des colonies dont le siège est situé en Israël.
Cette colonie se trouve dans une zone hautement stratégique de la Cisjordanie occupée. Si Israël annexe la colonie, cela va couper tout le sud de la Cisjordanie de sa partie nord, perturbant ainsi l’accès à l’Autoroute 60, qui passe à l’ouest de la colonie et dont dépendent les Palestiniens.
« Pour cette raison, dans toutes les négociations menées à ce jour entre Israël et les Palestiniens autour d’un règlement permanent »,
a déclaré Peace Now,
« les Palestiniens ont insisté pour qu’Efrat ne soit pas annexé à Israël afin de pouvoir garantir la continuité territoriale de la Cisjordanie et le potentiel de développement de la métropole de Bethléem. »
La zone d’expansion s’étend sur près de 160 acres (64 hectares).
« Alors que les gens en Israël jettent leur dévolu sur la libération des otages et la fin de la guerre, le gouvernement Netanyahou opère comme s’il était dopé aux stéroïdes pour établir des faits sur le terrain qui détruiront toute possibilité de paix et de compromis »,
a encore dit Peace Now.
Les tueries
Au cours de l’opération, qui dure depuis près d’un mois, Israël a tué au moins 44 Palestiniens, dont des enfants, et en a blessé un grand nombre d’autres, fait savoir l’agence de l’ONU pour les droits humains. Le Centre palestinien pour les droits humains a estimé que le nombre de morts était encore plus élevé.
L’offensive militaire, un effort coordonné impliquant l’armée d’Israël, son agence d’espionnage intérieur le Shin Bet et sa police des frontières, inclut le déploiement de snipers israéliens dans les quartiers résidentiels, des perquisitions domiciliaires, des arrestations de jeunes, des bombardements aériens et la destruction de bâtiments et d’infrastructures vitales, tels les systèmes de l’eau, de l’électricité et de l’égouttage.
Le 12 février, les forces israéliennes ont tué un enfant palestinien du camp de réfugiés de Nur Shams et ont confisqué ensuite son cadavre.
Muhammad Ghassan Abed, 16 ans, se trouvait dans le quartier des Écoles, dans la partie ouest du camp.
Defense for Children International – Palestine n’a pu mener jusqu’au bout son enquête sur le terrain du fait que le corps de Muhammad a été confisqué, ce qui fait que l’on ne sait rien de la façon exacte dont il a été tué, ni non plus de la nature de sa ou ses blessures.
Deux jours après sa mort, le ministère de la santé de l’Autorité palestinienne a reçu un rapport indiquant que les forces israéliennes avaient confisqué trois corps en provenance du camp de réfugiés de Nur Shams, dont celui de Muhammad. Cette information a été transmise par la liaison palestinienne coordonnée aux autorités israéliennes.
Des médias locaux ont diffusé une photo de la zone montrant un bulldozer de l’armée israélienne portant sur sa lame des décombres recouverts d’une couverture. Cela a fait soupçonner que la lame du bulldozer transportait des corps, une méthode qui avait déjà été utilisée précédemment par les forces israéliennes. La famille de Muhammad n’a reçu aucune notification officielle de la mort de son enfant.
Les déplacements forcés en masse des résidents du camp de réfugiés de Nur Shams sont une des raisons pour lesquelles aucun témoin oculaire n’a pu vérifier comment Muhammad avait été tué.
« La profanation du corps de Muhammad par les forces israéliennes constitue une violation du droit international humanitaire et des lois internationales des droits humains »,
a déclaré DCI-P.
Un adolescent palestinien de 15 ans est mort le 17 février de blessures encourues le 1er février lorsqu’il a été touché par un éclat d’obus en provenance d’une frappe de drone israélien ciblant un véhicule tout proche.
Diyaa al-Din Ahmad Sabaaneh se tenait devant la boutique de son père dans le quartier de Qabatiya, dans la partie sud de Jénine, quand le drone a frappé une voiture avec deux hommes à son bord. Un éclat d’obus a touché Diyaa al-Din à la tête, a rapporté DCI-P.
Il est resté dans le coma et les médecins ont été dans l’impossibilité de l’opérer en raison de la gravité de ses blessures.
La mort de Sabaaneh porte à 14 le nombre d’enfants palestiniens tués par Israël en Cisjordanie occupée depuis le début de l’année. Plus de la moitié ont été tués par des frappes de drone, et la plupart des autres par balles.
Entre-temps, il semble que le commandement de l’armée israélienne ait donné des ordres de tir à volonté en Cisjordanie occupée.
« Ce n’est pas à cela que ressemble un cessez-le-feu »,
a déclaré l’organisation israélienne des droits humains, B’Tselem.
« Israël a transplanté en Cisjordanie les pratiques militaires qu’il utilisait à Gaza. »
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Publié le 20 février 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine