L’odeur de la mort est revenue à Gaza

 

L'odeur de la mort est revenu à Gaza. Photo : 18 mars 2025. Les corps des Palestiniens tués par une frappe de l'aviation israélienne à Khan Younis reposent à l'hôpital Européen.

18 mars 2025. Les corps des Palestiniens tués par une frappe de l’aviation israélienne à Khan Younis reposent à l’hôpital Européen. (Photo : Doaa el-Baz / APA images)



Jannah Ahmad Abu Sitta
, 18 mars 2025


Je ne sais pas l’heure qu’il est.

Je ne me souviens pas du jour que l’on est.

Je ne sais pas ce qui se passe.

Tout ce que je sais, c’est que, là, maintenant, je suis réveillée et que les missiles de l’occupation ébranlent le sol.

Je fais défiler mon téléphone et je regarde la brillance du petit écran : 18 mars 2025, 2 heures du matin.

Cinq minutes avant cela, j’étais profondément endormie. Quelques heures plus tôt, ma famille et moi étions réunies pour un repas chez nous, à Khan Younis.

Malgré la tristesse à Gaza, nous avons essayé de rendre agréables les nuits de Ramadan. Ma mère préparait du thé sur le poêle et elle avait rassemblé des biscuits pour toute la famille.

Après cela, nous étions allés au lit, nous dispersant un peu partout dans la maison, chacun de nous occupant un coin pour dormir ou pour lire en attendant le sommeil.

Mais, là, maintenant, je suis réveillée et je me dis que, sans doute, toute la population de la bande de Gaza est elle aussi réveillée en ce moment même, du fait que les explosions sont si fortes.

Nous sommes retombés dans une nouvelle réalité terrifiante.

Les minutes passent et les bruits du bombardement sont de plus en plus forts. Les explosions se poursuivent et j’essaie de me rendre compte si elles sont proches de nous.

Ma petite sœur est réveillée elle aussi et elle se met à pleurer quand j’essaie de la calmer un peu, alors que ma propre anxiété est déjà insupportable.


Allons-nous survivre ?

Je ne sais vraiment pas comment décrire ce que je ressens pour l’instant.
J’écris depuis un immeuble situé non loin du Complexe médical Nasser. Je regarde les ambulances et les voitures qui se précipitent dans des tentatives désespérées pour sauver l’une ou l’autre âme de la mort.

Mais j’ai également l’impression que chaque ambulance transporte une âme qui s’en va de cette terre.

Il y avait un mois que je n’avais plus senti l’odeur de la mort à Gaza, mais voilà qu’elle revient vers moi, et sans le moindre effort.

J’essaie d’écrire sur l’espoir et sur la force mais la seule voix que je puis faire entendre en cet instant est celle de l’horreur qui m’occupe toute.

Je vous écris à vous, maintenant, sans savoir si, cette fois, nous survivrons ou si nous verrons le soleil se lever demain. Nous n’avons pas pris notre repas d’avant l’aube, le suhoor, et ma mère nous a surtout conseillé cette fois de nous tenir écartés du balcon, de peur de recevoir des éclats d’obus.

Le temps passe, le matin d’en vient.

Mon frère est allé à l’hôpital pour voir s’il connaît quelqu’un qui a été blessé. Là, à la morgue, il a dit que de nombreux journalistes étaient venus en même temps que des gens qui cherchaient des êtres chers.

Un homme qui gardait la morgue s’est mis à crier : « Restez à l’écart et, de grâce, ne prenez pas de photos ! »

Il a demandé que la foule respecte l’intimité des femmes.

Aujourd’hui, nous avions prévu une journée de courses pour que ma petite sœur ait de nouveaux vêtements pour l’Eid. Mais, là, nous allons rester à l’intérieur.

Nous sommes de braves gens aux sentiments profonds. Nous rêvons de voyages autres que les déplacements et d’une existence ailleurs que dans des tentes.

Nous nous lamentons quand nous enterrons nos enfants et nous essayons de comprendre comment la mort est devenue si ordinaire.

Comment quelques peuples peuvent-ils contrôler le sort d’un autre peuple ?

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Jannah Ahmad Abu Sitta écrit et vit à Gaza.

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Publié le 18 mars 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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