À Rafah en ruine, le danger guette partout
Au 1er mars, selon les autorités locales, plus de 40 personnes ont été tuées à Rafah depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier et avant qu’Israël n’y mette abruptement un terme.

Des gens rompent leur jeûne de Ramadan à Rafah, où 90 pour 100 des quartiers ont été totalement ou partiellement détruits. (Photo : Doaa el-Baz / APA images)
Ruwaida Amer, 22 mars 2025
Amal Kassab a perdu son fils Ahmad, 18 ans, lors d’une attaque israélienne le 19 janvier, le premier jour du prétendu cessez-le-feu.
Ahmad était sorti du camp d’al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younis, où sa famille avait cherché refuge afin de pouvoir tenir à l’œil sa maison à Rafah.
« Il a dit au revoir et il m’a dit que nous nous reverrions à Rafah ; il m’a demandé d’attendre son appel pour me dire dans quel état était la maison, si elle était OK ou détruite », a expliqué Amal lors d’une interview en février. « Je l’ai attendu. »
Ahmad n’a jamais appelé.
Au lieu de cela, sa mère s’est précipitée au Complexe médical Nasser après qu’un ami lui avait dit qu’il avait été blessé. Quand elle est arrivée sur place, son mari lui a dit qu’Ahmad avait été tué et qu’il fallait prier pour lui.
« C’est une armée de lâches qui tue nos enfants », a déclaré Amal. « Je ne pardonnerai jamais à un monde qui est resté silencieux face à notre massacre. »
L’armée israélienne est lourdement concentrée le long du corridor Philadelphi et dans ses parages – la zone qui longe la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte.
Et, alors qu’Israël a unilatéralement mis un terme au cessez-le-feu cette semaine, son armée n’est jamais partie. En effet, la crainte suscitée par la présence continue de l’armée israélienne dans la zone de Philadelphi, où quelque 90 pour 100 des quartiers ont été totalement ou partiellement détruits, a fait que les habitants déplacés hésitent de retourner en ces endroits ou dans le centre de Rafah.
Au 1er mars, selon les autorités locales, plus de 40 personnes ont été tuées à Rafah depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier et avant qu’Israël n’y mette abruptement un terme.
Ahmad al-Soufi, le maire de Rafah, a déclaré que toute la ville était une zone sinistrée et qu’avec les snipers toujours présents, bien des personnes n’avaient tout simplement pas tenté de rentrer chez elles.
« La vie est non existante à Rafah pour plusieurs raisons, y compris la présence de l’armée israélienne et les nombreuses zones de la ville qui sont devenues dangereuses. Les citoyens ne peuvent atteindre leurs quartiers en toute sécurité et peu d’entre eux retournent par crainte des snipers israéliens »
a déclaré al-Soufi.
Une zone fantôme
Reem Shalouf, 35 ans, a essayé elle aussi de se rendre chez elle dès que le cessez-le-feu est entré en vigueur. La dévastation dans son quartier était si totale, toutefois, que, si elle avait su, elle ne se serait pas souciée de retourner.
« J’ai couru comme une gamine de dix ans quand ils ont annoncé le cessez-le-feu. Deux jours après, je suis partie. »
Alors qu’elle était en chemin, des gens lui ont crié des avertissements à propos du danger potentiel des munitions non explosées, des chutes de décombres et des snipers de l’armée israélienne.
« J’ai vu une zone fantôme, et non une zone résidentielle », a déclaré Reem. « Il ne restait plus aucun repère, rien que des tas de débris partout. »
La fille de Reem, Lara, qui a huit ans, lui avait demandé de lui ramener une poupée Barbie que son père lui avait offerte pour son anniversaire un mois avant le début des attaques israéliennes en octobre 2023. Elle avait su d’emblée, toutefois, rien qu’en se rapprochant de son quartier, qu’elle ne retrouverait jamais le jouet de sa fille.
« Je suis retournée à Mawasi, à Khan Younis, en état de choc et je suis toujours anéantie par ce que j’ai vu », a expliqué Reem à The Electronic Intifada. « Mon cœur souffre comme celui de nombreux habitants de la ville. »
Pour l’instant, elle a décidé d’attendre à Khan Younis avec ses trois enfants.
Et, alors qu’Israël a repris son génocide à Gaza deux mois après s’être mis d’accord sur un cessez-le-feu, dire quand elle sera en mesure de retourner reste entièrement en suspens.
Les dégâts à Rafah sont énormes et un effort massif de reconstruction est nécessaire avant que la ville soit en mesure d’accueillir le retour de ses habitants. Le maire al-Soufi a dit que la ville avait besoin de 150 000 unités de logement pour ceux qui ont perdu leur maison, ainsi que l’équipement pour nettoyer la ville et la reconstruire.
« Il y a également une grave pénurie en équipements et en engins mécaniques lourds pour aider des ouvriers municipaux à emporter les débris, à rouvrir les rues et à restaurer les services de base comme l’eau dans certaines zones ; les infrastructures ont été complètement détruites. »
Al-Soufi a déclaré que c’était tout cela, et d’autres besoins encore, qui les avait amenés, lui et d’autres Palestiniens, à appeler les gouvernements étrangers et les agences humanitaires internationales à fournir des secours à la ville de Rafah frappée par un désastre, de sorte que ses citoyens pourront y retourner.
« Ces attaques ne nous dissuaderont pas de poursuivre notre devoir envers notre ville et notre peuple. Nous continuerons de travailler et nous ramènerons la vie à Rafah, quel qu’en soit le prix »,
a conclu le maire.
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Ruwaida Amer est journaliste et elle vit à Gaza.
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Publié le 22 mars 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine